Le Kremlin avait exigé la levée des sanctions européennes comme condition préalable à l'arrêt des attaques et à la sécurité de la navigation en mer Noire.
L'Union européenne a catégoriquement rejeté la demande de Moscou de reconnecter la Banque agricole russe, connue sous le nom de "Rosselkhozbank" et d'autres entités financières impliquées dans le commerce agroalimentaire au système bancaire SWIFT.
Cette demande, rendue publique en début de semaine, après des discussions entre la Russie et les États-Unis en Arabie saoudite, avait été avancée par le Kremlin comme une condition préalable à l'arrêt des attaques et à la sécurité de la navigation en mer Noire.
Bruxelles a argué que la poursuite de l'invasion de l'Ukraine rend impossible l'octroi d'un allègement des sanctions, qu'elles soient générales ou ciblées.
"La fin de l'agression non provoquée et injustifiée de la Russie en Ukraine et le retrait inconditionnel de toutes les forces militaires russes de l'ensemble du territoire ukrainien seront l'une des principales conditions préalables à la modification ou à la levée des sanctions", a précisé jeudi un porte-parole de la Commission européenne.
"La Russie doit faire preuve d'une véritable volonté politique pour mettre fin à sa guerre d'agression illégale et non provoquée". "Tout accord de paix ou toute discussion à ce sujet doit conduire à une paix juste et durable en Ukraine." a poursuivi le fonctionnaire, pour qui l'objectif actuel de l'UE est de maximiser, plutôt que d'alléger, la pression sur la Russie "en utilisant tous les outils à disposition".
Plus de 200 pays reliés par le système bancaire SWIFT
SWIFT est un système de haute sécurité qui permet des transferts d'argent rapides et précis, reliant plus de 11 000 institutions dans plus de 200 pays. Basé à La Hulpe, en Belgique, le système relève de la juridiction de l'Union européenne et est donc soumis aux sanctions européennes.
Une série de banques russes, dont Rosselkhozbank, ont été exclues de SWIFT au cours de la première année de l'invasion, afin de réduire la capacité de Moscou à financer sa machine de guerre.
Bien que la Russie dispose d'un système financier alternatif, appelé SPFS, l'exclusion de SWIFT a été un point sensible pour le pays, car elle a créé des obstacles importants dans les paiements entre les entreprises agroalimentaires russes et leurs clients dans le monde entier.
La demande de la Russie, "prématurée", selon Washington
Le retour souhaité de Rosselkhozbank à SWIFT n'a été mentionné que dans le texte du Kremlin, qui comportait cinq paragraphes détaillant les conditions préalables au redémarrage de l'initiative de la mer Noire.
La version de la Maison Blanche parle simplement d'aider à "rétablir l'accès de la Russie au marché mondial pour les exportations de produits agricoles et d'engrais, de réduire les coûts d'assurance maritime et d'améliorer l'accès aux ports et aux systèmes de paiement pour de telles transactions".
La dernière partie - "les systèmes de paiement pour ces transactions" - semble faire référence à SWIFT, même si les États-Unis n'ont pas autorité sur ce système.
Dans une interview accordée à Fox News, le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, a déclaré que "tout était sur la table", mais que les conditions préalables posées par Moscou étaient "prématurées".
Le président Trump, je pense, n'hésitera pas à augmenter les sanctions si cela lui donne un avantage dans les négociations", a précisé le responsable politique. "Il y aura une longue discussion sur de nombreux points concernant la manière appropriée de ramener la Russie dans le système international, mais je pense qu'il est prématuré de discuter des termes d'un accord avant d'avoir un accord", a ajouté Scott Bessent.
S'exprimant en Jamaïque, le secrétaire d'État américain Marco Rubio a déclaré que la demande russe d'aide ciblée et le rôle de l'UE dans le processus seraient examinés.
"Nous allons évaluer cela. Certaines de ces conditions incluent des sanctions qui ne sont pas les nôtres. Elles appartiennent à l'Union européenne", a déclaré Marco Rubio, avertissant que la conclusion d'un accord de paix ne serait pas "simple" et prendrait "un certain temps".
