Céréales ukrainiennes : un risque pour la sécurité alimentaire mondiale

L'Ukraine a perdu un quart de sa surface cultivée depuis son invasion, avec une production céréalière en repli de 40% en 2022.
L'Ukraine a perdu un quart de sa surface cultivée depuis son invasion, avec une production céréalière en repli de 40% en 2022. Tous droits réservés Anatoli Stepanov/AFP
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Par Margaux RacaniereEva Kandoul
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Pour la troisième fois, l'accord qui garantie l'export sécurisé du blé ukrainien est remis en cause par la Russie. S'il n'est pas renouvelé avant le 18 mai, il fait peser un risque significatif pour la sécurité alimentaire au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne.

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Depuis plus d'un an en Côte d'Ivoire, quelle que soit la boulangerie que vous choisissez, le prix de la baguette est toujours le même. 150 francs CFA, soit environ 23 centimes d'euros. Une mesure instaurée par le gouvernement en réaction à l'explosion du prix du blé après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022.

Si la situation s'est relativement stabilisée depuis, avec un blé ayant plus ou moins retrouvé ses niveaux d'avant-guerre, les cours restent malgré tout élevés, aux alentours de 250 à 300 euros la tonne en moyenne, d'après les chiffres de la Banque mondiale. Un lourd tribut à payer pour les pays qui dépendent des importations pour leur sécurité alimentaire.

"Les grandes zones d'achat aujourd'hui dans le monde sont le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, l'Afrique Subsaharienne et l'Asie du Sud-Est. Ces quatre sous-régions représentent deux tiers, voire 70% chaque année de l'importation mondiale de blé", explique Sébastien Abis, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), et président du club Déméter, un groupe de réflexion sur le secteur agricole.

L'Ukraine est l'un des plus grands exportateurs de céréales au monde. Elle fournissait environ 45 millions de tonnes chaque année avant 2022.

Un équilibre fragile

Parmi les pays importateurs nets de blé, c'est-à-dire qui importent plus qu'ils n'exportent, tous n'ont pas les ressources pour faire face a cette augmentation des prix.

"Si vous êtes l'Algérie et le Nigeria, vous avez de la manne pétrolière qui vous permet éventuellement d'acheter un peu plus cher ce blé là" explique Sébastien Abis.S'agissant d'autres pays comme "la Tunisie, le Mali ou le Soudan pour prendre des pays qui aujourd'hui sont particulièrement instables" ajoute-t-il, ces États "ont des difficultés à payer ce blé plus cher sur le marché international" souligne l'auteur de la Géopolitique du blé.

Ce relatif équilibre des prix ne tient qu'à un fil : le maintien des exports grâce au passage sécurisé des navires de blé ukrainiens dans la mer Noire. Un transit garanti depuis juillet 2022 par un accord négocié par l'Onu et la Turquie : l'Initiative céréalière de la mer Noire.

L'Initiative de la mer Noire en trois dates

  • 22 juillet 2022 : Signature de l'Initiative céréalière de la mer Noire à Istanbul
  • 1er Novembre 2022 : renouvellement de l'accord après une période d'incertitude
  • 18 mars 2023 : la Russie annonce qu'elle prolonge l'accord pour 60 jours au lieu de 120

Mais cet accord onusien doit être renouvelé tous les 120 jours par l'Ukraine et par la Russie. Il est donc "conditionné au bon vouloir de Moscou et du Kremlin", explique Sébastien Abis. Il a déjà été renouvelé deux fois, en novembre puis en mars.

Mais le 18 mars 2023, Moscou a changé les règles du jeu en ne renouvelant l'accord que pour 60 jours au lieu de 120. Une manière d'"encourager les Nations Unies" selon les termes de l'ambassadeur de la Russie à Genève, Gennady Gatilov, à lui accorder ce qu'elle veut : moins de sanctions économiques européennes.

La Russie affirme que ces sanctions ont un impact négatif sur ses exportations agricoles et menace de ne pas renouveler l'initiative après le 18 mai. Non sans conséquences pour les prix.

"À chaque fois qu'on se pose la question de si l'accord va être renouvelé ou non, les prix deviennent volatiles. Ce qui est mauvais pour les consommateurs, surtout dans les pays en développement", rappelle Marion Jansen, directrice des échanges et de l'agriculture de l'OCDE.

D'autres alternatives à la voie maritime

Si l'accord n'était pas prolongé le 18 mai, les pays net importateurs devraient compter davantage sur une voie alternative aux ports de la mer Noire pour importer leurs céréales. Depuis un an, l'Union européenne a mis en place des "corridors de solidarité". Ces voies de transit terrestre ont déjà permis de faire sortir environ 30 millions de tonnes de céréales du pays et ce mécanisme devrait être renouvelé pour un an de plus.

"C'est une vraie sécurité pour l'Ukraine et pour un certain nombre de pays acheteurs dans le monde", analyse Sébastien Abis. Mais faire passer l'intégralité des exportations ukrainiennes par les corridors européens reste néanmoins difficilement envisageable. "Logistiquement, ça serait compliqué", estime t-il.

De plus, le transit de céréales ukrainiennes par l'UE n'est pas toujours garanti. Durant le mois d'avril, plusieurs pays frontaliers de l'Ukraine se sont plaints de l'impact négatif des arrivées massives de céréales ukrainiennes sur leurs marchés agricoles et ont bloqué l'entrée des camions en provenance de Kyiv.

Autre alternative, s'appuyer sur les autres principaux producteurs de blé. La Russie et l'Ukraine jouent certes un rôle majeur dans la production des céréales, mais ils ne sont pas les seuls. Les importateurs peuvent aussi compter sur la Chine, les États-Unis, le Canada ou l'Inde. 

"Ces autres producteurs de blé peuvent compenser une grande partie ce qu'il se passe dans les autres pays", estime Marion Jansen. "Le commerce est très important dans ce genre de situation, c'est un fait connu dans les marchés agricoles", précise-t-elle en évoquant des mauvaises récoltes ponctuelles liées à des évènements climatiques. Un autre risque encouru par les pays importateurs, qui lui, ne pourra pas être négocié.

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