Le projet de l'UE d'externaliser l'immigration par l'intermédiaire de "centres de retour", qui n'a jamais été mis en œuvre auparavant, est entouré d'incertitude juridique.
L'idée de l'Union européenne de construire des centres de rétention de migrants en dehors de ses frontières pour héberger les demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée continue d'alimenter les inquiétudes et les doutes quant à sa faisabilité juridique et logistique et à son impact potentiel sur les droits de l'homme.
Ce projet sans précédent - connu sous le nom de "centres de retour" - devrait être inclus dans une proposition législative que la Commission européenne présentera avant le prochain sommet des chefs d'État et de gouvernement en mars.
Il s'agira du premier engagement de la nouvelle Commission visant à trouver des "solutions innovantes" pour gérer l'immigration irrégulière, un concept vague le plus souvent associé à des programmes d'externalisation.
L'accent est désormais mis sur les retours et notamment sur l'expulsion des demandeurs d'asile qui sont arrivés dans l'Union, qui ont épuisé toutes les voies légales pour demander une protection internationale, et qui sont priés de quitter le territoire. Problème : depuis des années, l'UE fait face à un faible taux d'expulsions et considère désormais les centres éloignés comme une option qui mérite d'être testée, poussés par une quinzaine de pays membres.
Lors d'une réunion informelle des ministres de l'Intérieur la semaine dernière, Magnus Brunner, le commissaire européen chargé des migrations, a présenté des "règles plus strictes en matière de détention" et la "possibilité de développer des centres de retour", selon le compte-rendu dont euronews a eu connaissance en exclusivité.
Ce plan, qui n'a pas été testé, comporte toutefois des risques élevés.
Dans une prise de position publiée jeudi, l'Agence des droits fondamentaux de l'UE (FRA) a ainsi adressé un avertissement à la Commission, insistant sur le fait que tout projet visant à établir des "centres de retour" doit s'accompagner de mesures de sauvegarde solides afin de garantir un traitement légal et digne.
Le fait que ces centres soient construits en dehors de l'Union européenne ne dispense pas du respect de la législation européenne, affirme l'agence, car les Etats membres et Frontex resteraient "responsables des violations des droits dans les centres et pendant les transferts".
La FRA suggère que l'Union signe un "accord juridiquement contraignant" avec le pays d'accueil qui fixerait des "normes minimales pour les conditions et le traitement" des migrants relocalisés et introduirait un "devoir" d'atténuer les violations des droits fondamentaux même si jusqu'à présent, Bruxelles n'a donné aucune indication sur l'endroit où les centres pourraient être construits.
Selon l'agence, les migrants envoyés dans les centres doivent bénéficier d'une "décision valable et exécutoire" fondée sur une "évaluation individuelle" de leur demande d'asile et ne jamais faire l'objet d'expulsions collectives, qui sont illégales au regard du droit international. Les personnes vulnérables et les enfants devraient être exclus du système.
"Alors que l'UE et les États membres tentent de trouver des solutions pour gérer les migrations, ils ne doivent pas oublier leur obligation de protéger la vie et les droits des personnes", a déclaré Sirpa Rautio, directrice de l'agence, dans un communiqué.
"Les centres de retour prévus ne peuvent pas devenir des zones de non-droit. Elles ne seront conformes à la législation européenne que si elles incluent des garanties solides et efficaces en matière de droits fondamentaux."
La question de savoir comment résoudre la quadrature du cercle entre l'externalisation et la légalité n'est toujours pas résolue.
Dans un document datant de 2018, la Commission a estimé que les "centres de retour localisés à l'extérieur" seraient illégaux car le droit de l'UE interdit d'envoyer des migrants "contre leur gré" dans un pays dont ils ne sont pas originaires ou qu'ils n'ont pas traversé.
La législation à venir devrait donc modifier la base juridique pour permettre la relocalisation et soutenir les contestations juridiques.
Les organisations humanitaires craignent que l'éloignement en dehors du territoire de l'UE ne réduise le contrôle judiciaire et ne conduise à des violations rampantes et incontrôlées des droits de l'homme.
En début de semaine, la commissaire Brunner a rencontré un groupe d'ONG pour discuter de la nouvelle directive sur le retour. "Vos idées sont essentielles à l'élaboration d'une politique migratoire équitable et efficace. Je me réjouis de poursuivre et d'approfondir notre dialogue", a-t-il déclaré sur les médias sociaux.
L'un des participants, la Plateforme pour les sans-papiers (PICUM), a exprimé de sérieuses inquiétudes quant au projet de la Commission d'accélérer les expulsions, avertissant que la loi risquait d'être "adoptée à la hâte sous la pression politique".
L'idée de construire des centres d'expulsion en dehors de l'Union européenne, a déclaré PICUM, pourrait accroître la "détention arbitraire automatique" des demandeurs d'asile et enfreindre le principe de non-refoulement, qui interdit aux autorités d'expulser les migrants vers des pays où ils risquent d'être persécutés, torturés ou soumis à toute autre forme de mauvais traitement.
Une autre participante, Eve Geddie, d'Amnesty International, a exprimé des inquiétudes similaires et a ajouté à la liste les coûts économiques, le manque de transparence et les défis opérationnels.
"Il n'existe aucune preuve suggérant que ces programmes seraient efficaces pour augmenter les retours ou pour influencer la décision des gens de ne pas émigrer", a insisté Mme Geddie.