Coronavirus : des Américains ont-ils racheté une commande de masques destinée à la France ?

Des personnels déchargent une livraison de 10 millions de masques en provenance de Chine à l'aéroport de Bussy-Lettrée dans l'Est de la France
Des personnels déchargent une livraison de 10 millions de masques en provenance de Chine à l'aéroport de Bussy-Lettrée dans l'Est de la France Tous droits réservés François Nascimbeni, AFP
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Par Marie JametAFP
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Des présidents de régions françaises rapportent devoir lutter pour conserver leur commande de masques en Chine contres des clients américains prêts à tout, payant trois fois le prix et en liquide, pour les racheter directement au pied des avions sur les tarmacs chinois.

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La solidarité internationale s'arrête-t-elle là où la panique commence ?

Des Américains rachètent des masques commandés en Chine par des clients français directement sur le tarmac des aéroports chinois. Les avions de livraison se dirigent ensuite vers les Etats-Unis au lieu de la France. Jean Rottner, président de la région Grand Est a exposé la situation au micro de RTL mercredi 1er avril : "C'est compliqué, on se bat 24 heures sur 24" pour que les masques soient livrés.

"Moi, j'ai une petite cellule au niveau de la région qui travaille d'arrache-pied pour, avec les commanditaires, pouvoir gagner ces marchés. Et effectivement, sur le tarmac, les Américains sortent le cash et payent trois ou quatre fois les commandes que nous avons faites, donc il faut vraiment se battre. Et moi, j'ai été très heureux de voir arriver cet avion chez nous hier soir", a-t-il ajouté.

Sur le tarmac, les Américains sortent le cash et payent trois ou quatre fois les commandes que nous avons faites, donc il faut vraiment se battre
Jean Rottner
Président de la région Grand Est

Renaud Muselier, le président de la région Paca, a rapporté avoir également entendu parler, lors d'une réunion entre les présidents de régions, d'une telle pratique de la part d'acheteurs américains : "Un président de région nous a expliqué que sa commande de masques lui avait été piquée sur l'aéroport même, par les Américains, qui ont payé trois fois le prix, en liquide. Mais je ne vous donnerai ni le nom de la région ni le nombre de masques commandés".

Faisait-il allusion à la commande de la région Île-de-France ? En effet, Valérie Pécresse, la présidente de la région Ile-de-France, a rapporté sur Franceinfo un témoignage similaire : "Nous avions repéré un stock de masques il y a dix jours, qu'on n'a pas réussi à acheter parce que d'autres ont surenchéri, ils étaient prêts à payer trois fois le prix du marché."

Pour sécuriser sa commande de quatre millions de masques, prête depuis samedi, Renaud Muselier et la région Paca a "finalement décidé de passer par le biais de Ceva, la filiale logistique de la CMA-CGM", une compagnie maritime d'affrètement française basés à Marseille. "Au moins, je suis sûr que personne ne va me les acheter sur le tarmac. Normalement, ils sont sur la route vers l'aéroport. Mais je reste d'une prudence de Sioux, c'est un parcours du combattant incroyable" d'un point de vue logistique, a-t-il ajouté.

Le gouvernement a fini par réagir à ces témoignages par la voix de sa porte-parole, Sibeth Ndiaye, sur la chaîne publique française France 2. Elle a ainsi assuré que la France fait "tout" pour "sécuriser" les livraisons de masques, ajoutant : "Si ces comportements existent, ça s'explique sans doute par le fait qu'il y a une tension mondiale sur l'approvisionnement en matériel de protection".

Deux millions de masques chirurgicaux commandés par la région Grand Est à la Chine ont été livrés dans la nuit de mardi à mercredi à l'aéroport de Bâle-Mulhouse.

Jean Rottner, lui-même médecin urgentiste, a commandé au total cinq millions de masques, financés par le budget de la région.

Le gouvernement américain a démenti être à l'origine de ces rachats intempestifs, mais ces acquéreurs pourraient être des acteurs privés. Les Etats-Unis, qui ont tardé à prendre des mesures pour enrayer la propagation du coronavirus sur leur territoire, sont néanmoins à la recherche de masques.

L'offre et la demande à l'état sauvage

La compétition pour l'achat de masques contre le virus est sans pitié et le phénomène est mondial.

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a demandé jeudi une enquête après des informations de Radio Canada selon lesquelles une cargaison de masques achetée en Chine pour le Québec aurait été livrée en plus faible quantité que prévu après qu'une partie eut été revendue "au plus offrant", à savoir les États-Unis.

L'ancien Premier ministre slovaque Peter Pellegrini a, quant à lui, déclaré à la télévision TA3 le 15 mars que son pays avait réservé des millions de masques en Ukraine, qui devaient être payés comptant. "Nous étions en train de préparer une mallette avec 1,2 million d'euros. Nous devions utiliser un vol gouvernemental spécial pour aller récupérer les masques. Mais un intermédiaire allemand est arrivé avant, a surenchéri et l'a acheté".

Ces accrocs surviennent parfois à l'intérieur même de l'Union européenne. La République tchèque avait ainsi détourné peu après la mi-mars des masques initialement en route pour l'Italie. Les autorités de Prague ont affirmé que la saisie avait été décidée "sur la base d'un soupçon de comportement frauduleux et activités criminelles", mais se sont engagées à envoyer en Italie "dans les meilleurs délais l'équivalent du matériel", selon l'ambassade tchèque à Paris.

La compétition est d'autant plus rude que les acteurs cherchant à acheter des masques sont nombreux : Etat, régions, grandes entreprises. A cela s'ajoutent les intermédiaires. En effet, en Chine, peu de producteurs disposent de licences d'exportation. Les autres sont obligés de passer par des sociétés de négoce s'ils veulent pouvoir exporter. D'où l'existence de ces nombreux intermédiaires.

"Les États sont en situation de compétition les uns envers les autres, voire de rivalité. C'est ce que la philosophie politique nomme l''état de nature'", rappelle le chercheur Jean-Sylvestre Mongrenier de l'institut franco-belge Thomas More, une "insécurité endémique entre les nations voire, en cas de désagrégation de l'ordre public international, un état d'anarchie".

Pour autant, "le surenchérissement sur une livraison de masques relève plutôt de la compétition pour l'accès aux ressources : c'est désagréable mais ce n'est pas le déchaînement des hostilités", estime-t-il.

La guerre des masques ne devrait donc en rester qu'à un duel à celui qui dégaine la plus grosse mallette de billets le plus vite

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Edit le 03 avril : ajout du démenti des Etats-Unis et de la description de la situation dans le monde.

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