Enlèvements d'enfants : la Russie vole une génération d'Ukrainiens

Des enfants partent pour un camp de réfugiés de l'État russe, à 10 km de la frontière russo-ukrainienne.
Des enfants partent pour un camp de réfugiés de l'État russe, à 10 km de la frontière russo-ukrainienne. Tous droits réservés Pavel Golovkin/AP
Par Lily Radziemski
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Depuis l'invasion de l'Ukraine, les autorités russes déportent des enfants ukrainiens vers des territoires qu'elles contrôlent pour les "rééduquer".

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Des milliers d'enfants ukrainiens sont prisonniers d'un système destiné à les transformer en Russes, un processus que Moscou semble avoir lancé peu après avoir l'invasion du pays l'année dernière.

La Russie a utilisé diverses tactiques pour déplacer ces enfants ukrainiens sur les territoires qu'elle contrôle : les enfants déjà placés dans des institutions sont déportés au prétexte de les mettre à l'abri. Dans de nombreux autres cas, les familles envoient leurs enfants dans des camps en territoire occupé, pour les protéger de la guerre, puis la communication est coupée et ils disparaissent.

La plupart des enfants finissent dans des "camps de rééducation" ou sont adoptés illégalement par des familles russes. Certains sont perdus.

La déportation et la naturalisation forcées d'enfants ukrainiens par la Russie ont été qualifiées de crime de guerre par les enquêteurs de l'ONU et ont incité la Cour pénale internationale à lancer la semaine dernière des mandats d'arrêt contre le président Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, la commissaire aux droits de l'enfant.

Un enfant envoyé en vacances disparaît

Lyudmila Motychak est l'un des parents qui a traversé les territoires occupés pour retrouver son enfant. En novembre, elle est partie pour la Crimée depuis Kherson afin de récupérer sa fille Anastasia, âgée de 15 ans.

Un mois plus tôt, le directeur de l'université d'Anastasia avait convaincu Mme Motychak d'envoyer sa fille dans un "centre de bien-être" en Crimée, où elle pourrait se mettre à l'abri de la guerre. Elle était sceptique mais "le directeur était très convaincant" et Mme Motychak a fini par accepter, après avoir vu d'autres étudiants partir et revenir en toute sécurité.

"D'abord, ils ont dit que les étudiants ne resteraient pas plus de deux semaines, a expliqué Mme Motychak à Euronews. Ensuite, ils ont commencé à repousser la date... Ils ont dit 'ne vous inquiétez pas, ils reviendront à la fin du mois d'octobre', puis en novembre... puis encore après".

D'abord, ils ont dit que les étudiants ne resteraient pas plus de deux semaines. Ensuite, ils ont commencé à repousser la date... Ils ont dit 'ne vous inquiétez pas, ils reviendront à la fin du mois d'octobre', puis en novembre... puis encore après...
Lyudmila Motychak
mère d'une adolescente enlevée par la Russie

Le directeur a alors dit à Mme Motychak qu'elle devrait venir chercher Anastasia en personne. Peu après la reprise de Kherson par les forces ukrainiennes, elle n'est plus parvenue à le contacter.

Entre-temps, Anastasia avait été transférée dans un hôpital après avoir contracté la varicelle, ce qui, selon sa mère, lui a évité d'être envoyée en Russie. Finalement, la mère et la fille ont été réunies.

Donner une fausse identité aux enfants déportés

Plusieurs organismes collaborent avec les autorités locales pour signaler les disparitions d'enfants et en assurer le suivi. Mais il y a des limites à ce qu'ils peuvent faire, d'autant que la Russie présente les adoptions comme des actes de bienveillance. Sur les réseaux sociaux, elle diffuse des vidéos d'enfants ukrainiens dans des camps de rééducation. On les voit en train de chanter l'hymne national russe ou de porter le drapeau du pays.

"Changement de nom, nouveaux passeports, adoptions illégales... ils commercialisent tout cela et s'en servent vraiment comme propagande, [en disant] qu'ils sauvent ces enfants et leur donnent une vie en Russie", explique Aagje Ieven, secrétaire général de Missing Children Europe.

Ironiquement, la propagande diffusée par la Russie est utilisée pour déterminer où se trouvent ces enfants.

L'université de Yale et l'Observatoire des conflits de l'État américain ont publié un rapport détaillé qui s'appuie en grande partie sur des sources ouvertes, telles que des messages sur les réseaux sociaux, des photographies et des publications diffusées par les représentants du gouvernement russe eux-mêmes.

"Nous avons traduit tout ce que les responsables locaux disaient au sujet de leurs transferts... ils le faisaient publiquement", souligne Nathaniel Raymond, directeur du laboratoire de recherche humanitaire de Yale.

Les recherches ont permis d'identifier43 centres. "Nous pensons que le nombre d'installations est bien plus élevé que 43... Il s'agit d'un système logistique complexe, en partie militarisé" précise Nathaniel Raymond. "Il est dispersé, diversifié et extrêmement étendu sur le plan géographique."

Transformer des enfants ukrainiens en enfants russes

Un moratoire est imposé sur les adoptions en période de guerre afin de se donner le temps de retrouver les membres de la famille et de rétablir les liens. Mais des camps de rééducation sont apparus dès 2014, après l'annexion russe de la Crimée, une décision jugée illégale par la communauté internationale.

Au printemps dernier, Moscou a assoupli ses règles en matière d'adoption et de nationalité afin de permettre aux ressortissants russes d'adopter plus facilement des enfants ukrainiens et de leur accorder la citoyenneté

"C'est une façon de voler une génération", a déclaré M. Ieven. "Si vous ne pouvez pas les conquérir, vous les rendez russes."

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L'entretien avec Lyudmila et Anastasia Motychak a été interprété par Salvatore Del Gaudio, professeur de philologie slave et de linguistique à l'université de Salerne, sur Zoom.

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