L'opposant au Kremlin Ilia Iachine, qui a récemment été libéré dans le cadre d'un échange massif de prisonniers, a parlé à Euronews de longs mois qu'il a passés dans les prisons russes et nous a dit ce qui fera tomber Poutine.
PUBLICITÉL'opposant russe Ilia Iachine a été libéré le 1ᵉʳ août après deux ans et demi passés dans une prison russe grâce à un échange de prisonniers entre la Russie et les pays occidentaux.
Il a parlé à Euronews à Berlin de la Russie, de son séjour derrière les barreaux et de ses projets maintenant qu'il est de nouveau libre.
"Il est très important de se maintenir dans un bon état émotionnel et physique, sinon on s'effondre", explique M. Iachine, assis sur une dalle de béton peinte de graffitis dans un parc de Berlin. "En outre, deux ans ne sont pas une période critique", ajoute-t-il.
"On dit que de tels changements irréversibles ne se produisent qu'après trois ans derrière les barreaux. Après cela, les gens développent de sérieux problèmes de santé : leurs dents tombent, leurs cheveux tombent".
Iachine était bien préparé à sa peine de prison
Ilia Iachine savait qu'il serait arrêté s'il ne quittait pas le pays, et il était tout à fait préparé à la prison, a-t-il déclaré à Euronews.
Lors d'une interview en 2022, il a déclaré au vidéoblogueur russe Yuri Dud qu'il s'était déjà fait refaire les dents par un dentiste pour se préparer à la prison.
"J'ai probablement eu de la chance à bien des égards, car j'ai reçu beaucoup de soutien et beaucoup de lettres", a déclaré M. Iachine à propos du soutien qu'il a reçu.
"Je savais que beaucoup de gens s'inquiétaient pour moi. Bien sûr, cela m'a donné de la force et la volonté de vivre et, d'une certaine manière, cela m'a inspiré et motivé pour prendre soin de moi".
Ilia Iachine a eu un coup de chance. Après avoir été condamné à huit ans et demi de prison pour désobéissance aux forces armées russes le 9 décembre 2022, il a parfois passé du temps à l'isolement dans sa prison de Smolensk, dans l'ouest de la Russie, mais a généralement purgé sa peine dans le quartier pénitentiaire général.
Le transfert dans une "cellule PKT" est considéré comme la sanction disciplinaire la plus sévère dans les prisons russes.
PKT, abréviation russe signifiant, plutôt innocemment, "habitation de type cellule", est en fait une cellule avec un régime de détention plus strict. Les prisonniers sont complètement isolés des autres détenus et du reste de l'établissement et ne peuvent pas se déplacer librement, ni se rendre à la bibliothèque ou à l'église pour prier.
"Il y a des blocs spéciaux comme celui-ci où les gens sont encore plus isolés, de sorte qu'ils n'ont pas de téléphones portables ou d'autres privilèges qui peuvent être introduits clandestinement dans la prison", a déclaré M. Iachine, décrivant son isolement.
Alexei Navalny, le plus grand opposant au président russe Vladimir Poutine et probablement la figure d'opposition la plus connue de Russie, a été détenu dans ce type de bloc de punition jusqu'à ce qu'il meure dans des circonstances douteuses le 16 février au "Loup polaire", l'une des colonies pénitentiaires les plus dures de Russie, dans la région de en Iamalo-Nénétsie, dans l’Arctique russe.
Prisonniers et gardiens se respectaient
Ilia Iachine admet qu'il a eu de la chance par rapport à de nombreux autres prisonniers politiques en Russie. Il n'a pas été torturé ni maltraité.
"Dans l'ensemble, le personnel (de la prison) m'a même parfois témoigné de la sympathie. Il me semble que les instructions rigides visant à m'isoler et à créer des conditions insupportables pour moi ont même souvent été sabotées au niveau des exécutants".
PUBLICITÉ"Parce que tout le monde comprenait que je n'étais pas un criminel. Et les employés normaux comprenaient très bien que je n'étais pas en prison pour un quelconque délit. Je n'avais tué ni violé personne", explique Iachine.
"J'étais là à cause de mes opinions, de mes paroles, de ce en quoi je croyais. Et cela m'a valu le respect des détenus et même du personnel".
"Dans l'ensemble, cependant, les prisonniers politiques sont traités différemment", dit-il, les sourcils froncés. Les sourcils froncés, il regarde pensivement sur le côté et semble soudain préoccupé.
"Bien sûr, ce qui m'inquiète le plus, c'est Alexei Gorinov. Parce que c'est mon camarade, c'est un homme qui, me semble-t-il, a été emprisonné pour m'intimider, pour me faire quitter le pays. Je suis déjà libre, lui est toujours en prison, et c'est un vieil homme, il a 63 ans, et il a de sérieux problèmes de santé".
PUBLICITÉL'opposant russe - à qui il manque une partie du poumon - Gorinov a été condamné à sept ans de prison le 8 juillet 2022 parce qu'il avait proposé de faire une minute de silence pour les enfants tués en Ukraine lors d'une réunion du conseil des députés du district de Krasnoselsky à Moscou.
Ilia Iachine veut maintenant faire tout ce qu'il peut pour le faire sortir de prison.
Selon Iachine, les prisonniers politiques ont la vie beaucoup plus dure au Bélarus
M. Iachine estime également qu'il est important de défendre les militants de l'opposition biélorusse en prison. Dans le cadre du programme d'échange de prisonniers, aucun prisonnier politique biélorusse n'a été libéré (juste un Allemand condamné à la peine capitale par Minsk).
