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"Scandale", "aberration" : la droite française réagit à la permission de sortie d'un narcotrafiquant

La prison de Vendin-le-Vieil, dans le nord de la France, 14 mai 2025.
La prison de Vendin-le-Vieil, dans le nord de la France, 14 mai 2025. Tous droits réservés  AP Photo/Michel Euler, Pool, File
Tous droits réservés AP Photo/Michel Euler, Pool, File
Par Nathan Joubioux & Alexander Kazakevich
Publié le Mis à jour
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Alors que les condamnations pleuvent après qu'un détenu, "baron de la drogue", a été autorisé à se rendre à un entretien d'embauche, Euronews a demandé un éclairage sur cette mesure à deux avocats pénalistes.

C'est une permission de sortir "employeur" qui fait couler beaucoup d'encre. Ce lundi 24 novembre, Ouaihid Ben Faïza, 52 ans, a pu quitter la prison de Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, pour un entretien d'embauche dans l'agglomération lyonnaise, où il doit se rendre en TGV depuis Lille.

Cette permission a été accordée par un juge d'application des peines après un avis défavorable du parquet de Béthune. Cette sortie a ensuite été confirmée par la chambre d'application des peines de la cour d'appel de Douai.

Le détenu, membre d'un important réseau de trafic de drogue en Seine-Saint-Denis, a été condamné à plusieurs reprises dans les années 1990 et 2000. En 2012, il écope de huit ans de prison pour trafic de drogue et association de malfaiteurs. Deux ans plus tard, il s'évade à l'aide d'un commando armé composé de cinq hommes déguisés en ouvriers du bâtiment, qui l'attendaient à la sortie d'une consultation à l'hôpital. Sa cavale a duré deux semaines.

Classé par l'administration pénitentiaire parmi les 100 détenus les plus dangereux de France, Ouaihid Ben Faïza devrait purger sa peine jusqu'en 2029.

Une sortie sous surveillance

Son avocate, Me Marie Violleau, a indiqué sur BFM TV, que son client n'était "pas surveillé" durant sa sortie. "Il n'est pas escorté. Il va d'un point A à un point B pour préparer sa réinsertion", a-t-elle affirmé, précisant qu'un entretien en visioconférence "ne lui aurait pas permis de montrer qu'il était digne de la confiance que l'autorité judiciaire plaçait en lui".

Pour appuyer cette décision, l'avocate a mis en avant le comportement "exemplaire" du détenu en prison. Une attitude relevée par "des conseillers d'insertion et de probation, des directeurs de prisons, des psychologues, des psychiatres" et cela depuis "des années", assure-t-elle.

Si ce type de sortie se fait, normalement, sans surveillance, un "dispositif" sera mis en plus toute la journée, a indiqué l'entourage du ministre de l'Intérieur, Laurent Nuñez. Le Parisien indique que la Division nationale de recherche et d'appui (DNRA), une branche du Service national de renseignement territorial, a été mobilisée.

"Un premier pas dans une demande de libération conditionnelle"

Dans une interview accordé à Euronews, Cem Alp, avocat au Barreau de Lyon, souligne que, concernant Ouaihid Ben Faïza, la date de sortie en 2029 constitue "l'échéance la plus tardive", si aucun aménagement de peine n'est octroyé.

"Mais la loi autorise les détenus à préparer leur sortie en amont, dès la prison", précise le pénaliste.

"Il reste plus de trois ans d'incarcération à subir par M. Ben Faïza, mais cette permission de sortir (pour passer un entretien d'embauche) peut être un premier pas dans une demande de libération conditionnelle" qui a probablement été sollicitée par le détenu et son avocate, explique Me Cem Alp.

Selon l'avocat, l'entretien d'embauche, "s'il était fructueux pourrait permettre l'étude et la mise en place d'une libération conditionnelle".

Précisant qu'une permission de sortir, "et plus largement une libération conditionnelle ne peut être demandée qu'à partir du moment où la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine qui lui reste à subir", le pénaliste estime que de telles démarches "nécessitent forcément une étude approfondie du dossier du détenu".

"S'il a un mauvais comportement en détention et qu'il est dangereux, une telle demande lui sera forcément refusée", a-t-il déclaré à Euronews.

"À l'inverse, s'il présente une volonté sérieuse de se réinsérer [...], sa demande aura des chances d'aboutir", a ajouté Me Cem Alp.

Une promesse d'embauche est donc un élément parmi d'autres qui sera examiné par un juge d'application des peines, qui devra déterminer si le détenu "ne va pas retourner à la drogue". Avoir des revenus et un cadre familial stables sont, par exemple, "des facteurs qui amoindrissent le risque" de récidive, conclut l'avocat.

