Alors que la France est confrontée à des difficultés économiques et que les financements se tarissent, les possibilités de logement pour les Ukrainiens déplacés s'amenuisent.
Plus de trois ans après avoir fui l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie, des dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens en France sont confrontés à une nouvelle forme d'incertitude : des budgets de plus en plus serrés et un soutien politique de plus en plus faible.
Alors que des pays comme l'Allemagne et la Pologne continuent d'accueillir la majeure partie des personnes fuyant le conflit, la France n'héberge que 55 000 Ukrainiens bénéficiant du statut de "protection temporaire" de l'Union européenne, contre 1,18 million pour la seule Allemagne.
Depuis mars 2022, le statut de protection temporaire permet aux Ukrainiens de contourner la procédure d'asile traditionnelle et d'accéder rapidement à des droits tels que des permis de travail, des soins de santé, la scolarisation des enfants et une modeste allocation de demandeur d'asile pouvant aller jusqu'à 426 euros par mois en France.
Le programme français, qui devait prendre fin en mars 2025, a finalement été prolongé jusqu'en mars 2026 en raison du conflit en cours.
Mais à mesure que la guerre s'éternise et que les pressions économiques s'accentuent, le gouvernement français a de plus en plus de mal à continuer à soutenir les réfugiés ukrainiens.
Le bout d'un système
L'un des principaux problèmes est celui du logement. Au lendemain de l'invasion russe, l'État français a mobilisé plus de 19 500 places dans des centres d'hébergement d'urgence pour les Ukrainiens, mais selon l 'ONG La Cimade, ce nombre a diminué depuis, tombant à 13 000 places en 2023, 9 000 en 2024 et 4 000 en 2025.
L'État a également mis en place des programmes d'intermédiation locative, connus sous le nom d'ILM, permettant aux organisations et aux ONG de sous-louer des appartements privés à des familles ukrainiennes vulnérables. Environ 30 000 logements ont été mis à disposition, mais ce système est aujourd'hui en perte de vitesse.
Selon un bulletin gouvernemental envoyé par le Premier ministre français François Bayrou en décembre 2024, seules 11 000 places en ILM seront financées en 2025, ce qui est loin d'être le nombre nécessaire.
L'autre problème est que les organisations qui fournissent les appartements aux réfugiés doivent d'abord trouver de l'argent pour les sous-louer, et que leurs propres budgets sont mis à rude épreuve.
Nadia Sollogoub, sénatrice centriste et présidente du groupe d'amitié France-Ukraine du Sénat, a observé cette situation en temps réel.
"En 2023 et 2024, ces associations ont avancé les frais de logement, mais comme l'État était en difficulté financière, elles n'ont donc été remboursées que le 30 décembre de chaque année, et pas dans leur intégralité", a-t-elle expliqué à Euronews.
"J'ai peur que certaines organisations cessent de s'occuper des Ukrainiens à cause de cela. Le fait que l'État mette du temps à les rembourser les met en grande difficulté financière et leur pose des problèmes de trésorerie."
Avec l'assèchement des fonds, les groupes d'aide en France craignent une crise.
"Les réfugiés sont très inquiets car l'aide s'est essoufflée et nous traversons une crise financière majeure en France ; ils ne savent donc pas vraiment ce qui va se passer. Auparavant, le système était très contrôlé, mais aujourd'hui, il est vraiment à bout de souffle", a déclaré la sénatrice.
Certaines familles ukrainiennes vivent désormais dans la crainte de perdre leur logement. À l'automne 2024, des associations ont tiré la sonnette d'alarme après que plusieurs familles de l'Est de la France ont reçu des avis d'expulsion de logements du GIP.
Grâce à la médiatisation et au plaidoyer, elles ont été autorisées à rester, mais le précédent est profondément déstabilisant, selon Violeta Moskalu, responsable d'une association franco-ukrainienne dans la région.
Protection temporaire ou asile ?
De plus, le cadre du régime de protection temporaire est mis à l'épreuve. Les autorités françaises ont poussé les réfugiés ukrainiens à demander l'asile.
Les réfugiés sous protection temporaire ne peuvent pas bénéficier de certaines aides sociales, comme le RSA (revenu de solidarité active) ou l'aide aux personnes handicapées. Et plus la guerre se prolonge, plus la protection temporaire s'apparente à un flou permanent.
La sénatrice Nadia Sollogoub milite pour un changement. "J'ai déposé une proposition de loi qui sera examinée par le Sénat le 14 mai."
"Elle permettrait aux personnes qui restent sous protection temporaire et sous le régime de l'IML de bénéficier des mêmes droits sociaux que s'ils avaient obtenu l'asile... sauf qu'ils pourront retourner dans leur pays d'origine."
Elle critique les messages contradictoires du gouvernement : "Au niveau national, le gouvernement continue de dire : 'Nous sommes là, la main sur le cœur, nos frères ukrainiens que nous accueillons avec toute notre générosité', sauf qu'au moment de décider du budget 2025, nous n'avons pas obtenu les fonds pour les loger."
Depuis janvier 2022, la France a dépensé 4,32 milliards d'euros pour l'accueil des réfugiés ukrainiens, selon Statista.
En février, le Parlement a adopté un plan budgétaire controversé et attendu depuis longtemps pour 2025, qui vise à réduire les dépenses de 30 milliards d'euros et à augmenter les impôts de 20 milliards d'euros pour limiter le déficit de la France à 5,4 % du PIB cette année.
Alors que les programmes d'aide financés par l'État sont en difficulté, les Ukrainiens sont de plus en plus nombreux à demander l'asile.
En 2024, la France a reçu plus de 11 800 premières demandes d'asile de la part d'Ukrainiens, soit quatre fois plus que l'année précédente, ce qui fait de l'Ukraine le deuxième pays d'origine des demandeurs d'asile, après l'Afghanistan. Mais cette situation s'accompagne de ses propres complications.
"Nos services gouvernementaux sont déjà submergés par les demandes d'asile", a déclaré la sénatrice à Euronews. "Il faut beaucoup de temps pour obtenir ces documents. De plus, nous ne faisons pas ce que nous voulions faire au départ".
L'objectif initial, a-t-elle souligné, était de permettre aux Ukrainiens de rentrer chez eux à la fin de la guerre, et non de les forcer à demander l'asile à long terme.
Contrairement à la protection temporaire, le statut de réfugié empêche son titulaire de retourner dans son pays d'origine.
Dans le même temps, les intentions des Ukrainiens de retourner dans leur pays ont considérablement diminué au fil du temps, passant de 52 % en 2023 à 31 % en 2024, selon l'Agence européenne pour l'asile.
Bien que la France ne réduise pas directement son aide aux réfugiés ukrainiens, cette décision donne un aperçu d'un changement plus large sur le continent, où l'aide aux réfugiés ukrainiens est régulièrement réduite.
En décembre 2024, le Parlement suisse a limité la protection temporaire aux personnes originaires des zones attaquées ou occupées en Ukraine. L'Allemagne et l'Estonie ont également réduit l'aide et l'accès aux services pour les Ukrainiens.