Les électeurs tchèques votent vendredi et samedi pour des législatives qui pourraient signer le retour au pouvoir de l'ancien Premier ministre, en tête des sondages, mais toutefois non assuré d'une majorité.
Un milliardaire qui sillonne le pays en camping-car avec casquette rouge façon Trump sur la tête, une coalition de gauche conservatrice et isolationniste qui dit "Ça suffit" et prône la sortie de l’UE et de l’OTAN, un tribun nationaliste aux origines japonaises, des Pirates à dreadlocks, des Automobilistes et des conservateurs minés par les scandales et par une impopularité record : voici les principaux acteurs des élections législatives tchèques qui ont débuté ce vendredi à 14 heures. 8 millions d’électeurs doivent décider de la composition du nouveau parlement et gouvernement pour quatre ans.
26 formations politiques sont en lice pour ce scrutin. Parmi elles, sept sont actuellement susceptibles d'obtenir des sièges à la Chambre des députés : ANO (OUI en français, un parti "attrape-tout" populiste), Spolu (Ensemble en français, une coalition composée des conservateurs de l'ODS (Parti démocrate civique), les libéraux-conservateurs de TOP 09 (Tradition, responsabilité, prospérité) et les chrétiens-démocrates de KDU-ČSL (Union chrétienne démocrate - Parti populaire tchécoslovaque)), STAN (Maires et Indépendants), la Česká pirátská strana (le Parti Pirate tchèque), SPD (Liberté et démocratie directe), Motoristé sobě (qui pourrait se traduire en français par Les Automobilistes entre eux) et l’alliance Stačilo ! (Ça suffit ! en français).
Le coalition de centre droit du Premier ministre Petr Fiala met sa majorité en jeu. Mais dans tous les sondages, c'est le populiste Andrej Babiš qui arrive en tête avec 30% des suffrages. Quatre ans après sa défaite surprise face à une coalition hétéroclite, le magnat de l'agroalimentaire devenu figure politique vit ces élections comme une revanche et entend reprendre les rênes du pays.
Une tâche qui est cependant loin d'être acquise car la plupart des partis traditionnels ont déjà exclu de gouverner avec lui. Le milliardaire pourrait donc chercher des alliés soit chez la gauche conservatrice de Stačilo !, soit à l’extrême droite avec le SPD ou Motoristé sobě. La conséquence d'une longue dérive populiste du magnat de l'agroalimentaire tchèque, qui s'est souvent affiché en compagnie des Premiers ministres slovaque Robert Fico et hongrois Viktor Orbán ou du leader du parti d'extrême droite autrichien FPÖ Herbert Kickl. Aux élections européennes de 2024, son parti, ANO, a même participé à la création du groupe d'extrême droite des Patriotes pour l'Europe au Parlement européen, en compagnie du Rassemblement national ou du Fidesz.
Une victoire d'Andrej Babiš pourrait lui permettre de devenir le 3ème leader populiste en Europe centrale, à l'instar de Viktor Orbán en Hongrie ou Robert Fico en Slovaquie. Ces deux dirigeants sont vivement critiqués pour leur proximité avec la Russie et régulièrement accusés de saper l'unité européenne sur le soutien apporté à l'Ukraine. Depuis l’invasion russe de 2022, la République tchèque s’est placée parmi les alliés les plus engagés de Kyiv au sein de l’Union européenne et de l’OTAN.
De son côté, la coalition gouvernementale dirigée par Petr Fiala a soutenu des sanctions contre la Russie, fourni des armes et du matériel militaire, ainsi que du soutien logistique et humanitaire. L'actuel chef du gouvernement reproche le positionnement prorusse de son rival. "Andrej Babiš parle de paix sans aucune condition. […] Il aide Vladimir Poutine, c'est très clair", affirmait-il dans une interview au Financial Times en mars dernier. Le favori du scrutin accuse quant à lui le Premier ministre sortant d'aggraver le conflit en Ukraine, estimant que celui-ci "rêve d'une guerre avec la Russie".
