Le cinéma français a de la ressource (partie 2)

Le cinéma français a de la ressource (partie 2)
Par Frédéric Ponsard
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Oublié le French bashing, nous aimons le cinéma français dans sa diversité et son audace. En ce mois de novembre, trois films à ne pas manquer montrant la vitalité et l’originalité du cinéma français et de ses auteurs : Cédric Kahn pour sa Vie sauvage, François Ozon pour Une nouvelle amie et un nouveau venu, Cédric Anger pour La Prochaine fois je viserai le cœur.

Vie sauvage, parfum d’humanité

Cédric Kahn est une figure à part dans le cinéma français : loin des modes, il se renouvelle à chacun de ses films en creusant le sillon d’histoires hors-normes, centrées sur des personnages souvent en rupture avec leur milieu ou la société. Après L’ennui, Roberto Succo ou encore Une vie meilleure, il s’attaque ici à l’incroyable histoire vraie de Xavier Fortin (joué par un Mathieu Kassovitz au mieux de sa forme), marginal écolo parti vivre en pleine nature avec ses deux fils après que la garde de ces derniers lui ait été retirée au profit de leur mère. Pendant 11 ans, ils vécurent dans les bois et les forêts, trouvant refuge dans des maisons abandonnées ou des communautés. Lorsqu’il fut arrêté en 2009, ses deux fils allaient atteindre leur majorité, et c’est eux qui prirent sa défense auprès de la justice, poussant leur mère à retirer sa plainte pour soustraction d’enfants. Cédric Kahn a choisi de traiter deux moments clés de cette cavale de 11 ans : la séparation et la fuite quand les enfants ont 6 et 7 ans, et les derniers moments de leur vie nomade. La force de cette Vie sauvage est de ne pas mettre le spectateur en position de juge, mais de témoin d’un fait divers extraordinaire. On retrouve les Frères Dardenne au générique du film en qualité de producteur, certainement séduit par l’approche anti-racoleuse de Cédric Kahn qui, loin de faire un film à thèse, reste au plus près de ses personnages et nous fait vivre leurs angoisses, leurs joies et leurs doutes. L’intérêt du film est de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre des parents mais de nous faire vivre cette aventure (car c’en est une) du point de vue des enfants, sans embardée racoleuse, ne tombant ni dans la romance ni dans le manichéisme, loin de ce que pourrait offrir le cinéma hollywoodien, par exemple.

Nouvelle amie, amour pour tous

Une nouvelle amie de François Ozon est un autre film français qui ose sortir des sentiers battus en s’attaquant de front à la question de l’identité sexuelle et de la frontière entre les genres sans verser dans le ridicule, la provocation ou le militantisme univoque. Ozon pioche chez Almodovar pour ses personnages haut en couleurs, chez Chabrol pour sa critique de la bourgeoise bien-pensante, ou encore chez Douglas Sirk en laissant affleurer sous le vernis des personnages des tourments inavouables. Film troublant, kaléidoscopique, servi par une mise en scène élégante et fluide, et dont la réussite tient aussi à la direction d’acteurs et à leur talent : le scénario comme leurs jeux nuancés rendent crédible des situations incongrues qui auraient pu facilement verser dans le ridicule. Et si les affiches et la promo mettent beaucoup en avant la silhouette androgyne de Romain Duris, c’est Anaïs Demoustier qui remporte en arrière-plan le morceau grâce à un personnage tout en intériorité et en nuances, et finalement beaucoup plus trouble… François Ozon est depuis 20 ans le représentant d’un cinéma turbulent et décomplexé, dont le cynisme est mâtiné d’une grande tendresse pour ses personnages. Il est aujourd’hui l’un des auteurs hexagonaux les plus connus à l’étranger. De gouttes d’eau sur pierres brûlantes (en forme d’hommage à Fassbinder) à Potiche en passant par Huit femmes (en hommage à Guitry), il rencontre un grand succès aussi bien dans son pays qu’à l’international, il brasse les générations et les styles. Il a acquis rapidement une reconnaissance tant publique que critique qui fait de ce quadragénaire le tenant d’un cinéma qui s’exporte, loin de l’étiquette ennuyeuse et intello que certains veulent coller à la production française contemporaine.

Cœur de Pierre

Le dernier cinéaste dont nous allons vous parler est beaucoup moins connu que les deux aînés précédemment abordés. Cédric Anger signe avec La Prochaine fois je viserai le cœur son troisième film, mais montre déjà une grande maîtrise formelle et scénaristique. Son passé de critique aux Cahiers du cinéma n’y est certainement pas étranger et explique en partie son amour évident du cinéma de genre –on ne peut s’empêcher de penser à Melville et ses univers dépouillés ou flics et voyous se confondent dans le gris ambiant. Avec cette histoire de meurtrier en série, inspirée de celle du « tueur de l’Oise » qui sévit dans les années 70, il nous met dans la peau d’un monstre froid, gendarme de surcroît, incapable de maîtriser ses pulsions. Il tuera plusieurs fois sans mobile apparent, implacablement, sans l’ombre d’un remords. Le film est aussi glaçant que son personnage. Anger ne ménage aucun suspense, laissant au contraire deviner dès le départ l’irrémédiable et l’horreur. Un réalisme qui annihile toute dramatisation mais qui permet au spectateur de se concentrer sur le personnage. Le choix de l’acteur était donc essentiel avec ce procédé anti-spectaculaire érigé en narration : Guillaume Canet livre une prestation aussi noire que sobre. Le César ne lui échappera pas, prenons les paris. Le cinéaste se contente d’accompagner son personnage, impassible, sans livrer de clé psychologique particulière, ne laissant pas le spectateur la possibilité d’avoir la moindre empathie pour ce gendarme assassin. Il fallait tenir ce pari de l’anti-héros jusqu’au bout, et Anger comme Canet ne lâchent pas la garde une seconde. Une gageure rare pour être signalée.

Trois films très différents mais qui ont chacun une patte d’auteur, une esthétique et une narration anti-conventionnelle marquée et revendiquée. On imagine ce qu’aurait pu en faire la machine hollywoodienne, lissant les personnages, ou dramatisant à l’excès des histoires qui ici s’épanouissent justement par leur réalisme, explorant des zones d’ombres inhabituelles au cinéma, laissant au spectateur le soin de les éclairer lui-même… Le cinéma français montre s’il en était besoin sa grande variété et une grande liberté formelle, regorgeant de talents, devant comme derrière la caméra, ni formatés, ni soumis au diktat de l’ « entertainment » ambiant.

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