L'UE propose un nouvel accord pour parvenir à l'"équité fiscale". Voici comment il fonctionnera.

L'accord européen s'appuie sur un accord fiscal de l'OCDE approuvé par 137 pays du monde entier.
L'accord européen s'appuie sur un accord fiscal de l'OCDE approuvé par 137 pays du monde entier. Tous droits réservés BEHROUZ MEHRI/AFP
Par Jorge LiboreiroYolaine de Kerchove (traduction)
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L'impôt minimum sur les sociétés de 15 % s'appliquera aux grandes entreprises qui réalisent des recettes financières combinées de plus de 750 millions d'euros par an,

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L'Union européenne a fait un pas de plus vers la réalisation de ce qu'elle appelle "l'équité fiscale".

Après plus d'un an de querelles politiques et de menaces de veto, les 27 États membres ont accepté d'approuver un accord longtemps bloqué visant à établir unniveau minimum d'impôt sur les sociétés, qui sera fixé à 15 % pour toutes les grandes entreprises.

La réforme, à laquelle se sont opposés à différents moments des pays comme l'Irlande, la Hongrie, l'Estonie et la Pologne, a été saluée comme une étape majeure pour mettre un frein à une longue course vers le bas qui a vu les pays du monde entier réduire progressivement leurs impôts sur les sociétés afin d'attirer les multinationales.

De nombreux gouvernements estiment aujourd'hui que ces années de concurrence fiscale intense ont fait plus de mal que de bien, laissant leurs caisses publiques incapables de faire face à l'explosion des dépenses climatiques, énergétiques et sociales.

"L'imposition minimale est essentielle pour relever les défis que crée une économie mondialisée", a déclaré Paolo Gentiloni, le commissaire européen à l'économie qui a dirigé les négociations pendant des mois.

"L'UE a prouvé qu'elle était réellement déterminée à lutter contre les injustices qui caractérisent le système économique mondial et à faire en sorte que chacun paie sa juste part."

L'impôt minimum sur les sociétés de 15 % n'est toutefois pas une invention exclusive de l'Union européenne.

Cet accord novateur s'appuie sur un accord international négocié par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et approuvé par 137 pays représentant plus de 90 % du PIB mondial, dont les États-Unis, la Chine, l'Inde et la Russie.

Profitant de l'élan donné par la pandémie de COVID-19, lorsque les gouvernements ont été contraints d'émettre d'énormes niveaux d'endettement pour soutenir leur économie par des mesures de blocage, l'OCDE a réussi à conclure des années de travail pour réformer le système fiscal mondial et relever les nouveaux défis découlant de l'économie numérique.

L'organisation basée à Paris a conçu une réforme à deux piliers, le premier pilier étant axé sur la réaffectation des bénéfices imposables et le deuxième pilier sur l'établissement d'un impôt minimum sur les sociétés de 15 %.

Le premier pilier est considéré comme l'élément le plus complexe car il vise à transférer une partie des droits d'imposition du pays dans lequel une entreprise est physiquement basée (par exemple, le siège européen de Google en Irlande) vers le pays dans lequel les bénéfices sont réalisés (par exemple, les bénéfices de Google réalisés en France).

Plus de 125 milliards de dollars (118 milliards d'euros) de bénéfices devraient être redistribués chaque année au titre du premier pilier. Les discussions techniques visant à définir la formule et les conditions sont toujours en cours au niveau de l'OCDE.

Les travaux sur le deuxième pilier sont, en revanche, beaucoup plus avancés.

La Commission européenne a proposé en décembre 2021 une directive visant à intégrer le deuxième pilier dans le droit communautaire, faisant de l'impôt minimum une obligation juridiquement contraignante pour les 27 États membres.

La fiscalité est l'un des rares domaines au niveau de l'UE dans lequel l'unanimité est requise, ce qui a permis à la Hongrie, puis à la Pologne, de retarder l'approbation de la directive et de créer un lien officieux avec d'autres dossiers sans rapport.

Après cet accord obtenu de haute lutte, les États membres auront un an pour transposer les règles avant qu'elles ne deviennent totalement applicables.

Au niveau mondial, le deuxième pilier pourrait générer environ 150 milliards de dollars (141 milliards d'euros) de recettes fiscales supplémentaires chaque année, selon l'OCDE.

Un impôt complémentaire

À ce jour, quatre États membres de l'UE ont un taux d'imposition des sociétés inférieur à l'objectif de 15 % : la Hongrie (9 %), la Bulgarie (10 %), l'Irlande (12,5 %) et Chypre (12,5 %), tandis que d'autres, comme l'Estonie, offrent des réductions qui peuvent ramener le taux sous la barre des 15 % dans certaines circonstances.

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L'impôt minimum sur les sociétés de 15 % s'appliquera aux grandes entreprises qui réalisent des recettes financières combinées de plus de 750 millions d'euros par an, obtenues grâce à leurs activités nationales et internationales.

Les entités gouvernementales, les ONG, les fonds de pension et d'investissement, ainsi que les revenus du transport maritime international seront exemptés.

Le principal élément de la réforme sera l'impôt complémentaire : si une société mère établie dans l'UE possède des filiales situées dans des juridictions offrant un taux d'imposition des sociétés inférieur au seuil de 15 %, cette société mère sera obligée de payer la différence entre le taux d'imposition le plus faible et le taux minimum de 15 %.

Mais, prévient l'observatoire, cette dérogation risque d'entamer l'impact économique de la réforme et de déclencher une "nouvelle forme de concurrence" entre les pays, car les grandes entreprises seront incitées à transférer leurs bureaux et leurs emplois dans les paradis fiscaux dans le but de protéger une part de leurs bénéfices convoités.

"D'un point de vue économique, indique l'observatoire dans une étude de 2021, les carve-outs sont justifiés par la volonté de lutter en priorité - et presque exclusivement - contre les transferts artificiels de bénéfices."

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