Ellen MacArthur : 'Aujourd'hui, je me bats en faveur de l'économie circulaire'

Ellen MacArthur : 'Aujourd'hui, je me bats en faveur de l'économie circulaire'
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Par Euronews
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Isabelle Kumar a rencontré la navigatrice britannique sur l‘île de Wight au large de la Grande-Bretagne. L’occasion de faire le point sur les nouvelles activités de cette toute jeune retraitée qui compte notamment à son actif une deuxième place au Vendée Globe et un record du tour du monde en solitaire.

Ellen MacArthur

  • Ou devrait-on dire Dame Ellen MacArthur. La navigatrice britannique connaît la gloire pratiquement du jour au lendemain lorsqu’elle termine deuxième du Vendée Globe en 2001 à seulement 24 ans. Le Vendée Globe, la course mythique autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance.
  • Trois ans plus tard, elle bat le record du tour du monde à la voile en solitaire détenu jusque-là par Francis Joyon.
  • En 2005, elle est anoblie par la reine Elizabeth II. En 2008, Nicolas Sarkozy lui remet les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.
  • En 2009, à l‘âge de 33 ans, Ellen MacArthur annonce qu’elle met fin à sa carrière sportive. L’année suivante, elle crée la Fondation qui porte son nom pour défendre l‘économie circulaire qui prône un changement radical de notre modèle économique afin de préserver nos ressources naturelles et d’assurer un avenir viable aux générations futures.

Isabelle Kumar, euronews :
“ L‘économie circulaire, votre nouvelle croisade, consiste à transformer
radicalement la façon dont l‘économie mondiale fonctionne afin de mieux
gérer nos ressources. Mais qu’est-ce-qui vous laisse penser que vous en
êtes capable ? “

Ellen MacArthur :
“ (…) Quand vous naviguez autour du monde, vous prenez tout ce dont vous avez besoin. Vous prenez la mer pour 3 mois par exemple et vous préparez tout ce dont vous aurez besoin, parce que vous ne ferez pas d’escale, vous ne pourrez pas acheter du carburant ou de la nourriture supplémentaires. Et donc vous devez gérer tout ce qui se trouve à bord jusqu‘à la dernière goutte de diesel, la dernière ration de nourriture et c’est là, que vous réalisez ce que veut dire le mot ‘rareté’. Parce que ce que vous avez emporté, c’est tout ce dont vous disposerez.

Quand j’ai franchi la ligne d’arrivée, je me suis brusquement rendue compte que pour notre économie mondiale, c‘était pareil. Notre économie mondiale repose sur des ressources qui ne sont pas inépuisables. Donc la solution, c’est une gestion raisonnée (…). “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Comment mettre en pratique les principes de l‘économie circulaire dans notre vie quotidienne ? Donnez moi un exemple. “

Ellen MacArthur :
“ L‘économie circulaire revient à regarder notre modèle économique actuel comme un modèle linéaire : on extrait une ressource du sol, on fabrique quelque chose avec, et puis on la jette en essayant d’en recycler le maximum.

Avec l‘économie circulaire, vous concevez des produits en ayant dès le départ à l’esprit la façon dont ils seront plus tard désassemblés. Dès la conception, vous pensez à la re-fabrication. Vous concevez un produit qui fait partie d’un circuit. Il peut s’agir d’une pièce détachée de voiture ou la voiture elle-même (…).

Prenons l’exemple d’un lave-linge. Au lieu d’acheter un lave-linge, pourquoi ne pas payer une redevance pour un nombre déterminé de lavages ? Car, à bien y regarder, vous payez une taxe quand vous achetez le lave-linge, vous en payez une autre – l‘éco-participation – quand vous souhaitez vous en débarrasser. Quand vous achetez un lave-linge, vous payez aussi pour tous les matériaux utilisés, les métaux, les polymères. Et tous ces appareils ne sont pas faits pour durer éternellement, parce que c’est ainsi que fonctionne notre modèle économique. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Les grandes entreprises ne doivent pas être de votre côté ? “

Ellen MacArthur :
“ (…) Au départ, notre idée était que si l’on pouvait concevoir des cycles pour les matériaux techniques et biologiques, alors on pourrait construire une économie régénérative, une économie restaurative. Cela signifie que vous concevez un produit dans la perspective de son désassemblage, de sa re-fabrication. Un produit technique contient des métaux, des plastiques, des polymères, eh bien ces matériaux et le produit lui-même devront être récupérés pour être revendu ou re-fabriqué, régénéré, décomposé autant que possible afin de remettre dans le circuit le produit entier ou le plus grand nombre de pièces détachées. Et chaque rapport économique que nous avons étudié jusqu’ici a démontré les avantages économique du modèle circulaire. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Comment cela fonctionne-t-il au niveau international ? Je vois comment cela peut marcher au niveau national, mais pas au niveau international face aux très nombreuses exportations chinoises par exemple ? “

Ellen MacArthur :
“ Je vais prendre l’exemple des moteurs Renault remanufacturés.

