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Jusqu’à quand l’économie russe pourra-t-elle financer sa guerre en Ukraine ?

Le président russe Vladimir Poutine parle avec des journalistes en marge du congrès de la Société russe de géographie au Palais d’État du Kremlin, à Moscou. 23 oct. 2025.
Le président russe Vladimir Poutine parle avec des journalistes en marge du congrès de la Société géographique russe au Palais d'État du Kremlin à Moscou. 23 oct. 2025. Tous droits réservés  Alexander Shcherbak/Sputnik
Tous droits réservés Alexander Shcherbak/Sputnik
Par Doloresz Katanich
Publié le
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L’économie russe est au bord de la récession, mais la guerre pourrait durer des années. Son financement ne semble pas rencontrer d’obstacles majeurs immédiats, selon des experts.

La Russie fait face à une nouvelle vague de sanctions des États-Unis et de l’Union européenne, tandis que son économie intérieure se rapproche de la récession. Mais cela ne suffit pas à réduire sa capacité à financer la guerre en Ukraine, selon des experts.

"La récession ne signifie quasiment rien pour la stabilité économique et politique de la Russie aujourd’hui", a déclaré Vladislav Inozemtsev, cofondateur et membre du conseil consultatif du Center for Analysis and Strategies in Europe (CASE), un groupe de réflexion indépendant basé dans l’Union européenne.

Un aperçu de l’économie russe

Malgré le soutien des dépenses militaires, l’économie russe montre des signes de glissement vers la récession ou la stagflation. L’inflation reste élevée et s’accompagne d’un net ralentissement économique. L’inflation a culminé à 10,3 % en mars et est retombée à 8 % en septembre, soit encore le double de l’objectif de 4 % de la Banque de Russie.

Malgré cela, la banque centrale a fortement réduit son taux directeur, dernièrement le 24 octobre, de 50 points de base à 16,5 %, quatrième baisse consécutive et surprise pour des marchés qui s’attendaient à une pause. Des taux d’intérêt élevés et de fortes pénuries de main-d’œuvre (avec un taux de chômage à 2,1 %) ont freiné la croissance. L’économie a progressé de 1,4 % sur un an au premier trimestre 2025, et de 1,1 % au deuxième, contre 4,1 % de croissance annuelle en 2023 comme en 2024.

Le moral des entreprises s’est également détérioré. Le PMI composite S&P Global Russie est tombé à 46,6 en septembre, contre 49,1 en août, marquant un quatrième mois consécutif de contraction du secteur privé et son plus bas niveau depuis octobre 2022, avec une baisse à la fois dans l’industrie et les services.

Selon Oxford Economics, l’économie russe n’a pas été en récession (définie comme deux trimestres consécutifs de contraction). Mais les économistes du cabinet de conseil ont indiqué à Euronews Business qu’ils s’attendent à une croissance au troisième trimestre aussi faible que 0,2 % d’un trimestre à l’autre.

"Nous anticipons des rythmes de croissance similaires à court terme, mais il est possible que les récentes sanctions sur le pétrole fassent basculer l’économie en récession", ont ajouté les analystes. Vladislav Inozemtsev, du CASE, affirme, lui, à Euronews : "le moral des affaires est globalement morose... Les entrepreneurs anticipent une dégradation des conditions générales, une stagnation économique, une demande des consommateurs en baisse et une hausse des impôts".

L’économiste prévoit qu’une récession modérée touchera l’économie russe dans les prochains mois, aboutissant à une croissance annuelle nulle en 2025 et "une contraction de 1 % à 1,4 % en 2026".

L’économie russe s’est adaptée à la guerre et reste en équilibre, selon un récent rapport du Center for Analysis and Strategies in Europe (CASE). Le rapport prévoit une longue période de stagnation politique et économique en Russie, avec peu de développement ou de prospérité au cours des dix prochaines années.

Les sanctions sont-elles efficaces ?

En octobre 2025, à la fois l’Union européenne et les États-Unis ont imposé des sanctions contre Moscou, s’ajoutant à une longue liste de restrictions mises en place progressivement depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

Les États-Unis ont directement sanctionné les deux plus grandes compagnies pétrolières russes, Rosneft et Lukoil, ainsi que leurs filiales. Les pays de l’UE ont adopté le 19e paquet de sanctions, incluant une interdiction totale du gaz naturel liquéfié (GNL) russe à partir de 2027, ainsi qu’une interdiction des importations de pétrole et de gaz de Rosneft et de Gazprom Neft dans l’UE.

