Pourquoi les émeutes aux Pays-Bas vont au-delà du coronavirus

Sur cette image tirée d'une vidéo, on voit un centre de test COVID-19 après avoir été incendié à Urk, à 80 kilomètres au nord-est d'Amsterdam, le samedi 23 janvier 2021.
Sur cette image tirée d'une vidéo, on voit un centre de test COVID-19 après avoir été incendié à Urk, à 80 kilomètres au nord-est d'Amsterdam, le samedi 23 janvier 2021. Tous droits réservés Pro news via AP
Tous droits réservés Pro news via AP
Par David Walsh
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button

Le lien entre les manifestants aux motivations diverses? "La méfiance et la haine à l'égard du gouvernement et, plus largement encore, la haine et la méfiance à l'égard de toutes sortes d'institutions dans la société."

PUBLICITÉ

Décrites comme les pires violences ayant éclaté aux Pays-Bas depuis plus de 40 ans, les émeutes qui ont eu lieu la semaine dernière dans certaines villes néerlandaises marquent un tournant dans les efforts déployés par le pays pour contenir la propagation du nouveau coronavirus.

Déclenchées à la suite de l'approbation d'un couvre-feu nocturne par le parlement néerlandais, de violentes manifestations ont secoué Amsterdam et Eindhoven avant de se propager dans les jours suivants à Rotterdam, La Haye, Den Bosch, Gouda, Amersfoort, ou encore Haarlem.

Organisés entre autre via les réseaux sociaux, des jeunes manifestants ont saccagé des rues de ces villes, vandalisant et pillant les magasins, jetant des pierres et des feux d'artifice sur la police et, dans certains cas, mettant le feu à des voitures. Dans la ville d'Urk, un centre de dépistage des coronavirus a été incendié. À Enschede, des pierres ont été jetées sur un hôpital.

Ces foules en colère, composées entres autres d'extrémistes de droite, de hooligans, de complotistes affirmant que le Covid-19 n'existe pas et d'opposants au gouvernement, ne semblent pas avoir de motivation commune. Mais est-ce réellement le cas ?

"Il y a un lien, c'est la méfiance à l'égard du gouvernement, la haine à son encontre et, plus largement encore, la haine et la méfiance à l'égard de toutes sortes d'institutions dans la société", explique à Euronews le Dr Jelle van Buuren, professeur associé à l'université de Leyde et expert en questions de sécurité et en théories du complot.

"Cette méfiance, cette haine, est alimentée au fil des ans par une variété de griefs, de colère, de mauvaises expériences et de motifs. Et c'est pourquoi il est si difficile de cerner ce phénomène. C'est vraiment éclectique".

La gestion de la pandémie

Si la plupart de ceux qui ont manifesté ces derniers jours ont été qualifiés de "voleurs éhontés" par le maire de Rotterdam, Ahmed Aboutaleb, certains des participants ont avant tout protesté contre la gestion de la pandémie de Covid-19 dans le pays.

Au début de ce mois, le gouvernement du Premier ministre Mark Rutte, a été contraint à la démission, reversé par un scandale. L'exécutif fonctionne maintenant comme une administration intérimaire. Face à la situation sanitaire, Il a demandé aux parlementaires l'autorisation d'imposer de nouvelles restrictions pour lutter contre la pandémie.

Malgré de vives critiques, de nombreux partis d'opposition ont accepté de voter avec la coalition au pouvoir pour imposer un couvre-feu de 21 heures à 4h30 du matin.

Parmi les personnes qui ont dénoncé cette décision, Geert Wilders, le leader du plus grand parti d'opposition, le Parti pour la liberté (PVV), qui a déclaré que le couvre-feu était "un signe d'impuissance et de panique totale" de la part du gouvernement.

Jusqu'à ces derniers mois, le gouvernement libéral de M. Rutte avait adopté une approche plus souple en matière de mesures de lutte contre la pandémie, résistant aux demandes de port de masques, de fermetures d'entreprises et de couvre-feux comme chez ses voisins européens.

Toutefois, dans un virage marqué, les bars et les restaurants ont reçu l'ordre de fermer en octobre, suivis par les écoles et les magasins non essentiels en décembre. Le couvre-feu — le premier depuis la Seconde Guerre mondiale — n'était que la dernière mesure en date d'un renforcement des restrictions visant à lutter contre la propagation du virus et avec lui, un mécontentement croissant à l'égard du gouvernement.

Néanmoins, les sondages montrent qu'une majorité de la population néerlandaise soutient l'approche du gouvernement. Mais cela ne veut pas dire qu'elle est d'accord avec la direction que prend le pays en général.

"Il y a plus de gens qui acceptent plus ou moins les politiques anti-Covid-19, non pas parce qu'ils les aiment, mais parce qu'ils pensent qu'elles sont simplement nécessaires", affirme M. van Buuren. "Mais ils sont aussi très critiques à l'égard de certains aspects de la politique néerlandaise des 10, 15, 20 dernières années".

Des divisions plus profondes

Selon M. van Buuren, de nombreux problèmes de société couvaient bien avant qu'ils ne dégénèrent en violences observées la semaine dernière à travers les Pays-Bas.

