La désinformation anti-occidentale est omniprésente au Burkina Faso et dans l'ensemble du Sahel. Les analystes et les gouvernements affirment que les campagnes pro-russes sapent la stabilité.
De nombreuses vidéos générées par l'intelligence artificielle, prétendant à tort qu'une Française a été arrêtée pour espionnage au Burkina Faso, se sont répandues de manière virale en ligne ces dernières semaines, déclenchant une vague de désinformation.
Ces vidéos montrent Claire Dubois, une travailleuse française d'une ONG âgée d'une trentaine d'années, convoquée et détenue par Ibrahim Traoré, l'officier militaire qui a pris le pouvoir au Burkina Faso en septembre 2022. Elle serait, selon des affirmations non-fondées, une espionne française qui aurait recueilli des renseignements militaires "sous le couvert d'un travail humanitaire". Mais aucune preuve ne vient étayer ces affirmations.
Sur la vidéo originale, publiée pour la première fois sur YouTube, il est précisé qu'il s'agissait d'une "œuvre de fiction". "Bien que certains éléments soient basés sur des événements réels, les situations et les dialogues décrits sont entièrement fictifs et ne reflètent aucun événement réel. Toute ressemblance avec des faits réels est purement fortuite", est-il indiqué.
Problème : l'avertissement a été retiré des vidéos partagées sur des plateformes telles que TikTok, Facebook et X. Elle a ensuite été amplifiée par des médias d'État russes, tels que Pravda. Une vidéo de TikTok diffusant la fake news a même été visionnée plus de deux millions de fois.
Accusés d'espionnage, quatre agents de renseignement français ont bien été libérés en décembre 2024, après avoir été détenus pendant un an dans la capitale burkinabé Ouagadougou, à la suite d'efforts de médiation du Maroc. Trois autres diplomates français ont également été expulsés du pays en avril de l'année dernière.
Mais aucun cas de travailleurs humanitaires accusés d'espionnage n'a été officiellement signalé.
Un "laboratoire" de désinformation
Bien qu'aucune preuve n'ait été apportée quant à l'implication de la Russie dans la diffusion de cette fake news, plusieurs influenceurs africains sur TikTok ont participé à sa promotion, assure Euroverify. Ces derniers ont également fait la promotion de contenus anti-occidentaux et anti-ukrainiens qui s'inscrivent dans le cadre de la stratégie de désinformation du Kremlin.
Le Burkina Faso, le Niger et le Mali sont depuis longtemps considérés comme des bastions des campagnes de propagande pro-russes en Afrique. Moscou a soutenu les gouvernements post-coup d'État dans ces trois pays, où la désillusion et la frustration à l'égard de l'ancien colonisateur, la France, ont laissé un vide.
La propagande pro-Kremlin et anti-occidentale contribue désormais à renforcer la popularité de dirigeants tels qu'Ibrahim Traoré, commandant militaire burkinabé de 37 ans, considéré comme un allié fidèle du Kremlin.
Ibrahim Traoré s'est même rendu à Moscou au début du mois pour rencontrer Vladimir Poutine à l'occasion des célébrations du Jour de la Victoire. "Mon plus grand regret est d'avoir passé une bonne partie de ma jeunesse à écouter des radios comme Radio France International et France 24... Alors vous [Russia Today] pouvez faire beaucoup pour éveiller la conscience des jeunes afin qu'ils comprennent comment fonctionne le monde et qu'ils ne se laissent pas dominer par les autres", a-t-il déclaré à la télévision publique Russia Today.
Effort de désinformation au niveau local
Si peu de choses ont filtré quant à l'ampleur et la sophistication des opérations de désinformation pro-russes dans ces pays, un rapport publié en 2024 par l'Africa Center for Strategic Studies identifie des acteurs liés au Kremlin comme le principal commanditaire des campagnes de désinformation au Burkina Faso.
Il indique que Moscou rémunère des influenceurs africains pour diffuser de la propagande et que les ambassades russes aident à mettre en place des "organisations de front de base" pour générer et amplifier la désinformation au niveau local.
Au Burkina Faso, des groupes tels qu'African Initiative, qui a été sanctionné par l'Union européenne, sont utilisés pour promouvoir un "programme pro-russe" tout en fournissant de l'aide et en "promouvant la culture russe" auprès des communautés locales, selon l'organisation de recherche African Digital Democracy Observatory.
Un rapport de l'Union européenne, rédigé en 2024 sur l'ingérence étrangère, décrit African Initiative comme un acteur russe "lié à l'État" qui sert de "plaque tournante" pour "exécuter des opérations russes de FIMI (manipulation de l'information et ingérence étrangère) en Afrique".