Alors que Poutine orchestre sa réélection, la résilience de l'économie russe est un argument de vente essentiel

Le président russe Vladimir Poutine s'exprime lors d'une conférence de presse à l'issue d'une réunion du Conseil d'État au Kremlin à Moscou, Russie, le 22 décembre 2022.
Le président russe Vladimir Poutine s'exprime lors d'une conférence de presse à l'issue d'une réunion du Conseil d'État au Kremlin à Moscou, Russie, le 22 décembre 2022. Tous droits réservés Sergey Guneyev, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP, File
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Par David McHugh and Vladimir Isachenkov, AP
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Cet article a été initialement publié en anglais

"Pour la plupart des Russes, qui choisissent d'ignorer la guerre, l'économie est vraiment la principale préoccupation", estime un expert.

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Les Russes constatent chaque jour que des produits de base importés comme les fruits, le café et l'huile d'olive, ont vu leur prix grimper en flèche. La plupart des marques internationales ont disparu, ou ont été remplacées par des équivalents russes dont les dirigeants se montrent favorables au Kremlin. Les voitures chinoises sont beaucoup plus nombreuses à circuler dans les rues. Ceux qui chercheraient un produit cosmétique particulier ne le trouveront sans doute pas.

À part cela, peu de choses ont changé sur le plan économique pour la plupart des habitants de Russie sous la présidence de Vladimir Poutine, plus de deux ans après l'envoi de troupes en Ukraine.

Et ce, malgré les sanctions radicales qui ont coupé une grande partie des échanges commerciaux entre la Russie et l'Europe, les États-Unis et leurs alliés.

Cette impression de stabilité constitue un atout majeur pour Vladimir Poutine, qui orchestre une victoire sans surprise, lors de l'élection présidentielle prévue les 15 et 17 mars, ce qui conduirait le chef de l'Etat à entamer un cinquième mandat de six ans.

L'inflation est plus élevée que la plupart des gens ne le souhaiteraient, à plus de 7 %, ce qui dépasse l'objectif de 4 % de la banque centrale. Mais le chômage reste à un niveau faible et la croissance devrait bondir de 2,6 % cette année, selon le Fonds monétaire international, soit le double des prévisions initiales. C'est bien plus qu'en Europe, où le PIB devrait augmenter de seulement 0,9 %.

"Il y a des difficultés, bien sûr - elles sont liées à la situation générale dans le monde", a déclaré Andrei Fedotov, 55 ans, en arpentant l'artère commerciale de la rue Tverskaya, à quelques encablures du Kremlin. "Nous le savons très bien, mais je pense que nous les surmonterons.

La hausse des prix "me dérange, bien sûr - comme tout consommateur, je les vois augmenter", a déclaré M. Fedotov, qui travaille dans le secteur de l'éducation. "C'est lié à l'époque dans laquelle nous vivons et qui va finir par passer".

Irina Novikova, 39 ans, responsable de marque, reste optimiste malgré la hausse des prix observée dans les magasins. "Davantage de produits russes sont apparus dans les rayons, davantage de produits alimentaires. Et nous constatons tous que certains produits ont disparu", relate-t-elle.

"Les prix ont augmenté - si j'avais l'habitude d'acheter trois articles pour un certain prix, maintenant je n'en achète plus qu'un", a-t-elle déclaré, avant d'ajouter : "Regardez du côté des produits russes, des magasins qui vendent des produits russes. L'industrie a peut-être souffert, nous savons qu'il y a eu des échecs, mais là encore, nous nous adaptons et nous réorientons notre réflexion, et nous commençons à nous tourner vers nos amis chinois", a ajouté Mme Novikova.

L'économie russe tient bon

Les dépenses massives de la Russie en matière d'équipement militaire et le montant considérable des soldes versées aux soldats volontaires relancent fortement l'économie. Les prêts hypothécaires subventionnés par le gouvernement soutiennent les acquéreurs immobiliers et boostent le secteur de la construction, en plein essor, comme en attestent plusieurs projets de tours pharaoniques en cours de construction, sur les rives de la Moskova.

L'inflation fait grincer des dents, mais elle n'est pas récente. La Russie a gagné en autonomie dans la production de ses propres denrées alimentaires après 2014, lorsqu'elle a annexé la péninsule ukrainienne de Crimée, et que les sanctions occidentales qui en ont découlé ont conduit le gouvernement à interdire une large liste d'importation de denrées alimentaires en provenance d'Europe.

Les dépenses publiques prévues cette année sont environ deux fois supérieures au niveau enregistré en 2018. Cependant, le déficit reste gérable, car les impôts et les recettes issues du pétrole continuent d'alimenter les caisses.

Les importations dites "parallèles", qui transitent par des pays tiers tels que la Géorgie, le Kazakhstan ou l'Ouzbékistan, ont permis aux Russes aisés de continuer à acheter des produits occidentaux - des baskets aux téléphones portables, en passant par les voitures - auprès d'entreprises qui ne font plus affaire en Russie, et généralement moyennant une marge importante.

Il n'est pas difficile de se procurer un SUV de la marque BMW, même s'il coûte deux fois plus cher en Allemagne. IKEA a fermé ses 17 magasins russes, mais ses meubles et ses articles ménagers peuvent être achetés en ligne, à des prix plus élevés.

People line up to visit a newly opened restaurant in a former McDonald's outlet in Bolshaya Bronnaya Street in Moscow, Russia, Wednesday, Jan. 25, 2023.
People line up to visit a newly opened restaurant in a former McDonald's outlet in Bolshaya Bronnaya Street in Moscow, Russia, Wednesday, Jan. 25, 2023.Alexander Zemlianichenko/Copyright 2023 The AP. All rights reserved.

