Des adolescents espagnols ont reçu des nus d'eux-mêmes générés par l'IA: s'agit-il d'un crime ?

Adolescente sur son téléphone portable pendant une pause studieuse.
Adolescente sur son téléphone portable pendant une pause studieuse. Tous droits réservés Canva
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Par Laura Llach
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Cet article a été initialement publié en anglais

En Espagne, plus de 20 jeunes filles ont déclaré avoir reçu des images d'elles-mêmes nues, générées par une IA. Ces "deepfakes" peuvent-ils être sanctionnés légalement?

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À leur retour à l'école après les vacances d'été, plus de vingt jeunes filles d'Almendralejo, une ville du sud de l'Espagne, ont reçu des photos d'elles nues, sur leur téléphone portable.

Aucune d'entre elles n'avait pris ces photos, mais ces dernières semblaient tout à fait réelles.

Les images avaient été volées sur leur compte Instagram, modifiées à l'aide d'une application d'intelligence artificielle, puis partagées dans des groupes Whatsapp.

Les adolescentes étaient entièrement vêtues sur les vraies photos, mais les images générées par l'application les présentaient nues. 

Aujourd'hui, leurs parents et des juges se demandent si un délit a été commis. Les images pourraient-elles être considérées comme de la pédopornographie ?

"Les montages sont super réalistes, c'est très perturbant et un véritable scandale", écrit Miriam Al Adib, la mère d'une des filles, sur son compte Instagram.

"Ma fille m'a dit avec beaucoup de dégoût : "maman, regarde ce qu'ils m'ont fait"", ajoute-t-elle.

Miriam Al Adib estime, par ailleurs, que les photos auraient pu finir sur des sites pornographiques tels que Onlyfans.

Pendant tout ce temps, les jeunes élèves ont dû endurer les commentaires de leurs camarades de classe.

"Ne vous plaignez pas, les filles téléchargent des photos qui montrent presque leurs fesses", a-t-on dit à l'une d'entre elles.

La plus jeune des filles n'a que 11 ans et n'est pas encore au lycée.

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Les mères de certaines victimes ont dénoncé ce qui s'est passéCanva

Une autre mère, Fátima Gómez, a déclaré à Extremadura TV que sa fille avait été victime de chantage.

Lors d'une conversation avec un garçon sur les réseaux sociaux, il lui a demandé de l'argent et lorsqu'elle a refusé, il lui a envoyé une photo d'elle nue.

Les mères se sont organisées pour porter plainte. La police nationale a ouvert une enquête et déjà identifié plusieurs mineurs prétendument impliqués.

Certains d'entre eux sont des camarades de classe des jeunes filles, a révélé un homme politique local.

L'affaire a été transmise au parquet des mineurs et le maire de la ville a lui-même lancé un avertissement : " il s'agit peut-être d'une plaisanterie au départ, mais les implications sont bien plus importantes et pourraient avoir de graves conséquences pour ceux qui ont réalisé ces photos".

10 euros pour 25 photos de nus

Ces créations hyperréalistes réalisées par des outils d'intelligence artificielle, mieux connues sous le nom de "deepfakes", ont été réalisées à l'aide de l'application ClothOff.

Avec le slogan "Déshabillez n'importe qui, déshabillez les filles gratuitement", l'application permet aux utilisateurs de "déshabiller" n'importe quelle personne apparaissant dans la galerie de photos de leur téléphone. Il en coûte 10 euros pour créer 25 images de nus.

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Bien que la nudité ne soit pas réelle, les mères affirment que la détresse de leurs filles à la vue des photos les représentant est bien réelle.

"Vous n'êtes pas conscients des dommages que vous avez causés à ces filles et vous n'êtes pas non plus conscients du crime que vous avez commis", avance Miriam Al Adib sur son compte Instagram, dans un message adressé aux personnes qui ont partagé les photos.

"L'un d'entre eux a dit à ma fille qu'il avait fait des 'choses' avec sa photo", explique une autre mère au journal espagnol El País.

Mais les "deepfakes" peuvent-ils être sanctionnés légalement ?

"Une question est de savoir si cela doit être puni et une autre est de savoir si cela peut être puni de la manière dont la loi est rédigée en Espagne et dans d'autres pays de l'UE ", explique Manuel Cancio, professeur de droit pénal à l'Université autonome de Madrid, à Euronews.

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Le professeur souligne qu'il existe un vide juridique car l'utilisation du visage de mineurs sur des photographies porte atteinte à leur vie privée, mais lorsqu'il s'agit de crimes dans lesquels des images intimes sont diffusées, c'est l'image dans son ensemble qui porte atteinte à la vie privée.

"Comme elle est générée par deepfake, la vie privée de la personne en question n'est pas affectée. L'effet qu'elle produit (sur la victime) peut être très similaire à celui d'une vraie photo de nu, mais la loi est en retard", ajoute-t-il.

Selon Manuel Cancio, le cadre juridique qui pourrait fonctionner dans ce cas serait un crime contre l'intégrité morale, "une sorte de boîte à catastrophe pour les crimes que personne ne sait où mettre".

En mars 2022, la Commission européenne a proposé de criminaliser ce type d'infraction dans une directive sur la cybercriminalité. Selon le professeur, le code pénal néerlandais est le seul à contenir une disposition à ce sujet.

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La police nationale a ouvert une enquête et a déjà identifié plusieurs mineurs qui seraient impliquésCanva

Peut-on parler de pédopornographie ?

Les experts sont partagés sur la question de savoir si ce délit peut être considéré comme de la diffusion de pédopornographie, ce qui entraînerait une peine plus lourde, et préfèrent jouer la carte de la prudence.

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Pour Leandro Núñez, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies au cabinet Audens, l'essentiel n'est pas de savoir si la photo est 100% réelle, même si elle semble l'être.

"Le plus important est de savoir si le visage est identifiable. Il peut s'agir de pédopornographie, de crimes contre l'intégrité morale ou de distribution d'images à contenu sexuel non consensuel", explique l'avocat à Euronews.

"Dans le cas d'un crime contre l'intégrité morale, il s'agirait d'un crime moins grave, qui entraînerait donc une peine moins lourde, de six mois à deux ans de prison", ajoute-t-il.

D'autres experts, comme Eloi Font, avocat au cabinet Font Advocats, spécialisé dans le droit numérique, estiment qu'il pourrait s'agir d'un délit similaire à la reproduction d'images sexuelles de mineurs.

Dans ce cas, la peine encourue pourrait aller de cinq à neuf ans de prison.

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