"Le réglement européen sur la protection des données, c'est du gagnant-gagnant"

"Le réglement européen sur la protection des données, c'est du gagnant-gagnant"
Par Damon EmblingStéphanie Lafourcatère
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L'eurodéputé vert Jan Philipp Albrecht évoque pour nous, le règlement général européen sur la protection des données dont il est l'un des artisans et qui entre en vigueur ce 25 mai. Il l'estime protecteur pour les particuliers, mais aussi profitable aux entreprises.

Eurodéputé vert allemand et vice-président de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, Jan Philipp Albrecht a largement contribué à l'élaboration du Règlement général européen sur la protection des données : le fameux RGPD. 

Ces nouvelles règles qui représentent une avancée majeure par rapport aux textes en vigueur dans ce domaine depuis vingt ans restreignent la collecte, le stockage et l'utilisation des données personnelles par les entreprises : les noms, les photos, les adresses mail et les publications sur les réseaux sociaux, par exemple.

Les individus auront plus facilement accès aux données détenues par les sociétés qui elles, devront plus clairement informer sur les consentements qu'elles doivent leur demander. Pour celles qui ne respecteraient pas le RGPD, les amendes peuvent aller jusqu'à 4% du chiffre d'affaires annuel : ce qui peut signifier des millions d'euros pour certaines.

Après les derniers scandales sur les données, ce règlement est-il bénéfique pour les entreprises et les particuliers ? Jan Philipp Albrecht nous répond.

Damon Embling, euronews :

"La vente des données est vue comme le secteur pétrolier du XXIe siècle grâce auquel de grands groupes se font de l'argent. Est-ce ainsi que vous voyez les choses ?"

Jan Philipp Albrecht, eurodéputé vert allemand et défenseur de la confidentialité des données :

"Mettre sur le même plan, les données et le pétrole, ce n'est pas approprié, il y a des différences. Mais il y a aussi une part de vérité dans le sens où le pétrole est en train de disparaître de notre modèle industriel et où de plus en plus de business models s'appuient sur les données. Et de nombreuses innovations reposent sur l'exploitation des données. Il peut s'agir de données personnelles ou non, mais dans le premier cas, il y a bien un impact sur nos vies."

"Un bon compromis"

Damon Embling :

"Le RGPD, c'est à première vue, une excellente chose pour nous tous. Mais durant ces années où vous avez travaillé sur son élaboration, vous avez fait face à une certaine résistance, non ?"

Jan Philipp Albrecht :

"Oui, c'est un sujet sensible : beaucoup de gens aimeraient moins de règles, beaucoup d'autres en aimeraient plus. Je crois qu'au final, on a atteint un assez bon compromis - pour ne pas dire, une situation où tout le monde est gagnant - : on donne aux citoyens, un niveau de confiance élevé dans la numérisation, les nouvelles technologies et les nouveaux produits (qui peuvent être très enthousiasmants, mais aussi très risqués) ; d'un autre côté, on établit un échelon commun où les normes s'appliquent : il n'y aura pas 28 échelons différents. Et puis, on crée aussi des opportunités pour utiliser les données dans l'avenir et c'est important."

Damon Embling :

"La plupart des Européens emmènent leur smartphone partout avec eux, ils sont sur leur ordinateur tous les jours pour regarder leurs mails, aller sur les réseaux sociaux... Jusqu'à maintenant, comment leurs données ont-elles été utilisées ?"

Jan Philipp Albrecht :

"De manière totalement chaotique. Il y avait toute une série de pratiques différentes dans l'usage des données personnelles : comment on informe ses clients, comment on respecte leurs droits. Des règles sur la protection des données existaient déjà depuis longtemps, mais elles étaient ignorées dans la pratique, en particulier sur le web."

"Une plus grande transparence"

Damon Embling :

"Donnez-nous un exemple de l'exploitation de notre activité sur les réseaux sociaux et en quoi, ce sera différent avec ces règles. Quelles seront les protections supplémentaires ?"

Jan Philipp Albrecht :

"L'avancée la plus importante pour les consommateurs, c'est cette plus grande transparence. Si en tant qu'entreprise, j'utilise les données personnelles d'un client, je dois m'assurer qu'il sait que je les utilise dans tel ou tel but, que je les donne à une autre entreprise... C'est important parce que sinon, la personne ne peut pas vraiment faire valoir ses droits fondamentaux comme d'accéder à ses données ou à les supprimer. Il y a encore du travail à faire dans les explications qui sont fournies."

Damon Embling :

"Apparemment, Facebook change ses règles pour que ses utilisateurs non européens échappent au règlement européen, et ce alors que son siège international est en Irlande. Les entreprises vont essayer de contourner ce règlement, n'est-ce pas ? Comment l'éviter ?"

