Les États-Unis ont annoncé la levée des sanctions sur le potasse bélarusse, dernier signe en date d'un dégel entre Washington et cette autocratie isolée.
Le dirigeant autoritaire biélorusse Alexandre Loukachenko a gracié 123 prisonniers en échange de la levée de certaines sanctions américaines, a annoncé samedi l'agence de presse officielle biélorusse Belta, alors que ce pays isolé cherche à améliorer ses relations avec Washington.
Les activistes bélarusses et les médias indépendants comme la EuroRadio ou Zerkalo, ont confirmé la libération de prisonniers, notamment l'opposante Maria Kolesnikova, le Nobel de la paix Ales Bialiatski ou les membres de l'équipe de Viktor Babariko, ancien candidat à la présidence, emprisonné par son rival Loukachenko.
Selon les sources, tous les prisonniers libérés ont été immédiatement expulsés du Bélarus.
"Dans le cadre des accords conclus avec le président américain Donald Trump et à sa demande, en raison de la levée des sanctions illégales contre l'industrie potassique de la République du Bélarus, imposées par l'administration Biden, et en raison du passage à la phase pratique du processus de levée d'autres sanctions illégales contre la République du Bélarus... le chef de l'État a décidé de gracier 123 citoyens de différents pays condamnés... pour avoir commis des crimes de nature diverse : espionnage, terrorisme et extrémisme", lit-on dans le communiqué de la présidence.
Le Bélarus a libéré des centaines de prisonniers depuis juillet 2024, toujours dans le cadre des accords au cas par cas avec les autorités américaines ou européennes, afin d'"accélérer la dynamique positive du développement des relations avec les pays partenaires de la République du Bélarus et à stabiliser la situation dans l'ensemble de la région européenne", toujours selon les propos du texte officiel.
Kolesnikova et Bialiatski en libérté
Maria Kolesnikova a joué un rôle clé dans les manifestations de masse qui ont secoué le Bélarus en 2020 et est une proche alliée de Svetlana Tikhanovskaïa, leader de l'opposition en exil.
Reconnaissable à ses cheveux courts et à son geste emblématique de former un cœur avec ses mains, Kolesnikova est devenue un symbole de résistance encore plus fort lorsque les autorités bélarusses ont tenté de l'expulser en septembre 2020. Conduite jusqu'à la frontière ukrainienne, elle a brièvement échappé aux forces de sécurité, déchiré son passeport et est rentrée au Bélarus à pied.
Le 9 septembre, elle a été placée en détention et inculpée en vertu de trois articles pénaux : incitation à porter atteinte à la sécurité nationale, complot en vue de s'emparer du pouvoir et création d'une organisation extrémiste. En septembre 2021, le tribunal de district de Minsk a condamné Kolesnikova à 11 ans de prison.
Suivent ensuite plusieurs séjours dans la cellule disciplinaire de la colonie, et de nombreux problèmes médicaux, dont un ulcère perforé et une péritonite. Le Parlement européen a exigé qu'elle bénéficie d'une assistance médicale.
Le défenseur des droits humains, Ales Bialiatski a reçu le prix Nobel de la paix en 2022, conjointement avec l'organisation russe de défense des droits humains Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles.
Bialiatski, récompensé alors qu'il était en détention provisoire, a été ultérieurement reconnu coupable de "contrebande" et de "financement d'actes portant atteinte à l'ordre public" – des accusations largement dénoncées comme politiquement motivées – et condamné à 10 ans de prison en 2023.
Les autorités ont déclaré que Bialiatski, fondateur de Viasna, la plus ancienne et la plus importante organisation de défense des droits humains du Bélarus, était considéré comme particulièrement dangereux en raison de ce qu'elles ont qualifié de « tendances extrémistes ». Cet homme de 63 ans a été incarcéré dans une colonie pénitentiaire à Gorki, un établissement tristement célèbre pour ses brutalités et ses travaux forcés. Son épouse a indiqué que sa santé se détériorait et qu'il souffrait de plusieurs maladies chroniques.
Loukachenko marchande le sort des prisonniers en échange de la levée des sanctions
Plus tôt, ce samedi, le 13 décembre, les États-Unis annoncent la levée des sanctions sur la potasse biélorusse, dernier signe en date d'un dégel des relations entre Washington et ce régime autocratique isolé.
