Démantèlement des monuments soviétiques : la Lettonie face à son passé

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Par Julian GOMEZ
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Après l'invasion russe de l'Ukraine, la Lettonie a adopté une loi qui permet la démolition de monuments soviétiques. Pour Riga, il s'agit de se débarrasser d'instruments de propagande. Pour les Russes ethniques, cela revient à effacer l'histoire.

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Après l'invasion russe de l'Ukraine, la Lettonie a adopté une loi qui permet la démolition systématique des monuments soviétiques à moins qu'ils ne répondent à certains critères. Pour Riga, il s'agit de se débarrasser d'instruments de propagande. Pour les Russes ethniques, cela revient à effacer l'histoire.

Points névralgiques de propagande politique pour les uns, lieux de mémoire et d'histoire pour les autres, les monuments érigés durant l'ère soviétique continuent de susciter de vifs débats en Lettonie malgré une loi récente adoptée après l'invasion de l'Ukraine par la Russie qui permet le démantèlement systématique de bon nombre d'entre eux.

Ce texte, reflet de l'inquiétude qu'inspire l'expansionnisme du voisin russe, oblige les municipalités à démolir les monuments glorifiant le régime soviétique. Ceux qui sont érigés dans des cimetières, renferment des restes humains ou ont une importance culturelle sont préservés.

"On efface l'histoire !"

Mais près de la frontière avec le Belarus et la Russie, les choses ne sont pas si simples. La ville de Daugavpils compte trois grands monuments soviétiques et les Russes ethniques sont majoritaires parmi sa population. Considéré comme site de propagande par les experts gouvernementaux, un mémorial dédié aux soldats soviétiques de la Seconde Guerre mondiale est voué à la destruction. Cependant, tous les russophones que nous rencontrons sur place sont contre.

"Les monuments ne doivent pas être démolis : ce sont nos souvenirs, ils devraient rester là où ils sont, ils ne nous dérangent pas !" assure une passante d'une cinquantaine d'années. "La ville entière est contre son démantèlement," affirme une autre plus âgée. Une dernière nous fait remarquer : "Ici, avant, il n'y avait pas de fleurs, pas de bougies, rien. Mais depuis que l'on parle de démantèlement, des gens en ont mis."

Un conseiller municipal, membre de la communauté des Russes ethniques de la ville, me confie lui aussi sa consternation. "Un soldat est un soldat, le monument a été érigé en tant que symbole de gratitude envers des personnes," souligne Igor Prelatov. "Si on remonte dans l'histoire, à qui appartenait ce territoire ? Cette question suscite de nombreuses discussions, c'est un débat sans fin," lance-t-il avant d'ajouter : "À mon avis, en détruisant les monuments, on efface l'histoire."

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Pour le conseiller municipal de Daugavpils Igor Prelatov, détruire les monuments revient à effacer l'histoireEuronews

"Grâce aux monuments, nous pouvons enseigner les bonnes choses tout comme les mauvaises"

Ailleurs dans la ville, le plus grand monument soviétique de la commune est pour sa part, certain d'être épargné car il abrite des restes humains. Mais même dans ce cas qui semble réglé, deux historiens locaux ont des approches quelque peu différentes.

"Les monuments font partie de notre histoire, qu'elle soit bonne ou mauvaise," assure Ina Kirnichanska, enseignante à la retraitée. "Grâce à ces monuments, nous pouvons enseigner à nos élèves, les bonnes choses tout comme les mauvaises," insiste-t-elle.

"Le monument en lui-même ne crée aucune division au sein de la population ; ce qui divise, c'est la manière dont il est exploité par différents groupes et organisations politiques," renchérit Henrihs Soms, professeur d'histoire de l'Université de Daugavpils.

"Plus tôt on les enlèvera, mieux ce sera !"

Le monument est aussi l'une des attractions touristiques de la ville. Guide locale, Vika Valuyela estime qu'il existe toujours des alternatives à la destruction de ces monuments, aussi radicales qu'elles puissent paraître. "On peut le repeindre ou le transformer en objet d'art, on a proposé de le peindre aux couleurs de l'arc-en-ciel : comme ça, on aurait tout le temps un arc-en-ciel dans notre ville," affirme-t-elle dans un sourire.