Jan Philipp Albrecht :

"En tout cas, au sein de l'Union européenne, elles ne peuvent plus le contourner. Et quand Facebook dit, notre activité en Argentine n'est pas concernée par la législation européenne, cela montre bien que la législation européenne s'applique et que c'est pour cela qu'ils déplacent ce type de services à l'étranger ! Mais je crois aussi que les utilisateurs en Argentine et même aux Etats-Unis seront surpris si Facebook dit : 'On est prêt à fournir de la confidentialité aux Européens, mais pas à vous.' Ce ne sera pas tenable bien longtemps."

Damon Embling :

"Ces règles instaurent des obligations pour les entreprises sur l'obtention de notre consentement. Mais cela ne va pas forcément réduire la quantité de données qu'elles collectent, non ?"

Jan Philipp Albrecht :

"On doit s'assurer que nos données ne soient pas traitées et collectées plus que nécessaire."

Damon Embling :

"Mais selon vous, ces règles vont-elles réduire la quantité de données collectées ?"

Jan Philipp Albrecht :

"Je crois que les individus auront un meilleur contrôle pour pouvoir interrompre ce flux de données."

"Aucune loi ne peut nous protéger de nous-mêmes, on devrait faire valoir nos droits"

Damon Embling :

"Beaucoup de gens ne lisent pas ce qui est écrit en tout petit quand ils surfent sur internet et ils cliquent tout de suite sur 'OK' pour avoir accès à ce qu'ils veulent.

Que peut-on faire ? Les gens cliquent tout de suite sur 'OK' alors que peut-être, leurs données continuent d'être utilisées d'une manière qui ne leur convient pas..."

Jan Philipp Albrecht :

"L'important, c'est que s'il y a une option d'acceptation, il existe bien une opportunité pour moi d'intervenir."

Damon Embling :

"Devrait-on être plus responsables ?"

Jan Philipp Albrecht :

"Oui, je crois. Aucune loi ne peut nous protéger de nous-mêmes. Donc si je mets à disposition mes données, je ne suis pas protégé. Je le suis quand je peux contrôler mes données et c'est ce qu'on devrait faire. On devrait faire valoir nos droits."

"Les entreprises qui s'y conforment en Europe sont avantagées"

Damon Embling :

"Il y a un risque que cela nuise aux économies européennes en termes d'emploi et d'activité. Cela peut entraîner leur délocalisation du fait de ces règles strictes. Faut-il s'en inquiéter ?"

Jan Philipp Albrecht :

"Je ne pense pas. De nombreuses entreprises dans le monde sauf Facebook décident de se conformer aux règles européennes parce que si elles respectent la loi en Europe, elles la respectent dans le monde entier. On exporte notre modèle de protection des données et de la vie privée et les entreprises qui s'y conforment en Europe sont avantagées pour pouvoir vendre leurs produits en tant qu'alternative à Facebook notamment."

Damon Embling :

"Mais vous imposez aux entreprises plus de bureaucratie et cela va leur coûter beaucoup d'argent d'appliquer ces nouvelles règles."

Jan Philipp Albrecht :

"La mise en place de nouvelles règles, en particulier quand on les harmonise dans l'Union européenne, cela nécessite toujours de s'adapter."

"Il y avait des vides juridiques"

Damon Embling :

"Les scandales sur les données ont montré combien nos données à nous, citoyens de l'Union, sont vulnérables. Pourquoi ces règles n'ont-elles pas été instaurées plus tôt ? Les entreprises y ont échappé longtemps, n'est-ce pas ?"

Jan Philipp Albrecht :

"Oui. Nous avons eu des années de non-application des règles en matière de protection des données. Parce qu'il y avait des vides juridiques avec par exemple, des autorités très passives comme en Irlande. Ce qui fait que des entreprises se sont cachées là-bas."

Damon Embling :

"Mais pourquoi l'Union a-t-elle permis que les entreprises y échappent ?"

Jan Philipp Albrecht :

"Parce qu'il ne s'agissait que d'une directive qui permettait aux Etats membres de mettre en œuvre la législation différemment. Les entreprises avaient juste à demander à leur service juridique de trouver où étaient ces vides. On devait arrêter ça."

"Nous sommes les premiers dans le monde à mettre en place des normes concrètes"

Damon Embling :

"À l'avenir, pensez-vous que d'autres régions du monde appliqueront ces règles ? Je pense à l'Amérique par exemple."

Jan Philipp Albrecht :

"Je crois que 68 ou 69% des consommateurs américains réclament une protection équivalente au RGPD. Donc il y a beaucoup de pression pour l'obtenir."

Damon Embling :

"Mais y a-t-il la volonté politique ?"

Jan Philipp Albrecht :

"Au Congrès, il y a plusieurs propositions qui sont examinées. Donc les débats ne sont pas clos. Au contraire, ils viennent de commencer. Mais, nous sommes les premiers dans le monde à mettre en place des normes concrètes."

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