Federica Mogherini : "L'UE lutte déjà contre l'esclavage en Libye"

Federica Mogherini : "L'UE lutte déjà contre l'esclavage en Libye"
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En interview pour euronews, la cheffe de la diplomatie européenne évoque les dossiers épineux du moment dont la situation des migrants en Libye.

Lors du troisième colloque Rome-MED – Dialogues méditerranéens – à Rome, la Haute répresentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de securité Federica Mogherini a accordé une interview à Gardenia Trezzini d’euronews. Elle y évoque les actions menées par l’UE dans la crise des migrants en Méditerranée, en particulier en Libye, ainsi que le difficile dialogue avec Washington et Moscou. Elle rappelle aussi sa volonté de “faire entrer les Balkans occidentaux dans la famille européenne”.

Gardenia Trezzini, rédactrice en chef à euronews :
“Lors de cette conférence MED dont le titre cette année est “Définir une stratégie positive pour la Méditerranée”, les thèmes à l’honneur sont immigration et sécurité. Est-il toujours possible de rester positif dans une crise si dure, dramatique et d’une telle envergure ?”

Federica Mogherini, Haute répresentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de securité :
“Oui, tout à fait. Cet important phénomène migratoire a fait comprendre à l’Europe entière – et aussi au-delà – que nous assistons à un changement profond face auquel nous n’avons pas besoin de la rhétorique de ceux qui veulent bloquer les flux de migrants – ce qui d’ailleurs, est impossible à réaliser aussi bien sur le continent africain que de l’Afrique vers l’Europe comme partout ailleurs dans le monde. Nous devons gérer un phénomène qui est complexe et nous avons donc changé d’approche.
Nous ne nous concentrons plus seulement sur le contrôle des frontières comme si c‘était un problème de politique interne ou de police, mais nous abordons la question dans sa complexité en développant un partenariat entre Union européenne, Union africaine et pays d’origine et de transit des migrants.
Avant toute chose, cela signifie : sauver des vies dans la Méditerranée, en Libye, dans le désert ; sauver souvent, des femmes et des enfants désespérés qui ont préféré risquer leur vie plutôt que de rester chez eux. Deuxièmement : soutenir les autorités libyennes dans un contexte politique très complexe pour gérer les frontières, fermer les centres de détention, aider l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) à travailler à l’intérieur de la Libye pour porter assistance aux migrants. Troisièmement : réussir à contrôler le sud de la Libye car tant que nous n’arrêterons pas les trafics dans le Sahel, dans le désert, au Niger, au Mali, au Tchad, la situation en Libye continuera à être insoutenable.
Nous avons donc agi surtout au Niger en offrant des alternatives économiques aux jeunes qui sinon, auraient eu comme unique activité économique, le trafic d‘êtres humains. Le nombre de migrants à transiter au Niger est passé de 70.000 à 4000. Nous disposons désormais d’un nouvel outil de travail puisqu’au sommet Union européenne-Union africaine, nous avons créé une task force en coopération avec l’ONU afin de coordonner notre travail. L’UE renforcera son action, l’ONU organisera l’assistance humanitaire et les rapatriements volontaires, l’UA s’est engagée à identifier les migrants et à les faire sortir des centres de détention inhumains où ils se trouvent."

Gardenia Trezzini :
“Entrer en Libye et accéder à ces centres de détention éparpillés dans un territoire en proie au chaos ? Est-ce vraiment faisable ? Et si oui, quand ?”

Federica Mogherini :
“Nous sommes déjà en train de le faire. L’OIM vient juste d’annoncer le départ de deux vols charter de la Libye vers deux pays d’origine des migrants et cela s’ajoute aux nombreux vols déjà organisés ces derniers mois grâce au soutien de l’Union européenne. À ce jour, 14.000 migrants ont reçu de l’aide pour rentrer chez eux et pour sortir de cette situation insoutenable de véritable esclavage dont nous avions connaissance.”

Dénoncés aujourd'hui par les dirigeants occidentaux et africains, les viols, les tortures et l'esclavage de milliers de migrants africains en Libye étaient pourtant connus de longue date, dénoncent ONG et analystes https://t.co/2Xr7LR34w3#AFPpic.twitter.com/gjoq3YKSeP

— Agence France-Presse (@afpfr) 24 novembre 2017

Libye : "L'Europe a financé le sauvetage de 14.000 migrants"

Gardenia Trezzini :
Il y a eu de l’hypocrisie, n’est-ce pas ? Est-ce que vous aviez besoin d’images transmises par les télévisions pour parler de la traite des esclaves ? Cela rappelle le cas d’Aylan, le petit Syrien mort sur les plages turques. Une image qui choque l’opinion publique provoque une réaction de courte durée. Si cette situation était connue depuis longtemps, pourquoi n’avez-vous pas agi plus tôt et plus fermement ?”

Federica Mogherini :
“Ces centres et ces conditions d’esclavage auxquels sont confrontés les migrants dans leur voyage entre désert, Libye et mer, j’en ai entendu parler pour la première fois à Lampedusa il y a 4-5 ans et je crains que ce phénomène n’existait bien avant. Parfois, un reportage télévisé aide à ouvrir les yeux de beaucoup de gens. Si cela sert à pousser à l’action certains décideurs qui auparavant, ne ressentaient pas l’urgence de sauver des vies, c’est bien.
Je peux simplement dire qu’il y a exactement un an, l’Union européenne signait un engagement pour soutenir le travail de l’OIM en Libye. Nous avons demandé à tous : ONU, OIM, UNHCR d’entrer en Libye pour chercher ces camps et nous avons demandé aux autorités libyennes d’en permettre l’accès. Nous les Européens, tous seuls, avons financé le sauvetage de ces 14.000 personnes et d’autres vont suivre.”