Renault est une multinationale et en Europe, ce qu’elle fait, c’est récupérer des moteurs, des boîtes de vitesses, des pompes à injection usagés à travers l’ensemble de son réseau. Toutes ces pièces sont expédiées dans une usine près de Paris où elles sont reconditionnées. On les démonte, on les nettoie par ultrasons, on les ré-assemble avec en priorité des pièces remanufacturées et quelques pièces neuves. Et ces moteurs sortent de l’usine avec la même garantie qu’un moteur neuf, mais à un prix inférieur. Avec ses moteurs remanufacturés, Renault réalise plus de bénéfices qu’avec ses moteurs neufs. Cette usine près de Paris est la plus rentable de toutes les usines Renault à travers le monde. Et cela montre bien que vous pouvez changer le système au niveau international et que cela profite à l’utilisateur comme au fabricant. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Nous avons demandé aux internautes de nous envoyer leurs questions et tout cela les intrigue beaucoup. Voici notamment la question de SelgSea qui se demande ce qui vous motive ? “

Ellen MacArthur :
“ Vaste question ! Je me motive en me fixant des objectifs. Comme vous le savez, j’ai navigué autour du monde, c‘était mon métier, et je n’ai jamais imaginé une seule seconde que j’arrêterai. Je pensais que je continuerais à naviguer jusqu‘à 80 ans. Mais quand j’ai réalisé que l‘économie globale ne fonctionnait pas, j’ai eu l’impression que c‘était le plus gros défi que j’aurais jamais à relever. C’est venu comme ça, je n’y avais jamais pensé auparavant. Donc je suppose que ce qui me motive, c’est d’essayer de faire la différence, de faire quelque chose de positif, d’avoir un but. Et si vous réunissez tous ces éléments, alors vous avez le défi idéal. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Abandonner, est-ce une option pour vous ? “

Ellen MacArthur :
“ Abandonner n’a jamais été une option, en aucun cas, encore moins quand l’enjeu est important. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Quels sont les principaux obstacles à la mise en pratique de l‘économie circulaire ? “

Ellen Macrthur :
“ (…) Le défi, c’est de changer l’ensemble du système. Donc il est question de conception, mais aussi de marketing, d’innovation, de financement. Tous les départements d’une entreprise sont concernés. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ C’est 100 % positif ? Il n’y a pas de point négatif ?

Ellen MacArthur :
“ (…) L’un des enjeux est qu’il s’agit d’un changement systémique. Cela touche tous les aspects économiques, c’est donc difficile de savoir par où commencer, que ce soit au niveau des entreprises ou de la réglementation de la Commission européenne. Le point négatif, c’est peut-être ça justement, le fait qu’il faille changer le système dans son ensemble. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Vous venez de mentionner la Commission européenne. Elle a récemment dévoilé sa propre approche de l‘économie circulaire basée majoritairement sur le recyclage et l’interdiction des décharges. Qu’en dites-vous ? “

Ellen MacArthur :
“ L’un des éléments les plus intéressants dans le travail de la Commission européenne sur l‘économie circulaire, c’est par exemple sa directive sur l‘éco-conception qui met l’accent sur la consommation énergétique des appareils et qui indique comment faire plus, en terme de recyclabilité des produits bien sûr, mais aussi comment concevoir des produits dans la perspective de leur recyclage, de leur régénération. Donc il s’agit davantage d’avoir une vue d’ensemble que de se focaliser sur le seul aspect énergétique. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Cela va-t-il assez loin ? “

Ellen MacArthur :
“ Aller assez loin signifie avoir une économie entièrement circulaire. Et cela prendra du temps. (…) Cela dit, nous n’en sommes qu’au début. (…) Mais le plus tôt sera le mieux ! Des objectifs sont fixés pour chacun de nos programmes individuels, nous avons des objectifs pour nos entreprises partenaires. Concernant l’objectif global, c’est-à-dire: aura-t-on un jour une ‘économie 100 % circulaire’ ? C’est impossible, car il y aura toujours ce phénomène d’entropie, il y aura toujours une déperdition de matériaux. Mais on va dans la bonne direction.