Quand nous lui faisons remarquer qu'il s'agit d'un tombeau collectif. Elle nous répond : "Dans notre ville, vous ne pourrez pas faire un pas sans vous retrouver à un endroit où quelqu'un est mort."

Après avoir passé quelques heures à écouter les habitants, nous pouvons conclure que sur place, quasiment personne ne veut démonter les monuments. Ce n'est que dans l'école de musique de la ville que je rencontre quelqu'un qui plaide ouvertement pour leur destruction.

"Plus tôt on les enlèvera, mieux ce sera !" nous lance Aivars Broks, directeur de l'école de musique. "Déterminer les monuments qui glorifient beaucoup l'occupation soviétique et ceux qui le font moins, c'est grotesque !" assure-t-il. "Le pouvoir soviétique est venu ici volontairement, il a laissé ces monuments pour affirmer sa présence, donc il faut les démanteler," fait-il remarquer.

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Pour le directeur de l'école de musique de Daugavpils Aivars Broks, il y a urgence à démolir les monuments qui ont été érigés par les Soviétiques pour affirmer leur présenceEuronews

À Riga, la capitale du pays, la situation est tout autre qu'à Daugavpils. Ces derniers mois, les autorités locales n'ont pas hésité à se débarrasser, sans ménagement, de leurs derniers monuments soviétiques.

Les autorités affirment que le plus grand monument de la Seconde Guerre mondiale du pays était devenu un lieu de rassemblement pour les nostalgiques de la Lettonie soviétique et les nationalistes pro-russes.

"La première idée était de le renommer ou de lui donner une signification différente," nous précise le maire de Riga, Martins Stakis. "Mais ce qui s'est passé après cette initiative, c'est que les gens ont commencé à donner de l'argent pour sa destruction et les dons ont fini par couvrir la totalité du coût de sa démolition," poursuit-il.

Certains monuments seront stockés ou exposés

Certains monuments considérés comme culturels ou historiques pourraient se retrouver exposés dans le Musée de l'Occupation de la Lettonie. Son exposition permanente retrace la domination du pays par les Nazis et les Soviétiques.

Dans toute la Lettonie, des municipalités ont demandé que des dizaines de monuments soient stockés ou exposés. Chaque candidat est analysé dans le cadre d'un processus parfois douloureusement compliqué.

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Gints Apals participe à ce travail au sein du Musée de l'Occupation de la Lettonie en tant que conseiller. Il  nous montre une photo d'un petit monument représentant un visage qui peut sembler anodin. "En réalité, cette personne est un terroriste soviétique qui a tué des civils en 1943, y compris des enfants," explique-t-il. Il nous indique qu'il donnera un avis favorable à l'exposition de cet objet dans le musée en raison de "l'histoire qu'il y a derrière qui est très précise et personnelle," dit-il avant de nous montrer la photo d'un monument situé sur un espace public dans l'Est de la Lettonie. "Celui-ci glorifie le régime soviétique de manière générale, il n'évoque pas l'histoire des souffrances infligées à la population lettone," fait-il remarquer.

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Selon Gints Apals, ce monument représentant un visage doit être exposé du fait de "l'histoire très précise et personnelle qu'il y a derrière"Euronews

La nécessaire mise en contexte

Autre lieu de documentation historique, le musée dédié au style de vie soviétique de la petite ville d'Aizkraukle. En observant les 2 000 objets exposés, on peut se demander si les communautés ethniques de Lettonie se mettront un jour d'accord sur leur passé et leurs monuments communs.

Peut-être que des espaces culturels comme celui-ci peuvent aider, estime la directrice du musée Dzintra Cepure. "Je pense que les anciennes générations se préoccupent davantage de la question que posent ces monuments, elles veulent s'en débarrasser," assure-t-elle. "Les jeunes générations, de leur côté, ne comprennent pas vraiment cette époque : ce qui s'est passé ici, dans le contexte historique de ces monuments, est incompréhensible pour les jeunes," estime-t-elle.

"Pour moi, en tant qu'exemples d'art totalitaire, [ces monuments] pourraient effectivement être rassemblés en un même lieu et présentés aux gens, avec une mise en contexte adéquate," conclut-elle.

Journaliste • Julian GOMEZ

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