La précarité de l'emploi et la montée des contrats flexibles, en particulier, ont démoralisé les jeunes. Le logement, lui aussi, est devenu de plus en plus cher pour beaucoup. Le mécontentement à l'égard de l'Union européenne a également commencé à s'accroître, tout comme les critiques concernant les politiques d'immigration du pays, dont la société multiculturelle est passée sous le microscope.

"À côté de cela, par exemple, il y a un groupe de personnes plutôt issues du mouvement spirituel New Age, qui ont toujours été très critiques à l'égard des grandes entreprises pharmaceutiques et aussi en matière de vaccination", précise M. van Buuren. "Donc, ils prennent aussi ce train en route, mais sous un angle différent".

Avec ses tendances anti-establishment, anti-virus et anti-vaccins, cette flambée de violence est-elle un exemple de la contagion transatlantique des idées trumpiennes ou s'agit-il plutôt d'une tendance domestique ?

PUBLICITÉ

"Je pense que c'est une tendance propre aux Pays-Bas parce que ce courant de citoyens mécontents, de citoyens en colère, de personnes qui détestent le système fait déjà partie de la société néerlandaise depuis longtemps", souligne le professeur. "Un des premiers signes, par exemple, a été lors des élections au cours desquelles Pim Fortuyn a été assassiné".

Homme politique de droite, M. Fortuyn a été abattu devant une station de radio à Hilversum, près d'Amsterdam, neuf jours avant les élections générales de 2002. Son meurtrier, Volkert van der Graaf, était un militant de gauche qui, lors de son procès, a déclaré qu'il agissait contre ce qu'il considérait comme la tentative de M. Fortuyn de faire des musulmans le bouc émissaire des maux de la société néerlandaise.

L'assassinat avait choqué le pays et révélé de profondes divisions dans la société néerlandaise qui s'étaient développées de manière incontrôlée.

"Pour beaucoup de gens, c'était plutôt inattendu. On croyait que nous vivions dans une sorte de paradis, mais tout à coup, il semblait y avoir un grand groupe dans la société qui avait une perspective totalement différente sur la façon dont la société se portait", se rappelle M. van Buuren.

"Ce courant dans la société est parfois plus manifeste, plus visible. Parfois, il devient plus politique parce qu'il y a une représentation physique ; c'était Pim Fortuyn il y a 20 ans, puis Wilders est apparu".

PUBLICITÉ

M. Wilders a joué un rôle important dans le paysage politique néerlandais, ses prises de position controversées sur l'immigration et l'islam l'ont amené devant les tribunaux et l'ont obligé à vivre sous protection stricte en raison de menaces constantes.

Cela ne veut pas dire que ce qui se manifeste actuellement aux Pays-Bas se produit en vase clos.

"C'est une affaire domestique certes, mais cela s'inscrit dans une tendance internationale plus large que l'on observe aux États-Unis mais aussi dans d'autres pays européens", explique M. van Buuren. "L'extrême droite, le populisme de droite, les théories du complot, la méfiance envers l'élite libérale, la méfiance envers les médias ; c'est aussi un phénomène international".

Un soutien continu pour M. Rutte

Englué dans un scandale concernant la distribution d'allocations familiales, le gouvernement de M. Rutte a été contraint de démissionner le 15 janvier, quelques mois avant les prochaines élections générales du 17 mars.

Selon les derniers sondages, son parti, le VVD, reste le plus populaire, ce qui signifie que le Premier ministre pourrait être amené à reprendre les rênes du prochain gouvernement.

PUBLICITÉ

Cela étant dit, les politiques de libéralisation de l'économie du pays couplées aux coupes sombres dans les programmes de protection sociale menées par les gouvernements successifs au cours des deux dernières décennies n'ont fait qu'élargir le fossé dans la société néerlandaise.

"Tous ces développements sont visibles aux Pays-Bas, mais parfois, ils sont là et on ne les voit pas et on n'en est pas témoin parce que ceux qui sont affectés n'ont pas de voix", affirme M. van Buuren. "Toute cette situation liée au coronavirus était déjà une véritable tempête car, je peux le comprendre, nous vivons une époque insensée."

"Tout ce qui était normal, comme se rencontrer et aller au pub, etc. a soudain été interdit. Pendant longtemps, nous avons été gouvernés par des mesures d'urgence sans aucun contrôle démocratique, donc il y a beaucoup de peur, d'incertitude et un sentiment général de malaise".

Le parti de Mark Rutte semble avoir été sauvé de la colère du public néerlandais alors que les retombées du scandale des allocations familiales commencent à se faire sentir. Mais les préoccupations plus larges concernant la pandémie semblent renforcer le soutien en faveur d'une continuité, incarnée par le Premier ministre, face à des temps incertains.

"Cela pourrait être la raison pour laquelle beaucoup de gens ne changent pas au niveau de leurs préférences politiques en ce moment", conclu le professeur van Buuren.

PUBLICITÉ

Sources additionnelles • Traduction et adaptation : Thomas Seymat

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

L'Arménie face à une crise des réfugiés, qui pourrait basculer en crise politique

"Une maison et un foyer, ce n'est pas la même chose" : qu'advient-il des migrants déplacés hors de Paris ?

Enlèvements d'enfants : la Russie vole une génération d'Ukrainiens