Les députés reprochent à la Commission européenne d'avoir signé un accord avec un "cruel dictateur" tunisien

La figure du président tunisien Kais Saied a été fortement critiquée par les députés, qui l'ont qualifié de "dictateur" et d'"autocrate".
La figure du président tunisien Kais Saied a été fortement critiquée par les députés, qui l'ont qualifié de "dictateur" et d'"autocrate". Tous droits réservés Slim Abid/AP
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Par Jorge Liboreiro
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Cet article a été initialement publié en anglais

Des eurodéputés ont dénoncé mardi le protocole d'accord signé par l'UE avec la Tunisie.

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L'accord a été conclu dimanche après une réunion à Tunis entre le président tunisien Kaïs Saïed et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, accompagnée de la Première ministre italienne Giorgia Meloni et du Premier ministre néerlandais Mark Rutte.

Le texte, qui doit encore être précisé, prévoit l'allocation d'au moins 700 millions d'euros de fonds européens, dont certains sous forme de prêts, dans le cadre de cinq piliers : la stabilité macroéconomique, l'économie et le commerce, la transition verte, les contacts interpersonnels et les migrations.

Ursula von der Leyen a présenté le mémorandum comme un "partenariat stratégique et global". Mais les eurodéputés ont adopté un point de vue très critique sur la question. Ils dénoncent les contradictions entre les valeurs fondamentales de l'Union européenne et le recul démocratique en cours en Tunisie. Ils ont également déploré l'absence de transparence démocratique et de responsabilité financière.

La figure de Kaïs Saïed, qui a ouvertement diffusé des récits racistes contre les migrants d’Afrique subsaharienne a fait l'objet des reproches de la part des parlementaires.

"Il est très clair qu'un accord a été conclu avec un dictateur cruel et peu fiable", a dénoncé Sophie in 't Veld (Renew Europe). "Le président Saïed est un dirigeant autoritaire, ce n'est pas un bon partenaire, c'est un dictateur qui a augmenté le nombre de départs".

S'exprimant au nom des sociaux-démocrates (S&D), Birgit Sippel a accusé les autorités tunisiennes d'abandonner les migrants subsahariens dans le désert "sans nourriture, sans eau et sans rien d'autre", un comportement qui a déjà été rapporté par les médias et les organisations humanitaires.

"Pourquoi la Tunisie devrait-elle soudainement changer de comportement ? Et qui contrôle l'utilisation de l'argent ?" interroge Birgit Sippel, visiblement en colère.

"Nous finançons à nouveau un autocrate sans contrôle politique et démocratique au sein de cette assemblée. Ce n'est pas une solution. Cela renforcera un autocrate en Tunisie", a-t-elle ajouté.

En face, la Commissaire européenne en charge des Affaires intérieures Ylva Johansson, a évité toute controverse et a calmement défendu le mémorandum UE-Tunisie. La responsable suédoise a souligné que le texte introduit des obligations pour les deux parties.

"Il est clair que la Tunisie est sous pression. Selon moi, c'est une raison de renforcer et d'approfondir la coopération et d'intensifier le soutien à la Tunisie", a-t-elle répondu aux députés européens.

Selon Ylva Johansson, 45 000 demandeurs d'asile ont quitté la Tunisie cette année pour tenter de traverser la "route très meurtrière" de la Méditerranée centrale. Cette "augmentation considérable" suggère un changement du rôle de la Tunisie, de pays d'origine à pays de transit, étant donné que "sur ces 45 000, seuls 5 000 étaient des citoyens tunisiens".

"Il est très important que notre objectif principal soit toujours de sauver des vies, d'empêcher les gens d'entreprendre ces voyages qui finissent trop souvent par mettre fin à leur vie, c'est une priorité", a poursuivi la Commissaire.

L'argent a été une autre source de friction lors de l'audition de mardi.

Les députés se sont concentrés sur les deux enveloppes financières les plus importantes de l'accord : 150 millions d'euros pour l'aide budgétaire et 105 millions d'euros pour la gestion des migrations, qui seront toutes les deux déboursées progressivement. Certains eurodéputés ont décrit l'aide budgétaire, qui est censée soutenir l'économie fragile du pays, comme une injection d'argent dans les coffres privés de Kaïs Saïed qui serait impossible à retracer.

"Vous avez financé un dictateur qui bafoue les droits de l'homme, qui piétine la démocratie tunisienne que nous avons tant soutenue. Ne nous mentez pas !", s’est emporté Mounir Satouri (les Verts). "Selon nos analyses, les 150 et 105 millions d'euros sont une aide au Trésor (tunisien), un versement direct sur le compte bancaire de M. Kaïs Saïed".

Maria Arena (S&D) a reproché à la Commission européenne de ne pas avoir ajouté de dispositions supplémentaires qui conditionneraient les paiements au respect des droits de l'homme.

"Nous donnons un chèque en blanc à M. Saïed, qui mène actuellement des campagnes racistes et xénophobes, soutenues par sa police et son armée", a déclaré l’eurodéputée belge.

"Croyez-vous vraiment que M Saïed, qui a révoqué son parlement, qui a jeté des juges en prison, qui a démissionné la moitié de sa juridiction, qui interdit maintenant aux blogueurs de parler de la question de l'immigration et qui utilise maintenant sa police et son armée pour renvoyer des gens à la frontière (libyenne), croyez-vous vraiment que M. Saïed va respecter les droits de l'homme ? Madame Johansson, soit vous êtes naïve, soit vous nous racontez des histoires".

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Dans ses réponses, Ylva Johansson a insisté sur le fait que les 105 millions d'euros affectés à la migration seraient "principalement" acheminés vers des organisations internationales qui travaillent sur le terrain et apportent une aide aux demandeurs d'asile, comme l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), bien qu'elle ait admis que certains fonds seraient en fait fournis aux agents tunisiens sous la forme de navires de recherche et de sauvetage et de radars.

"Permettez-moi d'insister sur le fait que la Commission européenne, l'UE, n'est pas impliquée dans le refoulement de ressortissants de pays tiers vers leur pays d'origine. Ce que nous faisons, c'est financer, par l'intermédiaire de l'OIM, les retours volontaires et la réintégration des ressortissants de pays tiers", a souligné la Commissaire.

"Je ne suis pas d'accord avec la description selon laquelle la Tunisie exerce un chantage. Je pense que nous avons une bonne coopération avec la Tunisie, mais il est également important de renforcer cette coopération et d'augmenter le soutien à la Tunisie. Et c'est l'objectif de ce protocole d'accord".

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