Manifestations inédites à Cuba : pourquoi cette colère ?

Des manifestants réunis à La Havane, dimanche
Des manifestants réunis à La Havane, dimanche Tous droits réservés Ismael Francisco/Copyright 2021 The Associated Press. All rights reserved
Par euronews
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Elle puise ses sources au-delà du traditionnel sentiment anticastriste. Décryptage avec deux spécialistes de Cuba.

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Ce dimanche avait lieu à Cuba l'une des plus grandes manifestations que le pays ait connues depuis celles du "Maleconazo", en 1994. Cette colère spontanée puise ses sources au-delà du traditionnel sentiment anti-castriste.

C'est tout d'abord un désespoir économique, aggravé par la décision du gouvernement de mettre fin au système de peso convertible, estime Laura Tedesco, professeur d'études latino-américaines à l'université Saint Louis de Madrid.

"De nombreux produits ne se trouvent que dans certains magasins. Résultat : beaucoup de gens, qui n'ont pas accès au dollar, "doivent faire la queue pendant des heures et des heures pour acheter du poulet", selon la chercheuse.

A cela s'ajoute les sanctions imposées par le président Trump, qui rendent impossibles les envois de fonds vers l'île et la crise du tourisme en raison de la pandémie. Résultat, le gouvernement manque de devises étrangères pour importer des denrées alimentaires et des médicaments.

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Des personnes attendent une dose du vaccin cubain Abdala à La HavaneRamon Espinosa/Copyright 2021 The Associated Press. All rights reserved

Selon William Leogrande, professeur de gouvernement à l'American University de Washington DC, "la réponse initiale de Cuba à la pandémie a été très efficace. La fermeture de l'île aux voyageurs, associée à des mesures de quarantaine strictes et à une recherche minutieuse des cas contacts, a permis de maintenir le nombre de cas extrêmement bas. Mais la tentative de réouverture de l'île pour relancer le tourisme s'est retournée contre elle".

En effet, le pays a connu un record d'infections et de décès liés au virus. L'une des régions les plus touchées est la province de Matanzas.

Cuba n'a plus de grand frère

Cuba a toujours survécu grâce à un grand frère. Ce fût l'Union soviétique puis le Venezuela. "Aujourd'hui, ils n'ont personne pour subventionner leur économie, qui est absolument inefficace. La situation au Venezuela ne cesse d'empirer et l'aide à Cuba n'est plus jugée pertinente", analyse Laura Tedesco.

Un discours castriste sans Castro

"L'ordre de combat est donné, les révolutionnaires sont prêts à descendre dans la rue", a déclaré le président Miguel Diaz-Canel lors d'une allocution télévisée belliqueuse, accusant les manifestants d'être des ennemis du socialisme.

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Le président Diaz-Canel dans la rue après une manifestation à San Antonio de los BanosRamon Espinosa/Copyright 2021 The Associated Press. All rights reserved

Selon Laura Tedesco, il s'agit toujours du_ "discours selon lequel ceux qui sont dans les rues sont des contre-révolutionnaires, qu'ils sont payés par les États-Unis, que l'embargo... Le peuple est très fatigué d'entendre cela_".

Mais le principal problème de Miguel Diaz-Canel est qu'il n'est pas Castro. "En 1994, Fidel a dit aux manifestants de se calmer et ils sont tous rentrés chez eux. Si Díaz-Canel se rendait sur place, on lui jetterait des œufs... parce que Díaz Canel n'est pas charismatique et n'a pas été élu", estime la spécialiste de Cuba.

Cependant, selon William Leogrande, il serait exagéré de dire que le gouvernement perd le contrôle. "Les manifestations étaient de faible ampleur par rapport à ce que nous avons vu dans de nombreux autres pays d'Amérique latine ces dernières années. Il sera intéressant de voir s'il y aura d'autres manifestations après celles-ci, et comment le gouvernement réagira".

La facteur réseaux sociaux

"À Cuba, les associations indépendantes illégales, les réseaux sociaux occupent cet espace", explique William Leogrande. "Grâce à eux, les personnes en colère contre le gouvernement peuvent entrer en contact avec d'autres personnes, se sentir moins isolées et être encouragées à agir", ajoute le professeur.

Fin 2018, le gouvernement a autorisé les Cubains à avoir accès aux réseaux sociaux sur leurs téléphones portables. Selon le professeur Tedesco, c'était une "erreur" du gouvernement car cela a vraiment "sapé son monopole sur l'information, et finalement, ça l'a détruit".

Il reste des obstacles

Sur les réseaux sociaux en effet, le changement semble à portée de main. Des messages comme #SOSCuba ou des vidéos comme celle de Yotuel, l'un des instigateurs du mouvement avec sa chanson "Patria y Vida", ont contribué à mobiliser les jeunes.

Mais tout Cuba n'est pas sur Twitter : "Dans la génération de ceux qui ont 50 ans aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui soutiennent le gouvernement parce qu'il n'y a pas d'autre alternative", modère Laura Tedesco.

L'autre inconnue reste la réponse du gouvernement. William Leogrande note que la police a fait un usage "limité de la force" ce dimanche, ce qui s'explique par le fait que "le gouvernement semble bien conscient qu'une répression immédiate des manifestants risque de faire descendre davantage de personnes dans la rue. Toutefois, je ne serais pas surpris de voir une vague d'arrestations de dissidents connus", conclut-il.

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