Un moyen de "lutter efficacement contre la récidive"

Un avis partagé par son confrère, Amid Khallouf, également avocat au Barreau de Lyon et membre de l'association "Observatoire International des Prisons" (OIP).

"Les permissions de sortir sont une étape nécessaire, voire indispensable, [...] pour préparer un aménagement de peine et tester sa faisabilité", a déclaré le pénaliste à Euronews, précisant qu'il en va de même "pour toutes les personnes détenues, qui ont toutes vocation à sortir un jour, dont M. Ben Faïza".

Pour l'avocat, éviter des sorties "sèches", c'est-à-dire sans aménagement, "permettraient - contrairement à tout ce qu’on peut entendre - de lutter efficacement contre la récidive".

"Est-ce qu’il vaut mieux pour notre société une personne qui trouve un emploi sérieux à sa sortie de prison ou une personne qui reste en détention jusqu’à la toute fin de sa peine et sort sans rien, sans avoir préparé sa sortie ?", s'interroge Me Amid Khallouf.

La droite vent debout

Cette permission a été largement critiquée par la droite ce week-end. "C'est une aberration", a jugé Bruno Retailleau, ce dimanche. "La priorité absolue de la justice pénale doit être la protection des Français, pas le bien-être des narcotrafiquants", a écrit l'ancien ministre de l'Intérieur sur son compte X.

Selon lui, il faudrait supprimer le juge d'application des peines, qui a accordé ce droit à Ouaihid Ben Faïza. "Ce dispositif [...] trop souvent, désespère les victimes et révolte les Français", a-t-il également assuré.

De son côté, l'actuel ministre de la Justice Gérald Darmanin a refusé de commenter "une décision individuelle d'un juge". Cependant, cet épisode "met en lumière un enjeu plus large : notre cadre législatif d’application des peines doit être pleinement revu face aux réalités de la grande criminalité organisée", a-t-il écrit. Pour "consolider les règles encadrant l’exécution des peines pour les criminels les plus dangereux", il souhaite créer "un droit spécifique et un juge d’application spécialisé qui connaît parfaitement les profils dangereux".

Pour Jordan Bardella, la permission accordée "scandalise à raison les surveillants pénitentiaires, les forces de l'ordre et l'ensemble des Français". Mais le président du Rassemblement national charge Gérald Darmanin. "Se défausser sur un directeur de prison ou dénoncer le “cadre législatif d’application des peines” n'occultera pas la réalité : ces scandales signent l'échec de sa politique", a-t-il estimé sur X.

"Un affront à la sécurité"

Les syndicats ont également dénoncé cette décision. Sur BFM TV, Rodrigue Bray, secrétaire général adjoint de l'Ufap-Unsa Justice, estime que les Quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) "auraient dû être un peu plus anticipées et mieux encadrés par des textes législatifs". Selon lui, il n'est pas possible de "prôner une étanchéité extrême et laisse sortir de manière classique un détenu, pour du travail ou autre".

Le syndicat FO-Justice va même plus loin. "On n’est même plus dans l’erreur d’appréciation : on dynamite la logique même du dispositif. Pourtant, la commission d’application des peines avait examiné ce dossier et rendu un avis défavorable. Un avis destiné à éclairer le juge d'application des peines, qui a choisi de ne pas en tenir compte", est-il écrit dans un communiqué.

Le syndicat appelle à "revoir en profondeur le rôle et les missions des juges d'application des peines" et que les missions soit "transférées à l'administration pénitentiaire, seule à même de prendre des décisions ancrées dans la réalité du terrain".

Pour le syndicat UFAP UNSa Justice, cette décision est "totalement déconnectée des exigences et des réalités". "Elle décrédibilise le régime QLCO et expose au grand jour l’absurdité d’un système qui ne sait plus ce qu’il veut", poursuit-il dans un communiqué. Pour eux, cette sortie est un "affront à la sécurité".

Le narcotrafic, une menace importante, selon le gouvernement

Vendredi, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, et le ministre de l'Intérieur, Laurent Nuñez, étaient à Marseille pour réaffirmer la volonté du gouvernement de lutter contre le narcotrafic, suite, notamment, au meurtre de Medmi Kasseci.

"Nous avons d'autres réseaux criminels que nous combattons avec la plus grande force, et qui je l'espère, grâce aux moyens de la loi narcotrafic [...], va permettre de répondre à une menace qui tue énormément, et qui est au moins équivalente à celle du terrorisme sur le territoire national", a déclaré Gérald Darmanin.

De son côté, Laurent Nuñez a déclaré jeudi que la France devait "faire beaucoup plus" pour lutter contre le narcotrafic. Selon lui, le meurtre de Mehdi Kessaci est "un crime qui vise à faire peur et vise à atteindre quelque part la République et l'État".

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