La paix, condition catégorique pour la levée des sanctions européennes
Les déclarations des responsables américains contrastent fortement avec celles de leurs homologues européens. L'appétit pour un allègement des sanctions est très faible dans l'ensemble de l'Union, alors que les frappes russes continuent de faire des ravages en Ukraine et de tuer des civils.
Le régime de sanctions a été élaboré à partir d'un nombre record de 16 paquets. Défaire une structure aussi complexe d'un simple trait de plume ne se fera pas à la légère à Bruxelles.
"Nous entendons souvent la Russie dire que nos sanctions et nos autres mesures n'ont aucun impact sur son économie. Il est donc étrange qu'ils essaient de nous faire revenir en arrière", a déclaré un autre porte-parole de la Commission jeudi.
À l'issue d'une réunion de la coalition "des bonnes volontés" à Paris, Emmanuel Macron a catégoriquement exclu tout allègement des sanctions : "Nous avons convenu à l'unanimité que ce n'était pas le moment de lever les sanctions de quelque manière que ce soit. Il ne peut y avoir de levée de sanctions avant que la paix ne soit établie", a déclaré le président français.
Selon Olaf Scholz, il serait "totalement absurde" de prendre cette mesure avant la fin de la guerre. "Malheureusement, nous en sommes encore loin", a déclaré le chancelier allemand.
Volodymyr Zelensky, qui a participé à la réunion, a exhorté ses alliés occidentaux à ignorer la demande de Vladimir Poutine et à resserrer plutôt les boulons sur l'économie russe.
"Aucune levée de sanctions, quelles qu'elles soient, ne sera possible tant que la Russie n'aura pas mis fin à cette guerre. Et je pense qu'il faut plus de pression, plus de paquets de sanctions", a déclaré le président ukrainien.
Un fonctionnaire européen s'est fait l'écho de cet appel, avertissant que ce serait "une erreur stratégique de céder à la tentation d'un assouplissement précoce des sanctions".
Mais cette position ferme cache une fragilité interne.
La Hongrie, une menace pour le renouvellement des sanctions
Selon les règles de l'UE, les sanctions doivent être renouvelées tous les six mois à l'unanimité, ce qui signifie qu'un seul État membre peut faire dérailler le délicat processus. Depuis l'investiture de Donald Trump, la Hongrie, qui critique depuis longtemps les mesures, a menacé à deux reprises de bloquer le renouvellement.
Si Washington finit par accepter la demande de SWIFT, la Hongrie pourrait mettre les pieds dans le plat et forcer les autres États membres à accorder un allègement partiel des sanctions comme condition à la prolongation des mesures après la prochaine échéance du 31 juillet.
L'UE aux manettes du système SWIFT
Par ailleurs, les États-Unis pourraient faire savoir que les transactions russes en dollars effectuées par l'intermédiaire du système n'auraient pas de conséquences juridiques. Toutefois, la reconnexion totale à SWIFT dépendra exclusivement de l'approbation de l'UE, ce qui donnera à l'Union un moyen de pression dans les négociations.
"SWIFT ne peut pas agir en violation des lois de l'UE. Les États-Unis peuvent modifier leurs lois et règlements mais ne peuvent pas automatiquement réintégrer les entités russes dans SWIFT", a rappelé Alessandro Rebucci, professeur d'économie à la Johns Hopkins Carey Business School.
"Nous voyons maintenant la limite des pouvoirs d'intimidation des États-Unis. Ce n'est pas par l'intimidation que les États-Unis ont contrôlé l'ordre mondial jusqu'au 19 janvier 2025 ", a poursuivi l'économiste, faisant référence à la veille de l'investiture de Trump. "C'est par le biais d'une coopération intéressée avec les alliés, de négociations avec les adversaires et de menaces crédibles d'utiliser leurs pouvoirs immenses mais finalement limités.