L'opposition des joueurs et de certaines fédérations craignant une relégation sportive en "deuxième division" ont, entre autres raisons, fait échouer le projet de Championnat des nations porté par World Rugby, qui a manqué de temps pour convaincre.
. Quel était le projet?
Le projet officiel présenté mi-mars par le gérant du rugby mondial était le suivant: le Tournoi des six nations, compétition de l'hémisphère nord, et le Rugby Championship, son pendant de l'hémisphère sud, devaient servir, à partir de 2022, de socle à une nouvelle compétition annuelle, sauf les années de Coupe du monde.
Le Tournoi devait conserver son format actuel (5 journées) alors que le Rugby Championship devait accueillir deux nouvelles nations sur un critère méritocratique (Japon et Fidji selon le classement mondial actuel). Également conservées dans leur format actuel, les tournées de juin (dans l'hémisphère sud) et novembre (nord) devaient permettre à chacune des 12 nations de rencontrer toutes les autres et d'établir un classement.
Selon l'ultime mouture du projet, les deux meilleures équipes du nord et du sud devaient s'affronter en finale, les deux dernières étaient elles contraintes à un périlleux match d'accession avec la meilleure équipe de division 2. Un point qui n'a jamais fait consensus.
. Qui était pour?
Les grosses nations du sud (Nouvelle-Zélande, Australie, Afrique du Sud...), places fortes d'une discipline qui y génère paradoxalement moins d'argent que dans le nord, ont tout fait pour rallier les autres à un compromis.
Ce sont d'ailleurs elles qui ont affirmé leur insatisfaction jeudi en voyant disparaître les près de 7 milliards d'euros de revenus garantis sur 12 ans par l'agence de marketing sportif Infront, partenaire commercial du projet. "Déçue", la Sanzaar, l'organisme qui regroupe l'Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Argentine, a regretté "une opportunité ratée d'aligner mondialement le rugby international".
La France, en la personne du président de la Fédération Bernard Laporte, y était également favorable. "C'est dommage", a-t-il réagi jeudi auprès de l'AFP.
. Pourquoi cet échec?
Les joueurs des îles du Pacifique (Fidji, Samoa, Tonga), réunis dans un syndicat (PRPW), avaient rapidement fustigé le premier projet de ligue fermée, qui intégrait Japon et Etats-Unis dans la conférence Sud sans possibilité de promotion/relégation. Ils avaient même appelé à un boycott du prochain Mondial au Japon (20 septembre-2 novembre).
La copie revue, les perspectives économiques étaient intéressantes pour ces archipels, qui regorgent de talents mais n'ont pas de compétition annuelle pour remplir les caisses. Le système de promotion/relégation introduit "aurait tracé un large chemin pour les nations émergentes", souligne World Rugby.
Mais ce même argument a pu échauder des nations comme l'Ecosse ou l'Italie, bien au chaud dans le format actuel des Six nations et qui auraient risqué une relégation aux conséquences financières encore floues. "Il y avait trois ou quatre paramètres (bloquants)... il aurait fallu six mois ou un an de plus", a estimé Laporte.
L'aspect sportif, ou le flou entourant la gouvernance de la future compétition, ont entraîné certains pays à dire non par manque de temps, selon Laporte. "Certaines fédérations disent qu'elles n'ont pas eu le temps de tout analyser, c'est vrai que ça a été fait un peu dans l'urgence", a reconnu le dirigeant français.
. Et maintenant?
La signature des lettres de négociation exclusive devait intervenir mercredi au plus tard: le projet est abandonné. Mais pas dans l'absolu, affirme Laporte: "Les nations du nord ont envie de bâtir avec les nations du sud un gros projet, avec le Tier (division) 2 et le Tier 3. L'abandon du projet ne veut pas dire: +chacun reste chez soi, on est bien+."
La Coupe du monde, menacée par le défunt projet, les joueurs internationaux, qui craignaient l'enchaînement des matches, les ligues française (LNR) et anglaise (PRL), frontalement attaquées par le projet, sortent gagnants du statu quo. Pour l'instant.