Festival Lumière - La parité rattrape un retard immense dans les festivals de cinéma

Jane Campion reçoit le Prix Lumière à Lyon le 15 octobre 2021
Jane Campion reçoit le Prix Lumière à Lyon le 15 octobre 2021 Tous droits réservés Philippe Desmazes / AFP or licensors
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Par Marie Jamet
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Plus de femmes ont reçu de premiers prix dans les festivals historiques de cinéma ces six dernières années qu'en six décennies. La parité progresse mais le retard à rattraper est immense.

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Le Festival Lumière à Lyon récompense cette année le réalisateur Wim Wenders. Le douzième homme à obtenir cette récompense en quinze prix remis.

Le niveau de parité de ce “jeune” festival de cinéma est-il à l’image de la parité dans les quatre grands autres festivals historiques de cinéma que sont le Festival de Cannes, les Oscars, la Berlinale et la Mostra de Venise ?

Dans ces festivals, pour chacun de leur prix principal ou du meilleur film, les femmes primées sont largement minoritaires, comme au Festival Lumière.

En pourcentage, le Festival Lumière comptant un plus petit échantillon de quinze personnes récompensées, peut s’enorgueillir d’un 20 % de femmes primées difficilement comparable avec des festivals plus que septuagénaires.

La Mostra de Venise est celui qui a proportionnellement remis le plus de prix à des femmes réalisatrices avec 10 % des Lions d’or remis à des femmes. La Berlinale se rapproche de ce ratio avec 8 % des Ours d’or attribués à des femmes.

Le festival de Cannes et l’Académie des Oscars n’ont en revanche récompensé que 3 % de réalisatrices.

La Berlinale et la Mostra de Venise ont aussi récompensé des femmes plus tôt que le festival de Cannes et les Oscars. Et ce malgré l’existence de femmes réalisatrices dès la naissance du cinéma, telle Alice Guy qui réalise un premier film en 1906.

Márta Mészáros, réalisatrice hongroise, a remporté l’Ours d’or en 1975 avec Adoption quand Venise a célébré Margarethe von Trotta avec Les Années de plomb en 1981. A Cannes, si Bodil Ipsen était co-réalisatrice du film danois La terre sera rouge primé du Grand prix, ancêtre de la Palme d’or, avec dix autres films en 1946, il faut attendre 1993 pour que Jane Campion gagne une palme d’or une année de double prix. En 2021, Julia Ducournau devient la première réalisatrice primée seule lauréate de la Palme d’or pour Titane.

L’Oscar du meilleur film, récompense la plus prestigieuse remise par l’Académie, est resté un prix masculin jusqu’en 2009, date à laquelle Kathryn Bigelow obtient l’Oscar pour Démineurs.

Ce manque de parité dans la remise de prix des grands festivals de cinéma largement souligné ces dernières années n’a connu qu’un léger fléchissement depuis ces dernières années. Le nombre de réalisatrices primées à augmenter depuis les années 2020 ; 2017 même à la Berlinale, année du mouvement #MeToo.

Avant de pouvoir être primée, encore faut-il être sélectionnée : dans une étude produite par le Collectif 50/50 qui travaille à promouvoir parité, égalité et diversité dans le cinéma et l’audiovisuel, la part des réalisatrices sélectionnées dans les trois festivals européens historiques n’a jamais atteint la parité exacte, même depuis les années 2020, elles représentent entre 23 et 35 % des réalisatrices de films sélectionnés.

Ce chiffre se rapproche un peu plus du poids actuel des femmes réalisatrices dans l'industrie du cinéma en Europe. Dans une étude de 2022, le Conseil de l’Europe rapportait ainsi que les femmes représentaient 25 % des réalisateurs. Chiffre d’autant plus à tempérer rappelle le Conseil que les femmes réalisatrices dirigent en moyenne moins de films que leurs collègues masculins et co-dirigent plus souvent que les hommes et, en général, avec des hommes. La moyenne de femmes réalisatrices par film est ainsi de 22 %, un chiffre stable depuis 2017.

La représentation des femmes dans les films primés tournés par des hommes

Quelle place ces films réalisés à une majorité écrasante par des hommes laissent-ils par ailleurs aux femmes dans leur scénario ? Pour évaluer à grands traits cette information, nous avons passé ces films primés au scanner de deux grandes bases de données collaboratives du test Bechdel-Wallace (The Bechdel Test et The Cherry pick) contenant chacune des milliers de films. Ce test est un ensemble de trois critères, conceptualisé dans une bande dessinée par l’autrice Alison Bechdel en 1985 et qui regarde si une œuvre compte :

  1. au moins deux femmes nommées (nom/prénom) ;
  2. qui parlent ensemble ;
  3. et qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme.

Si ce test ne doit pas être pris comme un label, il permet tout de même de comparer les films entre eux sur la base de ces critères. En outre, ce test n’étant pas un objet “officiel”, les bases de données existantes ne couvrent pas tous les films existants comme certaines grandes bases de données de cinéma et chaque évaluation peut faire l’objet de débats. Selon les festivals, le corpus couvert va de 33 % pour la Berlinale à environ la moitié pour Cannes et la Mostra de Venise et la quasi intégralité (98 %) des films couronnés d’un Oscar du meilleur long métrage.

Les résultats pour les trois festivals pour lesquels les résultats commencent à être significatifs, le tableau du point de vue de ce test est mitigé pour la représentation des femmes filmées et scénarisées majoritairement par des hommes (28 % des scénaristes de film Européens produits entre 2017 et 2021 indique le Conseil de l'Europe dans son rapport) : 
aux Oscars, 47 % des films remplissent les trois critères ; le festival de Cannes, dont la moitié des films ont été étudiés par les bases de données participatives, est proche de ce résultat avec 44 % des films étudiés remplissant les trois critères. La Mostra de Venise et ses 55 % de films étudiés fait un peu mieux avec 61 % des films passant ce test de Bechdel.

La manque de parité au cinéma se reflète dans les festivals mais n’en est qu'un reflet plein de paillettes. En France, les mesures du Centre National du Cinéma et de l'image animé (CNC), tel le bonus parité ou l'obligation de parité dans les jurys de festivals, commence à porter leurs fruits, que le CNC étudie dans un rapport publié en 2022. La parité ne pourra, en effet, progresser que lorsque la filière, que ce soit dans les études de cinéma, le financement des films, les équipes techniques et artistiques se féminisera.

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