La pression exercée sur les hommes politiques biélorusses est encore pire. "Ils subissent beaucoup plus de pression que nous", a-t-il déclaré. Pendant des années, les avocats n'ont pas été en mesure d'entrer en contact avec leurs clients dans les prisons biélorusses.
PUBLICITÉ"Nous n'avons pas su ce qui se passait avec Sergueï Tikhanovski pendant près de deux ans. Nous ne savons pas ce qu'il advient de Maria Kolesnikova. Ils ont été torturés et maltraités pendant près de deux ans. Nous ne savons pas s'ils sont encore en vie".
"Et, bien sûr, je pense qu'il est juste d'établir une sorte de travail commun avec l'opposition biélorusse, au moins en termes de soutien aux prisonniers politiques", a expliqué Iachine.
Le vidéoblogueur biélorusse Tikhanovski a été condamné à 18 ans de prison en décembre 2021 pour un rassemblement non autorisé. Sa femme, Svetlana Tikhanovskaïa, est devenue la chef de file de l'opposition en exil, et aussi, à son tour, condamnée à 15 ans de prison par contumace.
La militante des droits civiques et opposante biélorusse Maria Kolesnikova, figure du mouvement démocratique en Biélorussie, a été condamnée à 11 ans de prison.
PUBLICITÉAvec YouTube contre Poutine
Outre la libération des prisonniers politiques, Ilia Iachine souhaite se concentrer sur son travail d'éducation contre la guerre. Iachine anime une chaîne YouTube qui compte plus de 1,6 million d'abonnés.
Il tente d'y informer les citoyens russes sur les crimes de guerre commis par le Kremlin, notamment le massacre de Boutcha, dans la banlieue de Kyiv. Les forces russes sont accusées d'y avoir brutalement exécuté des civils lors de l'assaut sur la capitale ukrainienne au printemps 2022.
Après le retrait de l'armée russe, 458 corps ont été retrouvés sur place. 419 d'entre eux portaient des traces de torture.
Selon Ilia Iachine, le fait qu'il ait parlé de cette affaire a été la raison officielle de son arrestation. Mais son emprisonnement ne l'a pas empêché de dire la vérité. Il a trouvé le moyen de continuer à publier sur sa chaîne YouTube depuis la prison, malgré une censure stricte.
PUBLICITÉ"On pouvait communiquer avec les autres en échangeant des lettres. Et parfois, les censeurs laissaient passer des choses", explique Iachine.
"Bien sûr, il est arrivé que mes textes soient bloqués ou que quelque chose soit barré. Mais quand il y a une grande quantité de lettre... Et j'en ai eu une grande quantité ! J'ai reçu plus de 30 000 lettres et cartes postales au cours de mes deux années d'emprisonnement - du coup, les censeurs n'arrivaient pas à gérer cela. Et les choses passaient souvent à travers", se souvient-il.
"J'ai donc pu transmettre certaines informations dans mes lettres. Des informations d'importance publique que je voulais publier sur mes réseaux sociaux ou que je demandais à mon équipe de transformer en vidéo sur YouTube".
Selon Iachine, les chaînes d'opposition ont considérablement gagné en popularité au cours des deux dernières années.
PUBLICITÉ"Les gens qui avaient l'habitude de s'informer par le biais de la télévision après le début de la guerre ont réalisé que la télévision telle qu'elle existe aujourd'hui en Russie ne répond pas au besoin d'information des gens. C'est de la pure propagande. Les gens ont donc commencé à chercher d'autres sources d'information, d'autres opinions, pour comprendre ce qui se passait dans la réalité".
Le soutien à Poutine est-il vraiment important ?
Si M. Poutine peut compter sur un certain nombre de soutiens, de plus en plus de personnes en Russie sont sceptiques, selon Iachine.
"Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de gens qui soutiennent Poutine sur le plan idéologique et qui seraient prêts à le suivre inconditionnellement", explique-t-il.
"Il y a à peu près autant de partisans que d'opposants à Poutine. La société russe est largement composée de personnes qui adoptent une attitude attentiste", a-t-il ajouté. "La situation économique et sociale de la société russe se détériore. Et les gens, me semble-t-il, le constatent de plus en plus. Ils l'associent à la politique de Poutine".
PUBLICITÉ"D'ailleurs, le soulèvement du leader de Wagner, Evgueni Prigojine, l'été dernier, était très symptomatique en ce sens, quand, en dépit d'une réaction hystérique de Poutine, et du fait même d'une vraie rébellion, la société y a réagi de manière plutôt indifférente. Il n'y a pas eu de gros rassemblements en faveur de Poutine".
Actuellement, les Russes ne peuvent pas exprimer ouvertement leurs opinions. La résistance civile en Russie n'est possible que dans la clandestinité, a déclaré Ilia Iachine, "parce que toute critique ouverte des autorités, toute déclaration contre la guerre, signifie fondamentalement la criminalisation".
Le pouvoir de Poutine repose sur "la propagande, la manipulation et, bien sûr, l'usage de la force", a expliqué Iachine.
Pourtant, les mécontents sont de plus en plus nombreux en Russie et sont prêts à passer à l'action. "S'il existe un moyen d'exprimer légalement leur protestation, ces personnes saisiront sans aucun doute cette opportunité", est-il convaincu.
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