Euroviews. Quand "l'islamo-gauchisme" était une réalité... en Iran il y a un demi-siècle | View

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Par Amirbehnam MASOUMI
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'Pourquoi Khomeini à côté de Mao et pourquoi pas al-Baghdadi ou Ben Laden ?'

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Lors d'une interview radiophonique le 14 février, la ministre française de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, a acquiescé sans réserve à l'affirmation suivante du journaliste Jean-Pierre Elkabbach : "il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’ayatollah Khomeini".

La France ne manque pas de mouvements islamistes et de représentants de l’islam politique. La question qui se pose alors est pourquoi, lorsque la ministre parle d'"islamo-gauchisme,” la référence est l’ayatollah Khomeini, mort il y a 32 ans, et qui a un impact quasi-inexistant sur les mouvances islamistes en France ? Pourquoi ne met-on pas plutôt Abou Bakr al-Baghdadi, Oussama ben Laden, ou même les leaders des Frères musulmans à côté de Mao Zedong ?

Cette prise de position de la ministre — qui a depuis évoqué le lancement d'une enquête sur l'influence de "l'islamo-gauchisme" à l'université — a provoqué une vague d'indignation au sein de la communauté académique. Parmi les critiques, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a vivement remis en cause ce néologisme politique qui “ne correspond à aucune réalité scientifique.” Pourtant, dans l’histoire de la révolution iranienne de 1979, un tel phénomène a bel et bien existé, et a même été fortement revendiqué.

Islam conservateur, islam révolutionnaire

Historiquement, l’"Organisation des moudjahidines du peuple iranien" peut être considérée comme l’exemple-type de cette tendance. Dans le contexte de la Guerre froide, où des mouvements anticolonialistes dans le 'tiers-monde' prônaient le marxisme-léninisme comme idéologie émancipatrice, les fondateurs des moudjahidines ont adopté, eux, une interprétation égalitaire, libertaire et révolutionnaire de l’islam. En 1975, quatre années avant le renversement du régime monarchique du Shah en Iran, Massoud Radjavi, théoricien principal du mouvement, a même placé la religion de Mahomet à “l’extrême gauche” du marxisme.

À part les moudjahidines, Ali Shariati, influent philosophe et sociologue iranien, qui a fait une partie de ses études supérieures à Paris, peut être considéré comme l'un des pionniers de la “gauche islamique”. Comme les moudjahidines, M. Shariati critiquait farouchement les rituels de l’islam chiite pratiqués à l’époque par les Iraniens. Il considérait que le “vrai islam” contient par nature une dynamique contre la tyrannie et en faveur de la liberté, l’égalité et l’émancipation des femmes et des hommes.

Ali Shariati qualifiait la confession chiite de l'époque de “chiisme noir” et revendiquait une version “rouge” du chiisme, c’est-à-dire révolutionnaire. Cette théorie a beaucoup contribué à la mobilisation du soulèvement populaire qui a abouti à la révolution islamique de 1979. Le Shah d’Iran qualifiait d'ailleurs ses opposants comme le résultat de “l’union néfaste entre la réaction rouge (communisme) et la réaction noire (l’islam politique).”

Quelques années après la révolution iranienne, les moudjahidines sont réprimés puis déclarés hors-la-loi, tandis que la publication des ouvrages d’Ali Shariati est limitée par les autorités de la République islamique.

Malgré cela, l'impact de la gauche islamique sur le nouveau régime en Iran est importante : la Constitution de la République islamique ordonne la nationalisation des industries et promet de donner la priorité à la justice sociale et à la décentralisation de la puissance politique au sein de conseils régionaux. Si ces promesses restent éloignées de la réalité actuelle, une partie de la classe politique d'aujourd'hui se présentait durant des années 1980 comme l’aile gauche du nouveau régime. Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, candidats malheureux à la présidentielle controversée de 2009, en faisaient partie.

Pourquoi Khomeini à côté de Mao et pourquoi pas al-Baghdadi ou Ben Laden ?

Pour revenir à la question initiale, il semble que cette “nomination” de Khomeini soit pertinente. Les courants islamistes sunnites n’ont jamais donné une interprétation "émancipatrice" à la religion musulmane. A l'inverse, Rouhollah Khomeini, le Guide de la Révolution islamique, avait présenté une lecture "révolutionnaire” de l’islam traditionnel chiite dans son fameux ouvrage “La suprématie des faqihs et le grand djihad” (velayat-é faqih va Djahad-é- akbar en persan).

Une interprétation similaire semble absente chez les leaders du sunnisme. On peut considérer que la voie libre laissée à l’interprétation chez les chiites, contrairement à la “fermeture des portes de la déduction (ijtihad) des sources sacrées” chez les sunnites, renforce cette différence.

La gauche islamique ou l'islamo-gauchisme, tels qu'ils existaient, et existent encore en Iran, en Irak et dans une certaine manière au Liban, n’ont rien avoir avec "l’islamo-gauchisme" décrié en France. Les partis politiques, les universitaires et les journalistes accusés d’être "islamo-gauchistes" sont majoritairement des défenseurs des droits culturels et cultuels d’une minorité visible et nombreuse en France.

AmirBehnam Massoumi est diplômé en droit, sciences politiques et islamologie et journaliste du service perse d'Euronews.

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