Pologne : la jeune génération est-elle une « génération condamnée » ?

Pologne : la jeune génération est-elle une « génération condamnée » ?
Par Ewa Dwernicki
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Taxés d’esprit revendicatif, d’absence d’engagement politique, considérés comme égoïstes et adeptes du moindre effort, les jeunes Polonais font souvent l’objet de critique de la part de leurs aînés. Qu’en est-il réellement ? Sont-ils vraiment ces « éternels étudiants » accrochés au confort matériel assuré par leurs parents ou plutôt des victimes d’un marché du travail saturé les condamnant à l’incertitude et à la dépendance ?

La jeunesse polonaise d’aujourd’hui est probablement la première génération, depuis la seconde guerre mondiale, dont le niveau de vie sera plus modeste que celui de ses parents. Ce triste constat qui n’étonne plus dans les vieilles démocraties occidentales où l’on parle souvent du déclassement, surprend dans un pays qui depuis la chute du communisme a le vent en poupe et collectionne des taux de croissance enviés par le reste de l’Europe.

Premières victimes du chômage et de « contrats-poubelle »

Même si les dernières statistiques (Eurostat) parlent d’une récente tendance à l’amélioration de leur situation sur le marché du travail, les jeunes Polonais âgés de moins de 25 ans restent les premières victimes du chômage. Environ 23% de cette classe d’âge est sans emploi.
En Pologne, sur 24 mln d’actifs 14 mln sont nés entre 1945 et 1965. Ces personnes sont pour la plupart trop jeunes pour partir à la retraite alors même que leurs enfants se lancent déjà sur le marché du travail. Les fruits des deux plus grands booms démographiques s’y retrouvent donc en même temps.

C’est également la jeune génération qui subit de plein fouet le phénomène de « l’emploi-poubelle », qui comprend toutes sortes de « petits contrats » sans garantie à long terme. Dans le groupe des 21-25 ans, le contrat à durée déterminée reste une exception (seulement un quart de cette population en possède) et selon l’étude POLPAN*, 32,5% occupent des postes non-salariés.

« Tanguy » malgré eux ou le difficile chemin vers l’autonomie

L’instabilité financière qui en découle ainsi que l’augmentation du coût de la vie empêchent les jeunes de devenir autonomes. Le phénomène de « Tanguy », ces jeunes entre 25 et 35 ans qui vivent encore chez leurs parents, n’est plus une exception. Au contraire, c’est une tendance forte qui semble confirmée par les statistiques : selon Eurostat, le phénomène touche 43,5% de cette tranche d’âge. La même source révèle que l’âge moyen auquel les jeunes Polonais quittent la maison familiale est d’environ 28,5 ans, ce qui est au-dessus de la moyenne de l’Union européenne.

Source de stress permanent, cette situation de dépendance et de manque d’autonomie est souvent très mal vécue. Selon les thérapeutes du Centre universitaire de psychothérapie de l’Ecole Supérieure de Psychologie Sociale de Varsovie, l’âge moyen des personnes accueillies en consultation n’a cessé de baisser ces dernières années. Sur un demi-millier de patients qui se sont rendus au centre entre 2007 et 2011, 60% n’avaient pas encore 26 ans.

Une génération qui doute

Henryka Bochniarz, présidente de Konfederacja Lewiatan*, confirme également ce malaise. Dans un article intitulé « Les jeunes sans débouchés ? » (Gazeta Wyborcza, septembre 2014), l’économiste décrit une génération déçue. Elevés dans une période de grandes transformations, les jeunes entre 20 et 30 ans ont épousé les aspirations de ces années de succès. Or, la réalité du ralentissement économique, inévitable, les a confrontés à l’impossibilité de leur réalisation. Leur frustration est d’autant plus grande que ce sont justement eux qui étaient censés devenir le moteur du grand saut de civilisation annoncé par les hommes politiques polonais il y a dix ans.

Le moral en berne de la jeune génération polonaise transparaît aussi dans l’étude intitulée « Jeunesse 2013 », réalisée par le centre d’opinion publique polonais CBOS. Manque de confiance en leurs capacités à diriger le cours de leur vie, manque de désir d’engagement politique et peur du chômage sont les principaux traits de caractère du portrait des jeunes dressé par l’étude.

Mais ce qui inquiète le plus les observateurs est le fait que plus d’un tiers des jeunes considèrent l’émigration comme le seul remède capable de répondre à leurs préoccupations. Selon le dernier rapport Work Service, parmi les candidats à l’émigration, 74% ont moins de 35 ans. C’est pour le moins alarmant dans un pays menacé par la crise démographique.

*Créée en 1999, Konfederacja Lewiatan est une ONG qui représente les intérêts des entrepreneurs privés polonais

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