Alors que l'UE est confrontée à des défis croissants en matière de sécurité, la question s'est posée de savoir si la France disposait des capacités militaires nécessaires pour mener une initiative de défense commune.
Emmanuel Macron a placé la France au cœur du dispositif européen de réarmement, face à l'agressivité du maître du Kremlin et suite aux signes de rapprochement entre Washington et Moscou.
Alors que les États-Unis réduisent la protection militaire accordée à l'Europe et que la Russie représente une menace croissante pour la sécurité du continent, l'UE fait pression pour que ses membres augmentent leurs dépenses et mettent en commun leurs ressources dans le cadre de projets de défense communs.
Toutefois, malgré les ambitions du président français et le classement de l'organisation de recherche militaire Global Firepower qui place l'armée française au septième rang mondial, les capacités militaires réelles de Paris interrogent.
La force sur le papier, la pénurie dans la réalité
Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron a considérablement augmenté les dépenses de la France en matière de défense.
La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 du pays a alloué 295 milliards d'euros à la défense. La dernière LPM 2024-2030 a porté ce chiffre à 413 milliards d'euros, soit une augmentation de 40 %.
Malgré ces investissements, la France est toujours en train de rattraper son retard.
Le sénateur Cédric Perrin, membre du parti Les Républicains et président de la commission de la défense du Sénat, a reconnu les progrès réalisés, mais a déclaré que le financement restait "insuffisant pour relever les nouveaux défis".
La force militaire du pays compte environ 200 000 soldats actifs et 44 000 réservistes, selon Global Firepower.
L'armée française possède 225 chars de combat Leclerc et 79 canons Caesar. Sa marine exploite un porte-avions à propulsion nucléaire, quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins et 15 frégates, tandis que l'armée de l'air dispose de 197 avions de chasse.
La France détient par ailleurs environ 290 têtes nucléaires dans le cadre de sa stratégie de dissuasion.
Mais plusieurs inquiétudes subsistent. Par exemple, les stocks de munitions sont extrêmement faibles.
L'objectif de la France en 2024 était de produire 100 000 obus de 155 mm par an, un calibre d'obus d'artillerie aux normes de l'OTAN qui est utilisé dans de nombreux canons de campagne et obusiers.
Il s'agit d'une amélioration considérable par rapport aux 6 000 obus produits annuellement entre 2012 et 2017, mais l'armée ukrainienne tirant 7 000 obus par jour, la France a encore un long chemin à parcourir.
Un rapport publié en 2023 par la Chambre basse du Parlement français a révélé que les stocks sont au plus bas et qu'ils ne dureraient pas plus de quelques semaines en cas de conflit prolongé.
Le paradoxe des exportations d'armes
La France dispose d'un solide complexe industriel de défense et est le deuxième exportateur d'armes au monde, selon la dernière analyse de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Mais il est important de distinguer les ventes d'armes françaises des capacités militaires de l'armée nationale, selon Emmanuel Dupuy, analyste militaire et président de l'Institut des perspectives européennes et des études de sécurité (IPSE).
Emmanuel Dupuy a affirmé que la chaîne d'approvisionnement militaire de la France était défectueuse.
"Nous sommes devenus le premier exportateur européen d'armes en vendant des avions de chasse Rafale et des canons Caesar, mais nous manquons de munitions parce que nous n'avons plus la capacité de les fabriquer en France", a-t-il confié.
Cédric Perrin a déclaré que si la France fabriquait beaucoup d'équipements de bonne qualité, cela ne signifiait pas que le pays en achetait beaucoup.
Emmanuel Dupuy a abondé dans le même sens, affirmant que "nous devrions peut-être partir du principe que nous ne pouvons pas être une puissance exportatrice si nous ne voulons pas nous approvisionner en matériel dont nous avons besoin pour notre propre sécurité".
Le complexe militaro-industriel français s'appuie également sur des fournisseurs internationaux pour les matériaux critiques. Par exemple, les fabricants français de munitions importent de la poudre à canon d'Australie, selon l'analyste militaire.
La semaine dernière, Sébastien Lecornu, ministre français des Armées, et Éric Lombard, ministre de l'Économie, ont inauguré une nouvelle ligne de production de poudre à canon par Eurenco, une société spécialisée dans les poudres et les explosifs.
L'usine produira quelque 1 200 tonnes de pastilles de poudre par an qui alimenteront environ 100 000 obus d'artillerie, destinés aux canons Caesar déployés en Ukraine, entre autres.
Que manque-t-il à l'armée française ?
Malgré ses atouts militaires, la France est à la traîne dans plusieurs domaines critiques, avertissent les experts.
"Nous devons investir dans des capacités de projection de forces - des avions de transport lourds pour déployer un grand nombre de troupes et de véhicules blindés à l'étranger", a déclaré Emmanuel Dupuy.
Une autre lacune urgente concerne le développement d'un plus grand nombre de drones, qui ont transformé la manière dont la guerre est menée, en particulier en Ukraine.
La surveillance est un domaine particulièrement préoccupant.
À l'ère de la cyberguerre et de la surveillance électronique, la France doit renforcer sa capacité à détecter et à répondre aux menaces en temps réel, selon l'expert en sécurité internationale.
Selon lui, la France et ses alliés de l'UE devaient s'affranchir de leur dépendance à l'égard des systèmes de missiles Patriot construits par les États-Unis. Nous ne devons absolument plus dépendre des systèmes antiaériens Patriot, mais développer nos propres équivalents européens", a-t-il expliqué.
Manque de coopération de l'UE
La doctrine militaire française s'est traditionnellement concentrée sur la guerre expéditionnaire plutôt que sur les conflits directs à grande échelle.
Cédric Perrin a noté que les forces françaises ont été créées "pour intervenir n'importe où", mais il a ajouté que leur nature "fragmentée" signifie qu'elles sont limitées en termes d'échelle.
Le sénateur républicain a insisté sur le fait que la France, comme d'autres nations européennes, ne peut s'engager dans un conflit majeur qu'"en coalition avec les alliés de l'OTAN et de l'UE".
Toutefois, la coopération européenne dans le domaine de l'industrie de l'armement reste un travail en cours.
Selon Emmanuel Dupuy, le continent devait améliorer l'interopérabilité en matière d'approvisionnement.
"Nous avons besoin de moins d'équipements différents au sein des forces armées européennes - peut-être un avion européen commun, plutôt que des projets nationaux concurrents", a-t-il ajouté.
Toutefois, Cédric Perrin s'est dit prudemment optimiste quant à la nouvelle initiative militaire de la France.
"Nous allons dans la bonne direction. La question est maintenant de trouver le budget nécessaire pour passer les commandes", a déclaré le responsable politique.
Le gouvernement français a pour objectif de mobiliser 5 milliards d'euros de fonds publics et privés supplémentaires pour le secteur de la défense, comme l'a annoncé le ministère de l'Économie et des Finances la semaine dernière.
Cependant, les tensions sur les finances publiques de la France réduisent les possibilités d'augmenter les dépenses de défense.
Emmanuel Macron souhaite faire passer le budget de l'armée de 2 % du PIB du pays à 3 ou 3,5 % au cours des prochaines années.