Mais depuis la formation du gouvernement fin 2021, plusieurs ministres et hauts fonctionnaires ont été épinglés dans des scandales de corruption. Le dernier en date implique l'ex-ministre de la Justice Pavel Blažek. En mai 2025, le journal Deník N a révélé que son ministère a reçu 40 millions d’euros en bitcoins appartenant à un trafiquant de drogue qui avait purgé quatre ans de prison pour détournement de fonds, trafic de drogue et possession illégale d’arme jusqu’en 2021.
Une campagne marquée par la question de l'aide à l'Ukraine, l'armement et l'immigration
L'immigration est le thème numéro un de la campagne d'Andrej Babiš et des autres formations populistes. le leader d'ANO dénonce la présence importante de réfugiés afghans, syriens et africains en Bohême, Moravie et Silésie et accuse le gouvernement d'avoir cédé à "la pression de Bruxelles" en donnant son feu vert au Pacte migratoire européen qui contient selon lui des "quotas cachés".
Mais le populiste critique également la présence importante des Ukrainiens qui fuient la guerre. Depuis le début de l'invasion russe en février 2022, la République tchèque a accordé le statut de protection temporaire à 432 000 Ukrainiens, ce qui en fait l’État membre de l’UE qui accueille le plus de réfugiés ukrainiens bénéficiant d’un statut de protection temporaire proportionnellement à sa population.
Tout comme l'extrême droite et la gauche conservatrice, l'ex-Premier ministre dénonce également des dépenses" inconsidérées" dans le secteur de la défense par la coalition au pouvoir, qui délaisserait ainsi les "citoyens tchèques ordinaires".
Depuis 2022, le ministère tchèque de la Défense multiplie en effet les achats de nouveaux équipements militaires. Parmi eux, 24 avions de chasses américains F-35, 246 véhicules de combat CV90 ou encore 14 tanks Leopard, d'une valeur de plusieurs dizaines de millions d'euros.
Le pays est également le principal organisateur d'une initiative visant à mutualiser les achats de munitions pour l’armée ukrainienne, soutenue par une vingtaine de pays occidentaux. En 2024, celle-ci a permis de livrer un demi-million d'obus aux combattants ukrainiens.
Le magnat de l'agroalimentaire tchèque critique aussi le Pacte Vert européen et son système européen de plafonnement et d’échange d’émissions ETS 2, qui fragiliserait, selon lui l'industrie du pays. "Les prix de l'énergie ont grimpé en flèche. L'industrie européenne s'effondre. Les ménages ont du mal à payer leurs factures. Et que fait Bruxelles ? Au lieu d'admettre son erreur, elle présente un autre plan absurde : le soi-disant "Boussole de compétitivité de l'UE". Une autre initiative grandiose. Un autre document creux qui ne sera jamais appliqué. Ce n'est plus un débat sur le climat" a-t-il déclaré au quotidien Mladá Fronta Dnes en février 2025.
La menace de la désinformation russe
Ces élections n'échappent également pas à la désinformation russe. Le 28 septembre dernier, le journal Deník N, relayant les résultats d'une étude du groupe d’analystes Online Risk Labs, affirmait que 286 comptes Tiktok alimentés par des robots relayaient des discours prorusses.
Ces derniers cumuleraient entre 5 et 9 millions de vues par semaine sur le réseau social, soit plus que tous les chefs des principaux partis combinés. Selon Online Risk Labs, ces comptes soutiendraient principalement la formation d'extrême droite SPD ainsi que de la gauche conservatrice Stačilo !.
Une autre enquête du média Voxpot révèle que les 16 principaux sites de désinformation actifs dans le pays publient désormais davantage de contenus que l’ensemble de la presse traditionnelle réunie. On y retrouve des attaques virulentes contre l’Union européenne et l’Otan, mais également des théories complotistes plus originales, comme l’idée que Bruxelles encouragerait le cannibalisme pour répondre au défi climatique.
L'ampleur du phénomène constitue un défi pour un pays dans lequel l'euroscepticisme reste très présent. Selon un sondage Eurobaromètre publié au printemps dernier, seuls 29 % des Tchèques avaient une opinion positive de l’UE, le plus faible total parmi les Vingt-Sept. Ils étaient 43 % pour l'ensemble de l'Union.
Les bureaux de vote fermeront samedi, à 14 heures. Les premiers résultats seront connus dans la soirée.