Vox en Andalousie : le tabou de l'extrême-droite commence à tomber

Vox en Andalousie : le tabou de l'extrême-droite commence à tomber
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Par Valérie Gauriat
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Dans ce reportage en Andalousie pour Insiders "L'Europe hors des sentiers battus", Valérie Gauriat enquête sur les facteurs qui alimentent l'essor local du nouveau parti espagnol d'extrême-droite Vox.

**Dans ce deuxième numéro d'Insiders "L'Europe hors des sentiers battus", une série de reportages que nous vous proposons à l'approche des élections européennes de mai, notre journaliste Valérie Gauriat est en Andalousie pour enquêter sur le nouveau parti d'extrême-droite espagnol Vox qui gagne du terrain dans cette région. **

Dans la ville de La Línea de la Concepción durement touchée par le chômage et située à la lisière de Gibraltar, elle se heurte au refus des représentants locaux de Vox d'être interrogés et rencontre des habitants divisés : une partie d'entre eux rejettent les idées de cette formation tandis que d'autres les soutiennent, mais refusent de l'admettre face caméra.

Ce jour-là, une patrouille de routine survole en hélicoptère, les rives de La Línea de la Concepción face au détroit de Gibraltar et des côtes marocaines. Cette ville du sud de l'Andalousie est connue comme la porte d'entrée du haschich vers l'Europe. À bord, le pilote lance : "En route chez les narcos ! Jusqu'à la fin de l'année dernière, ces gens agissaient comme ils voulaient," dit-il. 

Depuis quelques mois, la police espagnole multiplie les opérations contre les narco-trafiquants. Dans ses locaux, un policier nous montre où est entreposée la drogue saisie. Chacun des colis d'un kilo de haschich rapporte au minimum 30.000 euros.

"Le trafic de drogues à La Línea est-il devenu un mode de vie ?" demande notre reporter Valérie Gauriat au policier. Il répond : "Oui, c'est un mode de vie. Rendez-vous compte que c'est une société qui ne travaille pas et qui vit de ça, mais aussi de la contrebande de tabac qu'il y a ici à La Línea," indique-t-il.

Terrain fertile pour Vox

Nous nous rendons sur une plage qui est l'un des principaux points de débarquement des cargaisons de drogue. "Le chômage est très grave ici, il y a très peu de travail," explique le policier. "Alors, c'est plus facile, surtout pour les jeunes, de se livrer à ce type d'activités," fait-il remarquer.

Protection des frontières, criminalité, chômage, trois des thèmes sur lesquels surfe le parti d'extrême-droite Vox qui a fait une percée aux dernières élections régionales en Andalousie.

Nous avons rendez-vous avec ses représentants à la Linea, un jour de marché. Mais au dernier moment, des ordres sont tombés : notre caméra n'est plus la bienvenue. 

Valérie Gauriat s'adresse à un militant : _"Le siège dit que vous ne pouvez pas nous parler, officiellement ?" _

"Oui, pas juste à vous, à personne !" répond-il. Notre journaliste lui demande pourquoi. "Je ne sais pas" est sa seule réponse, puis il lui demande d'éteindre notre caméra.

"Je vais dire à mon parti qu'il communique mieux"

Nous nous approchons du stand. La militante qui avait confirmé nos rendez-vous ne veut plus rien entendre. Nous serons contraints de masquer son identité. Une jeune fille l'interpelle : elle fustige les positions radicales de Vox envers les immigrants et les homosexuels. "Je ne trouve pas cela bien," dit-elle. "Dehors j'entends des choses et je vois ce que vous êtes en train de générer !" La militante lui répond : "Mais tu écoutes ce que nous, on dit ou ce que les médias disent de nous ?"

"J'entends ce que j'entends et je vois ce que je vois !" assure la jeune fille avant d'ajouter : "Ici, vous dites autre chose que ce qu'on perçoit à l'extérieur : vu de l'extérieur, vous provoquez de la haine envers ces personnes !"

La militante lui répond : "Alors je vais dire à mon parti qu'il communique mieux parce que je te garantis qu'en aucun cas, nous ne sommes homophobes, ni xénophobes !"

Elle nous interpelle : "Tu filmes encore ? Vas-y ! Continue !" Un autre militant lui conseille d'aller chercher la police, ce qu'elle fait.

Un policier s'approche de nous : "Vous ne pouvez pas la filmer," dit-il. "Je sais, mais c'est une manifestation publique !" lui répond notre reporter. "Oui, mais vous connaissez la loi."

"Au moins, ça fera du changement !"

Plus rien n'est possible avec les militants. Nous cherchons des sympathisants de Vox dans les allées du marché. Nous demandons aux passants si pour eux, l'arrivée de ce nouveau parti est une bonne chose. Une mère et sa fille nous répondent par l'affirmative. _"Au moins, ça fera du changement,"_dit la fille. Sa mère renchérit : "Moi je pense que c'est bien, je ne suis pas trop du genre à voter pour la nouveauté, mais tout le reste va si mal !"