Cela me rappelle quand j‘étais enfant. Je devais avoir 4 ans et j‘étais en train de naviguer. A 4 ans, naviguer était pour moi le comble de la liberté. Et c’est à cette époque-là que j’ai décidé qu’un jour je ferai le tour du monde. Et je savais que je ferais absolument tout mon possible pour y arriver. Et cela s’est produit. J’ai ressenti la même chose quand j’ai commencé à m’intéresser à l‘économie circulaire. C’est un but vers lequel tendre. Nous n’y arriverons pas demain, ni même dans 10 ou 20 ans mais le principal est d’en prendre le chemin. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Et en terme d’adrénaline, ce que vous faites maintenant vous stimule autant que la navigation ? “

Ellen MacArthur :
“ Il y a de l’adrénaline dans ces 2 mondes. Sont-elles comparables ? Quand vous faites le tour du monde à la voile, vous avez une décharge massive d’adrénaline. Vous craignez pour votre vie. Mais au final, ça n’a pas d’importance. Si ça tourne mal, ça ne concerne que vous, votre famille et vos proches. Ça n’a pas vraiment d’importance. Ce que vous faites, vous le faites pour vous, car c’est le but que vous vous êtes fixé. Là maintenant, je ne le fais pas pour moi. C’est quelque chose de beaucoup plus grand. C’est un défi majeur pour nous tous. Et s’il y a plus d’adrénaline dans ce projet, c’est parce qu’il compte, qu’il est important. L‘économie mondiale est importante. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Nous avons reçu cette question de Tituson qui aimerait savoir qu’elle a été votre plus grande peur quand vous étiez navigatrice ? Et j’ajouterais : quelle est votre plus grande peur maintenant ? “

Ellen MacArthur :
“ En tant que navigatrice, ma plus grande peur était l‘échec. Et ma plus grande peur maintenant, c’est aussi l‘échec. “

Isabelle Kumar, euronews :
“Donc vous n’avez pas le choix. Cela doit fonctionner ? “

Ellen MacArthur :
“ C’est la chose la plus importante que j’ai jamais faite sans aucun doute. “

IsabeIle Kumar, euronews :
“ L’innovation est synonyme d’aventure. Or, souvent on entend dire que les jeunes ont perdu le goût de l’aventure. Qu’en pensez-vous ? “

Ellen MacArthur :
“ (…) Le plus important dans la vie, c’est l’itinéraire que vous empruntez et non la destination finale. Il y a une grande part de vérité dans ce mot ‘aventure’ et dans ce que nous entreprenons aujourd’hui avec l‘économie circulaire. Il est question d’innovation, de créativité et de changer le système tout entier. C’est impressionnant. On peut lire l’envie dans les yeux des étudiants et des entrepreneurs. L’envie de relever ce défi. “

Isabelle Kumar, euronews :
“ La reconnaissance publique que vous a apportée la voile vous a permis de faire cela. Aimez-vous la célébrité ? “

Ellen MacArthur :
“ La célébrité ne m’a jamais intéressée. Je suis extrêmement reconnaissante du soutien que l’on m’a apporté. La chaleur de l’accueil quand vous rentrez d’un tour du monde, c’est incroyable, absolument incroyable. Mais cela n’a rien à voir avec la célébrité (…). “

Isabelle Kumar, euronews :
“ Si vous deviez citer un moment fort de votre carrière en tant que navigatrice ou bien maintenant que vous travaillez sur l‘économie circulaire, quel serait-il ? Et quel est votre plus mauvais souvenir ? “

Ellen MacArthur :
“ Je pense que le moment fort est toujours à venir, il n’est pas encore arrivé. Je pense que c’est très important d’avoir un but dans la vie (…).

S’agissant des mauvais souvenirs, il y en a eu beaucoup. Par exemple quand je n’arrivais pas à trouver le financement pour ma fondation
(…). “

Isabelle Kumar, euronews :
“ J’aimerais conclure avec cette question de Mohammed Uba qui demande d’abord, quelles sont les clés de votre succès et, sans vouloir vous enterrer trop vite, ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous ? “

Ellen MacArthur :
“ Les clés de mon succès ? La détermination. (…) Je ne sais pas du tout pourquoi je suis aussi déterminée. Mais je l’ai toujours été. J’ai l’esprit de compétition et je suis déterminée, mais de façon sélective. Il y a un certain nombre de choses auxquelles j‘étais très attachée comme de faire le tour du monde. J’ai tout fait pour que cela arrive. Au début, j‘économisais sur mes tickets de cantine parce que je n’avais pas d’argent de poche pour pouvoir m’acheter un bateau, et puis j’ai fait le tour de Grande-Bretagne et c‘était tout un événement ! J‘étais concentrée sur cet objectif. Donc oui, la détermination.

Quant à ce que j’aimerais que l’on retienne de moi ? Juste que j‘étais quelqu’un de bien. “

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