Daniel Herrera, l'un des ''33'' mineurs au Chili : "La mine de San José m'a volé une partie de ma vie"

Daniel Herrera, l'un des ''33'' mineurs au Chili : "La mine de San José m'a volé une partie de ma vie"
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Par Euronews
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“Nous allons bien, dans le refuge, tous les 33’‘. Il y a trois ans, 33 mineurs, coincés au fond de la mine de San José, à Corpiapo, dans le nord du Chili, écrivaient ce message qui allait faire le tour du monde. 17 jours après l‘éboulement, le silence avait enfin été rompu. Il restait encore de l’espoir pour libérer ces hommes, pris au piège, à plus de 600 mètres sous terre.

Jusqu‘à ce jour, les mineurs avaient réussi à survivre en mangeant deux cuillères de thon, un demi biscuit et un demi verre de lait, toutes les 48 heures. Les hommes ont passé plus de deux mois sous terre, sans voir la lumière du jour, dans un environnement humide, où les températures dépassent les 30 degrés.

Le 12 octobre, un député local annonça la nouvelle : une opération de sauvetage, techniquement très complexe, allait enfin pouvoir débuter.

La libération des mineurs a suscité une excitation, un engouement planétaire, qui est rapidement retombé.

Que sont devenus depuis les héros de la mine de San José?

Euronews a contacté, via Facebook, l’un des 33 mineurs, Daniel Esteban Herrera. Après son sauvetage, ce dernier a été suivi pendant un an et demi par un psychologue. Il a aujourd’hui 31 ans, et il continue à travailler dans une mine. Cette expérience lui appris à ne jamais baisser les bras face aux adversités de la vie. C’est précisément ce message qu’il essaye de transmettre dans des conférences qu’il donne aujourd’hui. Daniel Esteban Herrera est parvenu à surmonter ses traumatismes et à retrouver un sens à la vie.

Sandra Valdivia, Euronews: Dans quelle mesure cette expérience a-t-elle marqué votre vie? Daniel Herrera : Elle m’a appris beaucoup de choses, à commencer par l’importance de ma famille. Elle m’a permis de voir la vie sous un autre angle et de profiter de chaque instant. Passer 70 jours, sous terre, dans ce trou, sans nourriture, c‘était une telle souffrance.

Euronews : Qu’est-ce qui a changé pour vous au cours des trois dernières années?

Daniel Herrera : Le fait d’apprendre à profiter de la vie a changé mes émotions.
Je suis encore affecté par cette expérience, bien sûr. Je dois la surmonter, petit à petit. Je ne veux pas voir ma famille souffrir à cause de ce qu’il s’est passé. Ils n’ont reçu aucun soutien.

Euronews : Qu’est-ce que les autorités auraient-elles dû faire, selon vous?

Daniel Herrera : Les familles avaient besoin d’aide également, besoin peut-être d’un traitement psychologique. Certains membres de nos familles pleurent. Ils font encore des cauchemars. Ils ont beaucoup souffert, mais on ne s’est pas occupé d’eux.

Euronews : Vous sentez-vous abandonné par les autorités et les médias?

Daniel Herrera : Par les autorités, oui. Ils nous avaient tout promis, mais leurs promesses se sont envolées. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir été manipulé. Les autorités se sont servies de nous puis elles nous ont jetés comme des gobelets à café.

Euronews : Avez-vous obtenu des compensations?

Daniel Herrera : Nous n’avons pas de nouvelles à ce sujet. Notre avocat s’en occupe. Tout ce que l’on sait, c’est que la justice n’a retenu aucune charges contre la compagnie minière. Et à cause du manque de mesures de sécurité dans le secteur minier, les accidents de ce type continuent à se produire. C’est la morale de cette histoire. Les mines ne sont pas correctement sécurisées, malgré tout l’argent qui est investi dans le secteur. La justice n’a rien fait, à part livrer son verdict dans un procès, qui a été conduit sans enquête approfondie.

Euronews : Travaillez-vous aujourd’hui?

Daniel Herrera : Je travaille à Codelco Radomiro Tomic, en Calama. Je travaille toujours pour la mine, mais désormais en surface, comme conducteur de camion. Travailler à ciel ouvert, c’est bien mieux et bien plus sûr. Radomiro Tomic est la mine la plus productive de l’entreprise Codelco. Avant d’aller là bas, j‘étais à Panal Ltda, mais je ne travaillais pas sous terre.

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Euronews : Comment avez-vous vécu le fait de retravailler?

Daniel Herrera : C‘était super. Travailler à la mine, en surface c‘était un sentiment fabuleux.

Euronews : Seriez-vous capable de travailler à nouveau sous terre?

Daniel Herrera : Il n’y a pas si longtemps, je suis retourné à la mine de San José. Trois années ont passé depuis l’accident, mais je pense que je serais incapable de travailler de nouveau dans une mine.

Euronews : Comment vous êtes-vous senti quand vous êtes retourné à San José?

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Daniel Herrera : Anxieux, inquiet. Quand je suis descendu dans la mine, j’ai ressenti une forme de peur, de désespoir, d’angoisse. J’ai senti qu’il fallait que je résolve quelque chose en moi.
J’ai réalisé rapidement que la mine de San José m’a volé une partie de ma vie.

  • Retour à San José, un an après

Source: Facebook

Euronews : Êtes-vous toujours en contact avec les 33 autres mineurs de San José. Comment vont vos anciens collègues?

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Daniel Herrera : Je suis en contact avec eux; je sais que certains vont assez mal, à la fois psychologiquement et financièrement.

Euronews : Reçoivent-ils de l’aide, un traitement?

Daniel Herrera : Je ne sais pas. Seuls 12 des 33 ont reçu une indemnité, alors que nous avons vécu la même expérience. Certains sont affectés psychologiquement par leurs problèmes financiers.

Euronews : Pourquoi seuls 12 des 33 ont reçu cette indemnité?

Daniel Herrera : Elle était réservée aux plus de 55 ans qui étaient dans l’incapacité de retravailler après l’accident.

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Euronews : Après le sauvetage, des gens ont dit que vous aviez reçu trop d’argent; vous avez d’ailleurs été critiqué pour cela. Est-ce que c’est vrai? Êtes-vous toujours critiqués?

*Daniel Herrera :*Oui, nous avons reçu de l’argent, mais pas tant que ça. Nous avons obtenu 8 millions de pesos, et oui, effectivement, des gens continuent de nous reprocher d’avoir plein d’argent.

Euronews : Vous êtes devenus des célébrités mondiales pendant quelques jours. Qu’avez-vous ressenti quand cet intérêt a commencé à décliner?

Daniel Herrera : Rien du tout. Je ne cherchais pas la célébrité, la gloire. Je voulais juste aller bien. J’ai suivi un traitement psychologique pendant un an et demi, j’ai participé à des discussions de groupe, durant lesquelles j’essayais d’aider les autres en racontant mon expérience dans la mine. J’ai surmonté cela avec un message d’espoir : il ne faut pas abandonner face à l’adversité.

Euronews : Y-a-t-il un message que vous souhaiteriez transmettre aux autorités ou à vos anciens collègues?

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Daniel Herrera : Aux autorités, je leur réitère ma déception. Quant à mes collègues, je leur dis : soyez forts pour traverser cette épreuve. Il faut continuer à avancer.

Euronews : Merci beaucoup, prenez soin de vous.

Daniel Herrera : Merci à vous.

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