Contestations en Iran : la transformation d'un mouvement face à la répression

Une femme non voilée se tient sur le toit d'un véhicule alors que des milliers de personnes se dirigent vers la ville natale de Mahsa Amini. Octobre 2022
Une femme non voilée se tient sur le toit d'un véhicule alors que des milliers de personnes se dirigent vers la ville natale de Mahsa Amini. Octobre 2022 Tous droits réservés AFP PHOTO / UGC IMAGE
Par Eva KandoulIlaria Federico
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Huit mois après la mort de Mahsa Amini, une guerre d'usure s'est enclenchée. En raison de la répression, les manifestations dans la rue s’essoufflent, mais les Iraniens continuent de résister. La révolte fait vaciller le régime en place.

En Iran, un vent de révolte souffle encore. "La colère est toujours là". Mais elle a changé de forme."Elle se manifeste de manière plus sporadique et individuelle. Elle n'est plus accompagnée de manifestations dans la rue", explique Farhad Khosrokhavar, sociologue, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

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"On est en à une guerre d'usure maintenant" observe-t-il. Huit mois après la mort de Mahsa Amini et le début du soulèvement du peuple iranien, les protestations ont changé de forme. Face à la répression brutale du régime iranien, la résistance a été forcée de s'adapter. "Les manifestations de rue ont été progressivement étouffées. Mais la dimension féministe du mouvement continue. Les femmes refusent de porter le voile dans la rue", poursuit le chercheur franco-iranien qui revient sur la mutation de ces protestations "que le pouvoir a dû mal à mater". 

Aujourd'hui, la révolution de la société iranienne entre dans une nouvelle phase. Pour lutter, le régime a recours à une autre forme de répression : la fermeture des banques et magasins qui reçoivent les femmes non voilées et l'installation de caméras de surveillance. "Mais toutes ces mesures se sont révélées inefficaces", décrit-il. La répression n'a pas réussi à "rétablir la situation comme elle était avant la mort de la jeune kurde" qui a embrasé le pays, ajoute Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur de l'ONG Iran Human Rights.

Un enjeu secondaire à l'international

L'ampleur de la crise n'a pas laissé de marbre la communauté internationale.

"Au cours des derniers mois, les dirigeants des pays de l'UE, mais aussi des États-Unis, ont sanctionné les personnes responsables des crimes commis, des violations des droits de l'homme commises en Iran. Il s'agit de commandants des gardiens de la révolution islamique, commandants de police, officiers régionaux" explique Cornelius Adebahr, spécialiste de l'Iran à Carnegie Europe. "Leurs avoirs au sein de l'Union européenne ont été gelés et il leur est interdit d'entrer dans l'Union européenne", conclut-il. 

Mais pour certains, les mesures adoptées par la communauté internationales restent insuffisantes. "Ces sanctions sont très très timides, la raison principale peut-être est que pour l'instant il n’y a pas encore d’alternative acceptée par la majorité des contestataires", commente Azadeh Kian, sociologue franco-iranienne à l'Université de Paris

"La guerre en Ukraine mobilise totalement les États occidentaux contre la Russie et par conséquent l'Iran devient un enjeu en quelque sorte secondaire", ajoute Farhad Khosrokhavar.

Le soulèvement iranien en quatre faits

  • 16 Septembre 2022 : mort de Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans arrêtée pour avoir mal porté son voile selon la police des mœurs. Sa mort attise la colère des femmes iraniennes contre le régime et marque le début des manifestations.
  • Au moins 527 personnes, dont 71 enfants, ont été tuées depuis le début des manifestations selon un communiqué de l'ONG norvégienne Iran Human Rights publié le 1er février.
  • Des milliers de jeunes Iraniennes sont empoisonnées par des gaz toxiques dans différentes écoles.
  • 16 février 2023 : une manifestation a lieu à Téhéran pour commémorer les quarante jours écoulés depuis l'exécution de deux hommes accusés d'avoir participé au mouvement de protestation.

Un changement de régime est-il possible ?

"On ne peut pas s'attendre à ce que le régime soit renversé du jour au lendemain", explique Azadeh Kian, spécialiste de l'Iran et auteur de Femmes et Pouvoir en Islam. "De nombreux groupes politiques d'opposition se sont formés. Ils ont besoin de temps pour essayer d'entendre les positions des uns et des autres et peut-être aller vers une coalition pour éventuellement renverser le régime", poursuit-elle.

"Le mouvement dans sa dimension politique a échoué, c'est-à-dire le renversement du régime islamique, mais dans sa dimension culturelle, dans mon sens, il a réussi. Il a révélé en quelque sorte la crise majeure de légitimité de ce pouvoir", analyse Farhad Khosrokhavar.

Le vent de révolte de la jeunesse iranienne a soufflé jusqu'à l'international. "Des millions de personnes se sont mobilisées au Canada, aux États-Unis et en Europe", explique le sociologue iranien. La constitution d'une opposition dans la diaspora iranienne est moteur d'un éventuel changement de régime. "Elle leur donne de la légitimité qui pourrait convaincre la génération des parents et des grands-parents de rejoindre le mouvement", poursuit Khosrokhavar.

Si la révolution n'a pas fait basculer le régime, son impact politique pourrait être majeur à plus long terme. "Ce mouvement a jeté les bases d'une participation future de la plus grande partie de la société civile iranienne", convient le spécialiste.

"Ce n'est pas fini", affirme le chercheur Cornelius Adebahr. Et d'autres soulèvements pourraient voir le jour "dès qu'une opportunité se présentera", assure Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur de l'ONG Iran Human Rights. "Le compte à rebours a commencé le jour où ils ont tué Mahsa". Pour lui, une nouvelle révolution se prépare, "ce n'est qu'une question de temps".

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