L'affaire pourrait remodeler les opérations de Frontex si la Cour de justice de l'UE juge que l'agence européenne des frontières n'a pas respecté les droits fondamentaux des migrants.
L’agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes Frontex est accusée de violation des droits de l’Homme par une famille syrienne, qui estime avoir été renvoyée illégalement de Grèce en 2016.
Cette affaire historique a été présentée mardi à la Grande Chambre de la Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg.
Les avocats de Prakken d'Oliveira poursuivent l'affaire, qui est soutenue par le Conseil néerlandais pour les réfugiés, entre autres.
"C'est la première affaire dans laquelle la question de la responsabilité de Frontex dans les violations des droits de l'Homme aux frontières est centrale", explique Lisa-Marie Komp à Euronews. "La décision de la Cour aura donc un impact important sur la pratique de Frontex et sur son comportement aux frontières européennes".
"La famille syrienne demande que la Turquie soit tenue pour responsable parce que le vol dans lequel ils ont été renvoyés de Grèce était une opération conjointe entre la Grèce et Frontex et dans le cadre du mandat de Frontex. Ce mandat stipule très clairement que Frontex doit veiller au respect des droits fondamentaux", poursuit-elle.
La famille a-t-elle été victime d'un refoulement illégal ?
Fin 2016, la famille est arrivée en Grèce, où sa demande d'asile a été enregistrée. Cependant, à peine onze jours plus tard, Frontex et les autorités grecques les ont placés de force sur un vol à destination de la Turquie - sans traiter leur demande d'asile ni émettre de décision de retour.
Les parents ont été séparés de leurs quatre jeunes enfants pendant le vol et n'ont pas été autorisés à parler à qui que ce soit pendant toute la durée du voyage.
À son arrivée en Turquie, la famille a été immédiatement placée en détention. À la suite de cet éloignement, leurs avocats affirment qu'ils ont été victimes d'un refoulement illégal et ainsi privés de leur droit fondamental de chercher et de demander l'asile.
Après leur libération, la famille, craignant d'être à nouveau renvoyée en Syrie, s'est réfugiée dans le nord de l'Irak. La plainte contre Frontex a été déposée à la fin de l'année 2021.
Selon les avocats, Frontex a également violé le principe fondamental de non-refoulement, qui interdit de renvoyer une personne dans un pays où elle risque d'être persécutée ou de subir un traitement inhumain.
Le droit de demander l'asile et le principe de non-refoulement sont tous deux des obligations juridiques contraignantes en vertu du droit communautaire, inscrites dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
En outre, en séparant les enfants de leurs parents pendant le vol, Frontex aurait également violé les droits de l'enfant.
Une question cruciale
Cette affaire soulève une question cruciale : l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes peut-elle être tenue pour responsable de son rôle dans les refoulements illégaux ? Cette pratique est-elle systématiquement utilisée aux frontières extérieures de l'UE ?
Cette décision pourrait avoir des conséquences considérables pour Frontex et d'autres institutions de l'UE, en influant sur leurs obligations en matière de surveillance et d'établissement de rapports, ainsi que sur leur responsabilité de prendre des mesures significatives contre les violations des droits de l'Homme.
"Par cette affaire, la famille syrienne et les organisations qui la soutiennent cherchent à faire passer un message clair : aucune institution de l'UE n'est au-dessus de la loi", déclare Lisa-Marie Komp. "La décision de la Grande Chambre d'entendre l'affaire affirme que le système juridique européen est prêt à examiner le rôle et la responsabilité de Frontex, renforçant ainsi les valeurs de justice et de droits de l'Homme de l'UE".
Réponse de Frontex
Contacté par Euronews, le porte-parole de Frontex n'a pas voulu évoquer les détails d’une affaire en cours, mais il affirme que les décisions d’expulsion relèvent de la compétence des États membres.
"Frontex s'engage à respecter les droits fondamentaux dans toutes ses activités. À cette fin, nous avons mis en place diverses garanties, notamment le suivi des retours par les contrôleurs des droits fondamentaux de Frontex, un mécanisme de plainte et des procédures de signalement des incidents graves qui ont été adaptées pour mieux répondre aux défis opérationnels en constante évolution", déclare Krzysztof Borowski.
"Frontex demande aux États membres de confirmer explicitement que les personnes pour lesquelles l'aide de l'agence est demandée ont fait l'objet d'une décision de retour individuelle exécutoire et qu'elles ont eu la possibilité de demander une protection internationale", poursuit-il.
La décision de la Cour de justice de l’UE est attendue pour la fin de l'année.