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Partir ou rester, et à quel prix ? Un choix cornélien des entreprises face aux sanctions anti-russes

A Moscou, une boutique Motherbear, anciennement Mothercare
A Moscou, une boutique Motherbear, anciennement Mothercare Tous droits réservés  Euronews
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Par Marina Ostrovskaya
Publié le Mis à jour
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Après le déclenchement de l'invasion russe en Ukraine, de nombreuses entreprises occidentales se sont retrouvées "prises entre des intérêts commerciaux et des considérations morales". Tous n'ont pas suivi le régime de sanctions imposé à la Russie.

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Peintures, médicaments, cosmétiques, vêtements et autres produits de marques occidentales sont toujours disponibles, bien que dans une gamme plus réduite, dans les magasins russes.

Deux ans et demi après le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par les troupes russes, le paysage de l'espace commercial et la gamme de produits disponibles ont considérablement changé, mais toutes les entreprises n'ont pas voulu suivre le régime des sanctions.

Certaines l'ont annoncé ouvertement, comme Auchan, par exemple, qui a motivé sa décision par des"considérations humanitaires", mais qui a depuis été accusé d'"aider la campagne militaire russe en Ukraine".

D'autres ont dit avoir tenté, mais échoué en raison des conditions difficiles de vente de l'entreprise à des investisseurs et franchisés russes proches du Kremlin, que certains observateurs n'hésitent pas à comparer à du chantage, comme obligation de vendre avec une décote de 50% par rapport à la valeur de marché. D'ailleurs, certaines de ces "conditions de départ" - comme contributions "volontaires" dans le budget russe, autour de 10% de la vente - peuvent être assimilées au financement de la guerre et donc soumettre ces compagnies à de nouvelles sanctions à l'Occident.

Finalement, il y en a d'autres qui "contournent" le problème, en changeant de nom de marque ou d'itinéraire d'approvisionnement et en ouvrant des bureaux de représentation dans des pays tiers.

Tikkurila ou Tikkivala ?

Le 24 septembre, on a appris que les peintures du fabricant finlandais Tikkurila, produites dans les usines russes, seront vendues sous la nouvelle marque Tikkivala à partir de l'année prochaine. C'est ce qu'a annoncé la filiale russe de Tikkurila Ltd.

"Je ne me soucie pas du tout du nom qui sera inscrit sur la boîte", déclare Igor, un Moscovite qui, avec sa femme Irina, choisit des matériaux pour rénover son appartement. - J'aime la qualité et les couleurs. Des sanctions ? Mais Tikkurila est resté avec nous jusqu'à aujourd'hui, n'est-ce pas ? Espérons que rien ne changera avec le nouveau nom".

Les consommateurs ordinaires, mais aussi les entreprises russes, apprécient les peintures finlandaises, y compris celles liées à l'industrie de la défense. On sait notamment qu'en 2024, Tikkurila Oyj a participé à un appel d'offres pour fournir ses produits à NPO Almaz, qui participe à la production de systèmes modernes de défense aérienne.

Le propriétaire de Tikkurila Oyj, le géant américain PPG Industries (PPG.N), a déclaré à plusieurs reprises qu'il essayait de quitter la Russie à partir de juin 2022.

Dans une déclaration faite en février, Tikkurila a affirmé qu'elle respectait toutes les sanctions et qu'elle n'était pas en mesure d'influencer les décisions opérationnelles prises par sa filiale russe.

En même temps, l'entreprise a, sans doute, aussi préféré de taire le fait que son chiffre d'affaires réalisé sur le marché russe en 2023 s'élevait à 10,4 milliards de roubles et le bénéfice net à 3,4 milliards de roubles (près de 95 et 32 millions d'euros, respectivement).

Selon Ekaterina Balon, directrice du marketing et de l'innovation de Tikkurila Ltd, après le changement de marque, les deux sites de fabrication de peintures et de vernis de Saint-Pétersbourg continueront leur production. On ne sait pas encore dans quelle mesure la qualité restera la même après le départ annoncé de maison mère finlandaise, compte tenu de la révision inévitable des normes et des contrôles, ainsi que des fournisseurs de matières premières en raison des sanctions.

Un autre fabricant de peintures et de vernis, AkzoNobel, basé aux Pays-Bas, a également annoncé des changements dans ses activités en Russie, mais n'a pas quitté le pays.

"À la suite de l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie, AkzoNobel a proposé de rompre les liens avec ses filiales russes..... Selon eux, tout ce qui resterait de l'activité russe serait géré localement.

AkzoNobel a choisi de déclarer publiquement qu'elle n'est plus très active en Russie et de protéger en privé ses intérêts commerciaux dans le pays autant qu'elle le peut sans enfreindre ... sanctions.
Stefan Vermuelen
journaliste d'investigation

Mais nous avons constaté que c'était le contraire : les activités et les bénéfices d'AkzoNobel en Russie ont augmenté après l'invasion, en partie parce qu'AkzoNobel a continué d'envoyer des matières premières à ses usines en Russie. L'entreprise a également continué à investir dans le développement et la commercialisation de nouveaux produits, alors qu'elle avait déclaré ne plus vouloir le faire après l'invasion", explique Stefan Vermuelen, journaliste d'investigation néerlandais.

