Les dessous de la prostitution sous confinement à Amsterdam

Les dessous de la prostitution sous confinement à Amsterdam
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Par Valérie Gauriat
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Reportage dans le quartier rouge d'Amsterdam qui est à l'arrêt. Sous confinement prolongé, les travailleurs du sexe disent être poussés vers la pauvreté ou l'illégalité.

Avec l’arrivée de l’été, dans les rues d’Amsterdam, la vie reprend lentement son cours ou presque. Le quartier rouge, la plus célèbre attraction nocturne de la ville, est désert, seuls quelques rares néons éclairent les ruelles dépeuplées. Nous y sommes pourtant un samedi soir : d'habitude, il serait impossible de se frayer un chemin dans la foule de touristes.

Pour la première fois depuis le début du XIXe siècle, la prostitution a été criminalisée aux Pays-Bas, du fait du confinement.

Levé depuis plusieurs semaines pour la plupart des professions, il a été prolongé pour les travailleurs du sexe. Les contrevenants risquent des amendes élevées et un casier judiciaire.

"Ouvrez les vitrines !"

Nous rencontrons Stella lors d'une manifestation devant la mairie d'Amsterdam : "Ouvrez les vitrines ! Nous voulons travailler !" scandent les quelque personnes rassemblées.

"Je suis ici parce que je veux ouvrir le quartier rouge," explique Stella. "Je veux travailler dans la légalité et la sécurité parce que les travailleurs du sexe comptent aussi : nous sommes des êtres humains tout comme vous," lance-t-elle.

Stella est l’une des centaines de prostituées qui travaillent derrière les célèbres vitrines d’Amsterdam. Elle accepte de nous emmener sur son lieu de travail habituel et de se confier derrière les rideaux fermés.

Au nombre d’une minorité de travailleurs du sexe enregistrés à la chambre de commerce d’Amsterdam, elle bénéficie d’une aide financière de l’État pendant le confinement, d’un millier d’euros.

"Ils nous poussent à travailler dans l'illégalité"

Insuffisant pour couvrir des charges élevées, dit-elle. D'autant que les loueurs n'acceptent de loger les travailleurs du sexe qu'au prix fort.

"Je paie 1500 euros pour un studio !" fait-elle remarquer. "Et à cause de cette situation, je vis maintenant avec quelqu'un d'autre, juste pour partager le loyer, pour pouvoir survivre, sans faire quelque chose de mal," précise-t-elle.

"Le gouvernement ne voit pas que de garder les vitrines fermées pousse de plus en plus de filles à travailler illégalement," affirme-t-elle.

"Vous savez, si ça dure encore, moi aussi je vais probablement trouver un moyen de travailler dans l'illégalité, je ne le souhaite pas, mais ils m'y poussent," prévient-elle.

Intrigué par la présence de Stella alors que tout est fermé, un passant l’aborde. C’est un habitué des vitrines d'Amsterdam. Des lieux propres et sécurisés, dit-il.

Il a tenté de contourner le confinement avec une prostituée travaillant illicitement dans des hôtels, à ses dépens. "Quand je suis arrivé dans la chambre, elle a pris l'argent tout de suite, elle a dit qu'elle devait passer un coup de fil à l'extérieur de la chambre et elle s'est sauvée !" raconte-t-il.

"Celles qui travaillent dans les vitrines ont un bouton d'alarme qu'elles peuvent utiliser en cas de problème," poursuit-il. "On sait que tout est en règle et sécurisé. Et il y a des règles d'hygiène qu'elles doivent respecter : elles peuvent être expulsées si elles n'utilisent pas de préservatifs et ne gardent pas leur espace très propre et hygiénique," ajoute-t-il.

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Des travailleurs du sexe manifestent devant la mairie d'Amsterdam© euronews

Perte de revenus pour les maisons closes

Légale aux Pays-Bas, l'industrie de la prostitution est l'une des plus organisées et réglementées d'Europe. Contributrice du PIB, elle est aussi fortement taxée. Mais les critères d'obtention d'aides financières pour les travailleurs du sexe pendant le confinement ont été restrictifs.

