Les analystes estiment que les acteurs de la désinformation continuent de semer la division et la méfiance à l'approche du second tour de l'élection présidentielle, qui aura lieu dimanche.
Les Roumains sont toujours confrontés à une vague de désinformation, quelques jours avant le second tour de l'élection présidentielle, ce dimanche. Un scrutin entre l'ultranationaliste eurosceptique George Simion - qui a remporté une victoire écrasante au premier tour au début du mois - et le centriste pro-UE Nicușor Dan, qui s'annonce très serré. Selon un récent sondage, les deux candidats sont au coude à coude
L'élection présidentielle s'est initialement tenue en novembre dernier, mais a été annulée lorsque les services de renseignement roumains ont déclaré qu'une personne aurait coordonné une campagne TikTok visant à faire gagner Călin Georgescu, un outsider peu connu et aux opinions extrêmes, qui s'était imposé au premier tour.
Georgescu a depuis été exclu du nouveau scrutin, ce qui a suscité l'indignation de ses partisans dans le pays et à l'étranger.
Les experts avertissent maintenant que la deuxième tentative d'élection reste fragile et en susceptible d'être visée par des campagnes de désinformation parrainées par l'étranger afin de créer méfiance et division au sein de la population.
Les analystes de la société Open Minds, spécialisée dans les technologies de défense, affirment que près d'un quart des réseaux roumains sur l'application de messagerie Telegram sont "étroitement liés à des médias russes pro-Kremlin" qui diffusent des récits trompeurs ou erronés sur le scrutin.
Ils décrivent ces canaux comme des "conduits" qui visent à amplifier la propagande russe et le contenu parrainé par l'État en roumain et en anglais. OpenMinds a enregistré 103 messages de ce type par mois en moyenne depuis 2022.
Si Telegram n'est pas très utilisé par les Roumains, il sert à mobiliser les électeurs "purs et durs". Il sert aussi de tremplin pour des campagnes sur d'autres plateformes. Selon les services de renseignement roumains, la campagne de Georgescu sur TikTok en novembre était coordonnée par un groupe Telegram qui partageait des conseils sur la manière de tromper les systèmes de vérification du contenu de la plateforme chinoise.
Les récits prédominants qui circulent en ligne à l'approche du scrutin du 18 mai, concernent des accusations de crimes commis par le gouvernement roumain contre ses citoyens, des allégations infondées de "fraude électorale massive" ou des affirmations selon lesquelles le vote de dimanche avait déjà été annulé.
S'adressant à Euroverify, Madalina Botan, professeur associé à l'université nationale des sciences politiques et de l'administration, a déclaré que les récits de désinformation risquaient d'aggraver l'apathie et la méfiance des électeurs.
"La confiance dans les institutions est très faible en Roumanie - c'est un talon d'Achille. Ainsi, lorsqu'il y a des allégations selon lesquelles les élections ont été ou seront truquées, il est très facile de s'appuyer là-dessus et d'amplifier la méfiance du public", explique-t-elle.
"Nous avons des frontières communes avec l'Ukraine et la Moldavie, et le fait d'être sur le flanc oriental de l'UE fait de nous un État en première ligne dans les stratégies russes de désinformation et de guerre. Cela nous rend donc particulièrement vulnérables", a ajouté Mme Botan.
M. Simion, chef de file de l'Alliance pour l'union des Roumains (droite dure), qui a devancé son rival dans les sondages ces dernières semaines, a menacé de retirer le soutien de la Roumanie à l'Ukraine tant que celle-ci ne "respecterait pas les droits" de la minorité ethnique roumaine vivant sur son territoire.
Il est actuellement interdit d'entrée en Ukraine ou en Moldavie en raison de ce que les services de sécurité ukrainiens ont qualifié d'"activités anti-ukrainiennes systématiques".
Les deux camps opposées se sont accusés mutuellement d'actions de désinformation.
Euroverify détecte une désinformation persistante sur TikTok
Euroverify a détecté des cas de désinformation électorale circulant sur TikTok - la société chinoise au cœur de la controverse qui a conduit à l'annulation du premier tour de l'élection - pendant la période précédant le vote de dimanche.
Il s'agissait notamment d'allégations infondées de fraude électorale "massive", selon lesquelles les votes de la diaspora seraient doublés pour fausser le scrutin en faveur du candidat pro-UE Nicușor Dan, ou que pas moins de deux millions de personnes décédées auraient été maintenues sur les listes électorales, une allégation que le ministère roumain de l'intérieur a déjà réfutée.
Les vérificateurs de faits roumains affirment que cette affirmation a été faite pour la première fois dans une publication pro-Kremlin, qui a par la suite été sanctionnée. Celle-ci visait à faire annuler le vote.
TikTok fait actuellement l'objet d'une enquête de la Commission européenne concernant son rôle dans le soutien à la campagne de M. Georgescu avant la première édition du vote en novembre dernier.
La commissaire européenne chargée des technologies, Henna Virkkunen, a récemment déclaré que TikTok avait procédé à des "changements internes", notamment "une meilleure détection et un meilleur étiquetage des comptes politiques et davantage d'experts en langue roumaine" en vue de la répétition du vote.
Pourtant, une étude dévoilée jeudi par l'organisation à but non lucratif Global Witness a révélé que l'algorithme de TikTok diffusait près de trois fois plus de contenus d'extrême droite aux "nouveaux utilisateurs politiquement équilibrés" que n'importe quel autre contenu politique.
Selon Global Witness, l'étude démontre l'incapacité de TikTok à empêcher la plateforme de "donner la priorité aux contenus d'extrême droite", ce qui pourrait compromettre une nouvelle fois l'intégrité de l'élection.
Dans un rapport publié en début de semaine, qui détaille les preuves de la "manipulation des algorithmes et de l'instrumentalisation des influenceurs" sur TikTok lors de la première élection, l'agence cybernétique française avertit que les nations européennes telles que la France sont vulnérables à des campagnes similaires soutenues par l'État lors des futures élections.