La méconnaissance de l’islam crée l’islamisme radical

La méconnaissance de l’islam crée l’islamisme radical
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Par Amirbehnam MASOUMI
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Depuis l’affaire Mohammed Merah, la France, voire L’Europe, est face à une nouvelle phase de terrorisme. Contrairement aux attentats des années 80 à Paris, ce n’est pas telle ou telle organisation terroriste basée à l’étranger qui a programmé les attaques de Toulouse. Cette fois, c’est un simple citoyen français qui s’est radicalisé et est passé à l’action. Les terroristes qui ont commis les attentats de Charlie Hebdo, ceux du 13 novembre à Paris et ceux de Bruxelles ont eu le même parcours. La question essentielle est de savoir pourquoi une petite partie de la jeunesse européenne, majoritairement issue de familles musulmanes, est intéressée par la version la plus radicale de l’islam ?

Cette question était l’une des principales raisons d’organiser le forum « enseigner les mondes musulmans » à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Lyon ces 3 et 4 novembre.

Nous avons rencontré Abbès Makram, professeur de l’ENS de Lyon et organisateur du forum, pour nous éclairer.

Abbès Makram : « Il y a une nouvelle forme de violence, une forme inédite qui n’a rien à voir avec celles ayant existé dans les traditions de l’islam classique. Je l’ai appelée « atomisation de la violence», c’est-à-dire une violence non contrôlée, sans territoire, qui peut frapper à n’importe quel moment et peut prendre pour cible n’importe quel citoyen partout dans le monde, y compris dans les pays musulmans. Il ne faut pas oublier que les musulmans sont la première cible de cette forme de violence. La question est de savoir pourquoi et comment la culture musulmane a pu produire actuellement un tel monstre. Ce phénomène reste cependant une partie marginale de l’islam dans le monde. Nous passons une phase historique dans la pensée islamiste qui a commencé par la révolution islamique en Iran et qui a été suivie par les révolutions arabes en 2011. Nous sommes face à une anarchie théorique, politique et matérielle dans le monde musulman, surtout au Moyen-Orient. Avec une longue histoire d’immigration d’une part et de transformation rapide des informations dans un monde «connecté» d’autre part, cette crise influence l’autre côté de la Méditerranée, et à l’échelle globale, le monde entier ».

Islamologie : de l’orientalisme à la déradicalisation

Après les attentats du 13 novembre à Paris, le gouvernement français a mis en œuvre un plan global pour lutter contre cette nouvelle forme de terrorisme et de violence ; un plan qui n’est pas limité à l’augmentation des mesures de sécurité et des services de renseignements, mais qui propose un renforcement de la recherche et de la formation sur l’islamologie et la radicalisation dans les universités, mais aussi de l’enseignement de l’islam dans les établissements scolaires. Cependant, on sait bien qu’en France et partout en Europe, il y a une longue tradition d’études du monde arabe et musulman. Il semble qu’aujourd’hui l’enseignement et l’introduction d’un islam moins idéologisé et moins doctrinaire soit plus nécessaire que jamais.

Abbès Makram : « En France, l’histoire de la connaissance et de l’enseignement du monde musulman a commencé par un désir exprimé par François 1er au XVIème siècle (…) Cette envie peut être considérée comme une partie de ce qu’on appelle « l’orientalisme » à l’époque de la colonisation européenne ».

Aujourd’hui, avec la montée de l’islamisme radical, cette forme d’enseignement semble ne plus être efficace. Il y a de nouvelles problématiques et il faut désormais y répondre.

Le forum «Enseigner les mondes musulmans » réunit des professeurs de secondaire et des chercheurs universitaires, mais aussi des chercheurs indépendants, qui travaillent sur les divers aspects de la culture et des civilisations musulmanes.

Abbès Makram : « Il fallait engager une réflexion sur l’enseignement des cultures de l’islam, de l’histoire, pour répondre aux besoins des citoyens français, notamment d’une partie d’entre eux qui s’est radicalisée et s’identifie à une image violente et macabre de l’islam. Si on avait réfléchi sur la question de l’enseignement de l’islam durant les années 80-90, peut-être qu’on aurait pu éviter certains drames. Il y a un déficit de connaissance du monde musulman, y compris chez la population musulmane de France. Une partie de cette population a une vision archaïque et traditionnelle de l’islam. L’idéologie islamiste récente veut donner une version standardisée de la religion. Le forum qui se tient à Lyon essaie de donner une image de l’islam avec ses différentes civilisations, avec sa richesse et son histoire complexe. L’islam de la population des pays musulmans n’est pas forcément compatible avec la version idéologisée.»

Le président François Hollande a récemment revendiqué un islam de France, un islam compatible avec les valeurs de la République et surtout de la laïcité française.
La France accueille un bon nombre des penseurs réformistes musulmans. Mohammed Arkoun et sa nouvelle manière d’interpréter les textes sacrés musulmans est aujourd’hui mondialement connu. Les écrits de Rachid Benzin, qui a été récemment sollicité pour créer des départements d’islamologie dans les universités françaises, sont sujet à débats pour les théologiens au Moyen-Orient. Les idées des islamologues de France semblent avoir le potentiel de bouleverser la pensée traditionnelle et doctrinaire de l’islam. Reste à savoir si ces idées vont arriver à permettre la fondation d’un islam de France ?

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