John Coale, envoyé spécial américain pour le Bélarus, a fait cette annonce après avoir rencontré le dirigeant autoritaire du pays, Alexandre Loukachenko, vendredi et samedi à Minsk, la capitale bélarusse.
Proche alliée de la Russie, Minsk est soumise depuis des années à l'isolement et aux sanctions occidentales. Loukachenko dirige d'une main de fer ce pays de 9,5 millions d'habitants depuis plus de trente ans, et le Bélarus a été sanctionné à plusieurs reprises par les pays occidentaux, tant pour la répression des droits de l'homme que pour avoir permis à Moscou d'utiliser son territoire lors de l'invasion de l'Ukraine en 2022.
Le Bélarus, qui représentait auparavant environ 20 % des exportations mondiales d'engrais potassiques, a vu ses expéditions chuter drastiquement depuis que les sanctions occidentales ont ciblé le producteur d'État Belaruskali et interrompu le transit par le port lituanien de Klaipeda, principale voie d'exportation du pays.
« Les sanctions imposées par les États-Unis, l'UE et leurs alliés ont considérablement affaibli l'industrie potassique bélarusse, privant le pays d'une source essentielle de devises étrangères et d'un accès à des marchés clés », a déclaré à l'AP Anastasiya Luzgina, analyste au Centre de recherche économique bélarusse BEROC.
« Minsk espère que la levée des sanctions américaines sur la potasse ouvrira la voie à un allègement des sanctions européennes, plus sévères ; à tout le moins, les mesures prises par les États-Unis permettront d'entamer des discussions », a-t-elle ajouté.
S'adressant aux journalistes, Coale a qualifié les deux jours de discussions de « très productives », a rapporté samedi l'agence de presse officielle biélorusse Belta.
L'envoyé américain a déclaré que la normalisation des relations entre Washington et Minsk était « notre objectif ».
« Nous levons les sanctions, nous libérons des prisonniers. Nous sommes en contact permanent », a-t-il déclaré, selon Belta. Il a également indiqué que les relations entre les deux pays évoluaient progressivement, passant de « petits pas à des étapes plus assurées », grâce à l'intensification du dialogue.
Lors de la dernière rencontre entre des responsables américains et Loukachenko, en septembre 2025, Washington a annoncé un allègement de certaines sanctions contre le Bélarus, tandis que Minsk libérait plus de 50 prisonniers politiques en Lituanie. Au total, le Bélarus a libéré plus de 430 prisonniers politiques depuis juillet 2024, une mesure largement perçue comme une tentative de rapprochement avec l'Occident.
La cheffe de l'opposition bélarusse, Svetlana Tikhanovskaïa, a déclaré samedi à l'Associated Press que l'allègement des sanctions s'inscrivait dans le cadre d'un accord entre Minsk et Washington, prévoyant également la libération d'un autre grand nombre de prisonniers politiques au Bélarus.
« La libération des prisonniers politiques montre que Loukachenko comprend les conséquences des sanctions occidentales et cherche à les atténuer », a déclaré Tikhanovskaïa.
Elle a ajouté : « Mais ne soyons pas naïfs : Loukachenko n'a pas changé de politique, la répression se poursuit et il continue de soutenir la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. C'est pourquoi nous devons être extrêmement prudents lorsqu'il s'agit d'évoquer un allègement des sanctions, afin de ne pas renforcer la machine de guerre russe et d'encourager la poursuite des répressions. »
Tikhanovskaïa a également décrit les sanctions de l'Union européenne contre les engrais potassiques bélarusses comme étant bien plus douloureuses pour Minsk que celles imposées par les États-Unis.
Elle a affirmé que si un allègement des sanctions américaines pourrait entraîner la libération de prisonniers politiques, les sanctions européennes devraient viser des changements systémiques et durables au Bélarus et la fin de la guerre menée par la Russie en Ukraine.
Les discussions de cette dernière série ont également porté sur le Venezuela, ainsi que sur l'invasion russe de l'Ukraine, a indiqué Belta.
Coale a déclaré aux journalistes que Loukachenko avait donné de « bons conseils » sur la manière de gérer le conflit, ajoutant que Loukachenko et le président russe Vladimir Poutine étaient des « amis de longue date » et entretenaient « la relation nécessaire pour aborder de telles questions ».
« Naturellement, le président Poutine peut accepter certains conseils et pas d'autres », a déclaré Coale.