José Santiago, vendeur sur le marché, estime pour sa part que "Vox est un parti différent des autres et on espère un changement, qu'il offre quelque chose de plus que les autres partis. "On verra si ça change," poursuit-il, "il faut qu'il aide plus les travailleurs et les petites et moyennes entreprises, qu'il fasse plus pour les gens modestes."

Une autre vendeuse nous précise : "Je ne comprends rien à la politique et je ne veux pas comprendre. Parce si on demande de l'aide, si on demande quoi que ce soit, nous, les Espagnols, on a aucune aide," estime-t-elle avant de nous lancer : "Ça te suffit pas ? Il faut qu'on émigre nous aussi pour avoir des droits ? Je suis claire ?"

"On aide tous ces gens de l'extérieur et les gens d'ici, on ne les écoute pas !"

L'immigration, un thème central pour Vox. À quelques kilomètres de la Linea, le port d'Algésiras est l'un des principaux points d'entrée des candidats à l'exil européen sur les côtes espagnoles.

Nous abordons un groupe de militants de Vox en campagne à Algésiras. De nouveau, sans succès. Leur coordinateur n'étant pas là, personne ne veut nous parler sans son autorisation. Nous ne l'obtiendrons jamais.

Nous tentons notre chance quelques mètres plus loin, devant un café. "Je vote pour Vox parce que je suis espagnol, c'est tout, c'est aussi simple que ça," affirme un homme d'un certain âge. Son voisin tempère : "Je partage certaines idées, mais pas toutes..." Il refuse de nous préciser lesquelles devant la caméra.

Les langues se délient à l'intérieur du café. Au comptoir, un autre habitant José Antonio Coronil nous dit qu'il votera pour Vox : "Tous ces gens qui viennent de l'extérieur et qu'on aide... Ils vont à la mairie et elle leur paie l'électricité, l'eau à ces gens qui viennent d'ailleurs... Il y a de quoi te mettre en rage !" estime-t-il. "Alors que les gens d'ici, du village, on ne les écoute pas ! Tu aides d'abord ton foyer avant d'aider ceux de l'extérieur, non ? Une fois que tu t'es occupé de ta maison, tu t'occupes de celle des étrangers !" affirme-t-il. 

"Éviter une désintégration de la nation"

Vox séduit aussi une partie de la classe moyenne. Au centre-ville de La Línea de la Concepción, nombre de commerçants, nous dit-on, aspirent aux baisses d'impôts que promet le parti. Mais là encore, pas question de s'exprimer devant notre caméra.

Le seul à accepter de nous parler à visage découvert est une figure intellectuelle de la ville. Il défend avant tout les thèses de Vox sur l'intégrité territoriale.

"Vox a dit qu'il faut réformer le système d'autonomies que nous avons en Espagne parce qu'il a abouti à des communautés autonomes de différentes catégories," explique Diego López Bonillo, professeur universitaire de philosophie.

"Pourquoi le pays basque doit avoir une charge fiscale différente de la mienne ?" dit-il. "Ce serait bien que l'Etat réassume les compétences éducatives parce que je ne peux pas avoir 17 histoires distinctes et divergentes suivant si je suis d'Estrémadure, d'Andalousie ou de Catalogne," réclame-t-il. "Je crois que la situation actuelle peut mener à une désintégration de la nation si on ne prend pas le bon chemin," conclut-il. 

"Ces hommes qui idéalisent ce qu'on avait avant sans l'avoir vécu"

L'unité nationale, une corde sensible pour beaucoup de sympathisants de Vox.

Parmi eux, nombre de membres des forces de l'ordre. L'un d'eux nous reçoit chez lui avec son épouse à condition de masquer leur identité.

Déçu par le parti populaire, le policier a basculé vers Vox, trop radical pour sa compagne qui elle est restée fidèle au parti conservateur espagnol.

"Je vois une nouvelle fenêtre d'espoir, en particulier par rapport à la défense de l'unité territoriale et de la Constitution, surtout à cause des récents événements vécus en Catalogne et toutes ces dernières années au Pays Basque," explique le policier. "Et maintenant, je vois quelqu'un qui défend l'unité de notre pays," se félicite-t-il avant de lancer : "Je suis espagnol et indépendamment de mes idées politiques, je défends mon pays ! J'aime mon pays ! Pour moi, c'est un sentiment : quand j'écoute l'hymne national, j'ai la chair de poule !"

"C'est une émotion très masculine !" plaisante son épouse avant d'ajouter : "Mais c'est vrai qu'il y a aussi une part andalouse de l'homme du passé, du macho ibérique comme on l'appelle en Espagne. Ce sont ces hommes qui représentent la plus grande part des électeurs de Vox : l'homme qui idéalise ce qu'on avait avant sans l'avoir vécu !" dénonce-t-elle. "La grande majorité des électeurs de Vox n'ont pas connu la dictature car ils ne sont pas assez vieux ! Et donc ils croient que le passé était meilleur et ils vont voter pour eux !" assure la jeune femme. "Sans commentaire," ajoute son mari.