Apple a quitté le pays, mais un iPhone 15 Pro Max doté de 512 gigaoctets de mémoire se vend pour l'équivalent en roubles de 1 950 dollars (1 783 euros) sur le site de vente russe Wildberries, soit à peu près le prix de vente du téléphone observé en Allemagne.

L'économie n'est pas pour autant à l'abri de certaines tensions. Les entreprises sont confrontées à une pénurie de main-d'œuvre, puisque des centaines de milliers d'hommes ont quitté le pays après le début des combats en Ukraine pour éviter la mobilisation, et que des centaines de milliers d'autres ont signé des contrats militaires.

Pendant ce temps, les exportations de pétrole de la Russie se sont déplacées de l'Europe vers la Chine, et l'Inde, en raison des boycotts des alliés de l'Ukraine. Pour éviter les sanctions et le plafonnement des prix sur les livraisons de pétrole, la Russie a dû débourser des milliards pour acheter une flotte fantôme de pétroliers vieillissants qui ne font pas appel aux assureurs occidentaux, lesquels doivent respecter le plafonnement des prix. La Russie a également perdu son lucratif marché du gaz naturel en Europe, après avoir mis un terme à la majeure partie de ses exportations par gazoduc.

L'industrie automobile a été décimée, après le retrait d'acteurs étrangers tels que Renault, Volkswagen et Mercedes. La Chine a remplacé l'Union européenne en tant que principal partenaire commercial de la Russie, et les véhicules chinois ont rapidement conquis la moitié du marché automobile l'année dernière, selon Ward's Intelligence.

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De nombreuses entreprises étrangères ont également quitté le pays ou vendu leurs activités à des partenaires locaux, à des prix défiant toute concurrence. D'autres, comme le brasseur danois Carlsberg et l'entreprise alimentaire française Danone, ont vu leurs entreprises russes saisies par le gouvernement.

"L'économie joue un rôle très important dans toutes les élections de Poutine", a déclaré Janis Kluge, spécialiste de l'économie russe à l'Institut allemand pour les affaires internationales et la sécurité. "Pour la plupart des Russes, qui choisissent d'ignorer la guerre, l'économie est vraiment la préoccupation la plus importante".

La stabilité économique "est un signal que Poutine peut utiliser pour montrer qu'il est encore capable de mobiliser les masses. Et pour cela, il faut qu'il s'agisse d'un véritable signal et pas seulement d'un chiffre manipulé", a déclaré M. Kluge.

"Il est donc important qu'il y ait un véritable soutien, même si les électeurs n'ont aucune chance de changer de dirigeant.

Le produit intérieur brut, c'est-à-dire la production totale de biens et de services de l'économie, reste "un chiffre abstrait" pour la plupart des gens, et le taux de change du rouble constitue moins un symbole qu'auparavant, parce que la plupart des gens ne peuvent pas voyager et qu'il y a moins de produits importés à acheter, a déclaré M. Kluge.

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"Ce qui compte, c'est l'inflation. "Et c'est un problème auquel le régime s'est préparé.

La banque centrale a lutté contre les hausses de prix en augmentant les taux d'intérêt jusqu'à 16 %. Le gouvernement a soutenu la devise russe, en exigeant des exportateurs qu'ils convertissent en roubles les revenus étrangers issus de produits tels que le pétrole, ce qui a permis de maintenir les prix à la baisse pour les importations.

L'interdiction d'exporter de l'essence pendant six mois à partir du 1er mars contribuera à maintenir les prix des carburants à un niveau bas en Russie.

Le gouvernement a également permis d'obtenir des prêts hypothécaires pour des appartements à des taux d'intérêt faisant largement l'objet de subventions - une mesure qui accroît le sentiment d'enrichissement au sein de la population, mais qui finira par se traduire par une lourde facture pour le gouvernement.

Le pétrole reste la poule aux œufs d'or

Selon M. Kluge, le facteur clé de cette bonne santé de l'économie reste la capacité de la Russie à continuer d'exporter du pétrole et du gaz naturel vers de nouveaux clients en Asie. Tant que le prix du pétrole se maintient, la Russie peut maintenir "indéfiniment" le niveau élevé de ses dépenses militaires et sociales, a déclaré M. Kluge.

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En janvier, la Russie a engrangé quelque 15,6 milliards de dollars de recettes d'exportation de pétrole, selon le "Russian Oil Tracker" de la Kyiv School of Economics. Cela représente environ 500 millions de dollars par jour.

À long terme, les perspectives de l'économie sont plus incertaines. Le manque d'investissements étrangers limitera le développement des nouvelles technologies et la productivité. Les largesses du gouvernement pourraient un jour dépasser la capacité de la banque centrale à gérer l'inflation. Dans quelle mesure ces politiques généreuses se poursuivront après les élections ? La réponse, cruciale, dépend de Vladimir Poutine.

Le principal risque qui pèse sur la stabilité actuelle serait une chute brutale du prix du pétrole, qui se négocie actuellement autour de 70 dollars le baril pour le mélange russe de l'Oural. En raison des sanctions et des boycotts, ce prix reste inférieur à celui de la référence internationale, le Brent, qui se négocie aux environs de 83 dollars le baril.

Mais pour l'instant, les finances de l'État affichent une solidité qui déjoue les pronostics.

"Je n'ai pas de bonnes nouvelles" pour ceux qui s'attendent à ce que l'économie russe s'effondre "demain" en raison des sanctions, a écrit Alexandra Prokopenko, ancienne responsable de la banque centrale russe, sur X (anciennement Twitter). "Car elle est forte et résistante".

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