Les propriétaires et gérants des maisons closes du quartier rouge ont placardé leurs vitrines d'affiches de protestation.

Jan Broers est du métier depuis un demi-siècle. Il est fier des conditions de travail qu'il offre à son équipe de travailleuses du sexe auxquelles il loue aussi des logements.

La plupart d'entre elles viennent d'Europe de l'Est et ont quitté le pays pendant la pandémie, laissant Jan Broers sans aucune source de revenus.

"Si jamais il y a une nouvelle vague du virus, il est possible qu'on reste fermés plus longtemps," s'inquiète le gérant de maison close. "Le confinement est un moyen pour le gouvernement de garder nos maisons fermées longtemps parce qu'ils veulent se débarrasser de la prostitution ! Ils pensent que si on fait faillite, ce sera facile de nous faire partir !" s'indigne-t-il.

Une profession de contact comme les autres ?

Le confinement a plongé nombre de travailleurs du sexe dans la pauvreté. Les aides de l'État ne suffisent pas à couvrir leurs frais et beaucoup n'y ont pas droit.

Le Cordon écarlate (Scharlaken Koord) est l'une des associations caritatives qui leur distribuent chaque semaine des biens de première nécessité et des bons alimentaires.

Samantha travaille dans le quartier rouge depuis vingt ans. Elle s'insurge contre le fait que toutes les professions dites de contact comme les coiffeurs ou les salons de massage ont été autorisées a reprendre leur activité en juin, mais pas la sienne.

"Je sais qu'Amsterdam est une belle ville, mais les gens, les touristes, ils viennent toujours pour nous voir, il faut le reconnaître ! Cela nous semble injuste que tout le monde travaille et gagne de l'argent sauf nous," dénonce-t-elle.

"Je viens d'apprendre par des amis qui travaillent dans des hôtels," renchérit-elle, "que maintenant, il y a des filles qui viennent ici pendant une ou deux semaines et elles repartent. Alors que nous, on paie beaucoup d'impôts ici ! Et d'autres arrivent pour gagner de l'argent facile, gratuitement ! On exige qu'on nous laisse travailler, dès maintenant !" insiste-t-elle.

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Dans une maison close d'Amsterdam© euronews

Travailleuse du sexe, mais pas que...

Nous finissons notre parcours sur un marché animé d'Amsterdam où travaille Irina Hornstra, une fois par semaine. Son stand de boulangerie est bien connu des clients. Mais seuls ses collègues du marché savent comment elle gagne sa vie, le reste du temps.

C'est la première fois qu'elle accepte de révéler au plus grand nombre sa double vie, devant notre caméra. Une manière de lutter contre la stigmatisation, dit-elle.

Elle nous accueille chez elle, dans son autre univers: Irina est une travailleuse du sexe, avec une dimension sociale, précise-t-elle. Pendant le confinement, elle est restée en contact avec des clients réguliers, pour des prestations sexuelles en ligne uniquement, mais aussi des moments de réconfort.

Elle se connecte avec l'un de ses clients qui lui assure : "Je suis content de pouvoir parler avec toi de temps en temps. Tu es la seule que j'ai, la seule que je peux appeler . Et on peut bien discuter de tout, tu m'as aussi aidé," lui dit-il. "C'est pour ça qu'on est là," lui répond Irina. "Tu es une oreille attentive : entre nous, c'est pas juste la bagatelle et puis c'est fini," ajoute son client.

"Nous sommes une composante importante de la société"

L'interdiction prolongée de la prostitution n'a plus de sens et n'est pas tenable, dit Irina. "On fournit un service qu'une grande partie de la population masculine des Pays-Bas utilise et comme vous l'avez vu avec l'un des mes clients, il a vraiment besoin de nos échanges qui ont beaucoup de valeur pour lui," assure-t-elle.

"Nous sommes une composante importante de la société ! Prenez-nous au sérieux ! Faites quelque chose et aidez-nous !" lance-t-elle.

Un appel finalement entendu : au moment de la mise à l'antenne de ce reportage, le gouvernement néerlandais annonçait la levée du confinement pour les travailleurs du sexe au 1er juillet.

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Irina en ligne avec l'un de ses clients© euronews
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