"En Espagne, il y a un tas d'abrutis qui sont pas encore sortis du franquisme !"

Le parti Vox divise à La Línea de la Concepción comme à la frontière qui sépare la ville du rocher de Gibraltar. Chaque jour, des milliers d'Espagnols vont travailler sur le petit territoire, devenu britannique il y a trois siècles.

Vox en réclame la restitution à l'Espagne. Le sujet fâche. "Pour moi, ceux de Vox sont fascistes !" nous lance un passant. "Pourquoi ? C'est ce que tout le monde veut ! Vox dit tout haut ce que tout le monde pense ! C'est ce qu'il faut faire ! Les Espagnols d'abord et les autres après !" assure un autre. 

"On est d'accord là-dessus," lui accorde son interlocuteur. "Mais il y a d'autres choses que tu ne dis pas, ne dis pas de bêtises : ils veulent réduire les droits qu'on avait avant," poursuit-il.

"Vox, c'est nouveau, on va voir ce qui va se passer, on ne sait pas encore," renchérit l'autre qui reconnaît qu'il votera pour Vox "parce qu'il y a beaucoup de choses à améliorer : tout ce que les Espagnols veulent, c'est avoir un salaire digne en Espagne, qu'on puisse bien travailler ici."

Son interlocuteur lui rétorque, indigné : "Ils veulent baisser le salaire minimum ! Je vais te dire une chose : en Espagne, il y a un tas d'abrutis qui sont pas encore sortis du franquisme !"

"Vox mettra en danger les emplois" s'il ferme la frontière avec Gibraltar

Vox a fait vœu de créer une zone industrielle à La Línea pour mettre un terme à sa dépendance économique envers Gibraltar. Une promesse à laquelle beaucoup ne croient pas comme Eladio Pérez, venu chercher son père de retour de Gibraltar.

"Le parti Vox, ici, ça ne vaut rien, ça ne vaut rien en Espagne," estime Eladio Pérez Guerrero, retraité. "La première chose qu'ils ont dit chez Vox, c'est qu'ils allaient fermer la frontière !" dénonce-t-il.

Son fils ajoute : "Je crains que si Vox arrivait au pouvoir, il mettrait en danger mon travail et ceux de toute la zone, beaucoup de commerces dépendent de Gibraltar."

"Ici il n'y a pas d'usine, il n'y a rien, rien de rien, à la Linea !" ajoute son père.

Nous retrouvons Eladio Pérez à quelques kilomètres de là, dans la zone contrôlée par les narco-trafiquants. La carrosserie familiale qu'il tient avec son frère est l'un des rares commerces du quartier. 50% de leur clientèle vient de Gibraltar.

Ajoutée au Brexit, l'entrée de Vox au gouvernement serait à leurs yeux une catastrophe. Mais ils ne croient guère à la longévité du phénomène Vox.

"La plupart des choses qu'ils disent dans leur campagne électorale sont pour moi, peu viables et un peu ridicules : 'tout le monde dehors', 'fermez la frontière', 'pas d'avortement pour les femmes', 'moins de libertés'... Ça fait penser aux années 40, à l'époque d'Hitler !" s'insurge le carrossier.

Un vote sanction ?

"Je crois que beaucoup de gens ont voté pour Vox en Andalousie sans savoir exactement ce que ça représente," indique Eladio Pérez. "Je crois que leur vote était surtout une sanction parce que l'Andalousie a été complètement abandonnée par le gouvernement central et le gouvernement autonome et c'est l'une des régions d'Espagne et d'Europe où il y a le plus de chômage. Donc je crois, ou j'espère, que c'était un vote de sanction," dit-il.

Dans une ville où le chômage frappe 35% de la population, Vox compte bien monter en puissance lors des prochaines législatives. Dans le petit port de pêche de la Atunara, tous partagent le même sentiment d'abandon.

Chassés des eaux territoriales de Gibraltar, étranglés par les quotas imposés par l'Union européenne, les pêcheurs sont ruinés, nous dit Esteban López Salmerón, et n'attendent plus rien de la classe politique. Ou presque.

"Je crois de moins en moins dans les politiques," avoue-t-il. "Ceux qu'on a maintenant ne nous vendent que du vent ! On a vu venir les socialistes, ceux du parti populaire et rien, rien de rien ! Beaucoup de promesses qui ne se réalisent jamais ! Les gens sont désenchantés," juge-t-il. 

"Je crois que personne n'aurait imaginé, même pas ceux de Vox, que ce parti arriverait là où il est arrivé. Mais tout le mal, on l'a déjà vécu... Est-ce qu'on peut avoir pire ? Je ne pense pas," dit-il. "On va essayer et si ça ne va pas, alors dans quatre ans, on verra ! Parce qu'on en a marre des mensonges : ce n'est pas comme ça qu'on avance, qu'on relève un pays," assure-t-il. 

Journaliste • Valérie Gauriat

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