La publication Insider va plus loin et affirme que de nombreux composants de peinture et de vernis provenant de fabricants occidentaux sont"utilisés par les forces de sécurité russes", en particulier dans les territoires ukrainiens occupés.

En réponse aux questions d'Euronews, Dorinda Berkman, responsable des relations avec la presse chez AkzoNobel, a souligné que l'entreprise"n'a jamais annoncé qu'elle cesserait ses activités en Russie, mais qu'elle a réduit une partie importante de ses activités dans ce pays". "Comme le reflète la déclaration officielle, AkzoNobel se conforme à tous les régimes de sanctions applicables", a ajouté Mme Berkman.

Il ne fait aucun doute que de nombreuses entreprises occidentales sont "prises entre des intérêts commerciaux et des considérations morales" depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, note Stefan Vermeulen.

"L'intérêt commercial (d'AkzoNobel) était de rester en Russie, car c'est une filiale très rentable.... Mais aux Pays-Bas, comme dans d'autres pays occidentaux, l'opinion publique a appelé les multinationales à quitter la Russie en raison de l'agression militaire en Ukraine. AkzoNobel a donc choisi de déclarer publiquement qu'elle n'était plus très active en Russie, et de protéger en privé ses intérêts commerciaux dans le pays autant que possible, sans violer [...] les sanctions. Nous assistons à une scission similaire dans d'autres entreprises occidentales".

Quelle est la situation sur le marché russe ?

Selon le quotidien d'affaires russe Vedomosti, un total de 9 600 entreprises occidentales ont quitté la Russie en 2022 et au cours des huit premiers mois de 2023. Dans le même temps, l'activité des résidents de Chine et des pays de la CEI a augmenté.

Les grands détaillants locaux, tels que MFK JamilCo, acquièrent des actifs et des franchisés suite à la décision d'un certain nombre d'entreprises de quitter la Russie.

Les marques New Balance, Lee, Timberland et DKNY sont ainsi passés sous son contrôle en Russie. Dans ce cas, les noms sont changés, de préférence pour ne pas trop s'éloigner du passé et du connu. Les "nouvelles" marques doivent également chercher de nouveaux fournisseurs, le plus souvent en direction de la Chine et de la Turquie plutôt que du Bangladesh et de l'Inde.

Cela explique l'augmentation du prix des produits, comme cela est le cas pour la nouvelle marque Motherbear, qui a émergé à la place de la célèbre marque britannique d'articles pour enfants Mothercare. Pourtant, sur certains sites russes de vente en ligne, les articles pour enfants sont toujours vendus sous la marque Mothercare.

Les possibilités à continuer des affaires en Russie est largement due au fait que les entreprises ont été autorisées à fournir des services professionnels à leurs propres filiales en Russie, mais qu'il leur est interdit de fournir les mêmes services à d'autres entreprises.

Mais, en décembre 2023, la Commission européenne a annoncé qu'à partir de 2024, cette exemption ne s'appliquerait plus. Et tout récemment, le 24 septembre, Bruxelles, après de nombreux rapports et informations sur les failles permettant de contourner le régime de sanctions contre la Russie, a publié une directive visant à mieux contrôler les contrevenants.

Les régulateurs et les entreprises feraient mieux se concentrer sur la lutte contre les stratégies russes visant à acquérir des biens interdits (à des fins de guerre) et à dissimuler des actifs, frappés par des sanctions.
David Laurello
cabinet d'avocats Covington & Burling

Toutefois, le Financial Times cite David Laurello, associé du cabinet d'avocats Covington & Burling, qui estime que"les régulateurs et les entreprises feraient mieux se concentrer sur la lutte contre les stratégies russes visant à acquérir des biens interdits (pour la guerre) et à dissimuler des actifs, frappés par des sanctions".

Shoud I stay or should I go ?

Mais il y a aussi de grandes entreprises européennes qui ont officiellement refusé de cesser leurs activités en Russie, malgré les appels au boycott et les nombreuses attaques médiatiques.

Le géant chimique-pharmaceutique Bayer a notamment expliqué sa décision de maintenir ses activités essentielles en Russie et au Bélarus. Bayer a indiqué ne pas refuser "à la population civile des produits médicaux et agricoles essentiels" car cela"ne ferait que multiplier l'impact de la guerre en cours sur les vies humaines". Cette position a également été reflétée dans un document de la Commission européenne il y a un an.

La société française Yves Rocher, une des premières parmi ses pairs à avoir pénétré le marché russe au début des années 1990, n'a fermé aucun de ses magasins dans ce pays. Tout en condamnant"l'invasion de l'Ukraine", la direction du groupe breton"est convaincue que ses employés en Ukraine et en Russie ne devraient pas avoir à payer les conséquences des décisions militaires et politiques prises par leurs dirigeants. C'est pourquoi le Groupe Rocher a décidé de ne pas quitter ses divisions en Russie, où il est présent depuis plus de 30 ans", ayant reçu"l'autorisation du Trésor français jusqu'en septembre 2025". C'est ainsi que le représentant du Groupe Rocher a commenté la politique de l'entreprise.

Le choix entre principes moraux et profit, entre sympathie pour le consommateur moyen et responsabilité collective est fait par chaque entreprise face aux sanctions. Certains estiment que dans cette cacophonie, la nouvelle Commission européenne aura certainement à trancher dans un avenir proche.

Sources additionnelles • adaptation : Serge Duchêne

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