Le bloc a aussi adopté de nouvelles mesures pour empêcher la Russie de contourner les restrictions précédentes, interdire les investissements dans le pays et la priver de certains services et infrastructures financiers. À cela s’ajoute une interdiction du commerce de matériaux essentiels à l’effort de guerre. Ces mesures "augmentent substantiellement la pression sur l’économie de guerre russe", selon l’UE.

Aux yeux du Kremlin, ces nouvelles mesures plus strictes n’auront aucun impact sur l’économie russe et sa stratégie de guerre en Ukraine. Les analystes estiment que la Russie est une cible particulièrement difficile, compte tenu de ses exportations de nombreuses matières premières essentielles, dont le pétrole et le gaz, les engrais, le blé et les métaux précieux. Et le pays a trouvé des moyens de contourner les sanctions et restrictions, notamment via une "flotte fantôme" de pétroliers et en augmentant ses exportations vers la Chine et l’Inde.

Par ailleurs, des experts s’interrogent sur la capacité des sanctions à stopper l’effort de guerre russe, même si elles font basculer l’économie du pays en récession. Les sanctions ont sans aucun doute un impact sur les revenus énergétiques de la Russie. Mais les produits énergétiques, bien qu’"importants pour le marché intérieur et à la marge pour les exportations, ne constituent pas une source substantielle de recettes budgétaires pour poursuivre la guerre", affirme Elina Ribakova, chercheuse non résidente au sein du think tank bruxellois Bruegel.

Les données du CASE confirment que la dépendance du budget fédéral au pétrole et au gaz a nettement diminué. Leur part dans les recettes totales est passée de plus de 50 % en 2011–2014 à seulement 25 % à la mi‑2025. Cette baisse reflète la chute des prix du pétrole et de la production pétrolière russe, ainsi que le renforcement rapide du rouble et l’impact des sanctions occidentales.

Les attaques de drones ukrainiens contre les raffineries russes n’ont pas d’impact majeur sur les volumes d’exportation, explique Vladislav Inozemtsev, ajoutant: "la Russie vend du pétrole brut comme des produits raffinés. Si une raffinerie est détruite, la part de brut augmente simplement, car il est acheminé vers les ports sans être traité".

Les revenus de la Russie tirés de la production d’hydrocarbures continuent de diminuer en raison de la baisse des prix. Les analystes d’Oxford Economics précisent qu’en septembre, le budget a reçu 582,5 milliards de roubles (soit 6,3 milliards d’euros) issus des hydrocarbures, soit 25 % de moins que le même mois en 2024.

"Ces sanctions importent peu", affirme Inozemtsev. "Poutine ne finance pas sa guerre avec les dollars ou les yuans des exportations. Il paie les ouvriers et les soldats en roubles que sa banque centrale peut imprimer ou que son fisc collecte auprès des entreprises russes, en hausse de 13,2 % sur un an en octobre", poursuit l’économiste.

À long terme, la baisse des achats de l’Inde et de la Chine menace de réduire des recettes clés, mais même si les exportations de pétrole russe vers l’Inde et la Chine diminuent d’un tiers, "l’armée ne le ressentira pas pendant au moins un an (et très probablement plus longtemps)", estime l’économiste. Les experts d’Oxford Economics ajoutent : "la guerre pourrait durer des années. La Russie dispose encore d’argent dans son fonds souverain (5,9 % du PIB au total en septembre, dont 1,9 % du PIB en actifs liquides)".

Une source essentielle de financement du déficit budgétaire, attendu à 2,6 % du PIB, est l’endettement de l’État sur le marché domestique. Selon le rapport du CASE, la dette publique de la Russie devrait atteindre 17,7 % du PIB d’ici fin 2025, ce qui contribue à la stabilité des perspectives budgétaires du pays. "Le gouvernement pourra financer la guerre tant que le déficit restera maîtrisable et pourra être couvert en partie par le fonds souverain et en partie par des emprunts sur le marché obligataire domestique", selon Oxford Economics.

Vladislav Inozemtsev ajoute que les dépôts privés dans les banques russes sont suffisants, "désormais cinq fois le budget militaire total pour 2025". "Je suggère donc de ne pas se bercer d’illusions en espérant qu’une baisse des exportations russes réduira bientôt la capacité de Poutine à faire la guerre. Nous pourrons revenir sur cette question vers fin 2027, mais pas avant", conclut-il.

Reste à savoir si les exportations baisseront réellement. "Il est probable que la Russie continue d’exporter du pétrole, mais avec une décote plus importante et via davantage d’intermédiaires pour masquer l’origine du pétrole", estime Elina Ribakova. "Dans le cas de la Chine, il est presque impossible de suivre les transactions entre la Russie et la Chine".

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