Gardenia Trezzini :
“En Libye et dans les pays du Sahel, vos interlocuteurs ne sont pas toujours fiables. Parfois, on a le sentiment que l’UE est considérée comme un distributeur d’argent, un investisseur qui n’attendrait pas de résultats concrets, de retour sur investissement.”

Federica Mogherini :
“Je suis satisfaite du fait que nos partenaires africains aient affirmé leur volonté de contribuer à cette immense opération de sauvetage de vies humaines. Ce sont des Africains. Je pense qu’il y a eu un vrai changement de perspective politique et culturelle des deux côtés et que nous avons enfin oublié l’idée que la question migratoire oppose le Sud et le Nord.
La décision la plus importante prise à Abidjan n’est pas seulement la création de cette task force qui nous permettra de travailler ensemble et non pas les uns contre les autres, mais aussi et surtout le lancement d’un plan d’investissements privés, avec le soutien financier de l’UE, de 44 milliards d’euros pour des projets destinés à développer l’emploi dans les zones les plus fragiles de l’Afrique. C’est cela, la vraie réponse aux problèmes de sécurité et des migrations en Afrique.”

Sommet UA -UE : la traque va s’intensifier contre les réseaux de passeurs de migrants https://t.co/6Ew3itDiO3pic.twitter.com/gsClmyPu34

— Financial Afrik (@Financialafrik) 2 décembre 2017

"C'est à notre tour de nous demander quel est le numéro de Washington"

Gardenia Trezzini :
“L’Union européenne et vous personnellement êtes les artisans d’un véritable succès diplomatique : celui sur le nucléaire iranien. Téhéran avec ses récentes déclarations semble vouloir remettre en question cet accord. Jusqu‘à quel point êtes-vous prête à le défendre face à l’administration américaine ?”

Federica Mogherini :
“L’accord que nous avons conclu avec Téhéran sur le nucléaire fonctionne. C’est un accord de plus de 100 pages dans lequel l’Iran a pris des engagements extrêmement précis et que l’agence atomique AIEA vérifie constamment. Jusqu‘à présent, ces vérifications ont été effectuées de manière positive neuf fois. Un accord qui marche dans le domaine du nucléaire ne se démantèle pas. C’est une question de priorité pour la sécurité de l’Europe et de sa région.
Le président Donald Trump a annoncé une stratégie des États-Unis sur l’Iran qui introduit des doutes sur le maintien de l’accord sur le nucléaire et nous avons rappelé à nos amis américains que cet accord n’appartient pas à un État ou à un autre, mais que c’est une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et nous nous attendons à ce que toutes les parties continuent à le respecter pleinement."

Gardenia Trezzini :
“Comment arrivez-vous à dialoguer avec l’actuelle administration américaine qui applique parfois la diplomatie du tweet et qui apparaît instable et réserve chaque jour des surprises ?”

Federica Mogherini :
“Nous parlons très souvent avec nos amis américains, à tous les niveaux et d’une seule voix. Parfois, je pense à la boutade de Kissinger : “L’Europe, quel est le numéro de téléphone ?” Maintenant, les États-Unis ont le numéro de téléphone de l’Europe…”

Gardenia Trezzini :
“C’est le vôtre ?”

Federica Mogherini :
“Mais c’est à notre tour parfois de nous demander quel est le numéro de Washington ! Mais nous nous parlons souvent et nous continuons de très bien travailler ensemble sur de nombreux dossiers.”

#Europe Les grands moments de la diplomatie du tweet : #Trump sur le #RoyaumeUni, la #Pologne, la #Suède et la #Francehttps://t.co/4LeuwKoyOb

— Toute l'Europe (@touteleurope) 3 décembre 2017

"Nous avons été les premiers à ajouter des éléments de pression sur Pyongyang"

Gardenia Trezzini :
“Parlez-vous de la Corée du Nord ? Quelle est votre position ? Jusqu‘à présent, la diplomatie européenne sur cette question est apparue un peu timide."

Federica Mogherini :
“C’est tout le contraire. Nous avons été les premiers à appliquer toutes les sanctions qui ont été décidées par l’ONU, nous avons été aussi les premiers à ajouter de notre propre initiative, des éléments de pression économique sur Pyongyang d’une façon autonome. Nous coordonnons chaque pas de notre action avec Washington, Séoul, Tokyo, mais aussi avec Pékin et Moscou. Seule l’unité de la communauté internationale et du Conseil de sécurité de l’ONU peut ouvrir une voie de négociation avec la Corée du Nord et cette démarche commune doit inclure les efforts qui incombent essentiellement à la Chine dans la situation actuelle et qui ont pour but d’ouvrir un canal diplomatique aujourd’hui inexistant. Les pressions économiques et diplomatiques sur la Corée du Nord des Européens ont comme objectif une solution pacifique.”

Russie : "La blessure infligée par le conflit en Ukraine et l'annexion de la Crimée"

Gardenia Trezzini :
“Nous avons évoqué le dialogue avec Washington, mais en ce moment, ce qui semble très difficile, c’est le dialogue avec Moscou.”

Federica Mogherini :
“En effet, c’est très compliqué et ce sera encore le cas tant qu’il n’y aura pas de solution au conflit dans l’est de l’Ukraine et tant que cet état de fait perdurera. Nous continuerons à ne pas reconnaître l’annexion de la Crimée. La blessure infligée par le conflit en Ukraine et l’annexion de la Crimée reste ouverte et nous gardons comme priorité d’appliquer les décisions prises à Minsk pour régler cette crise.
Cela étant dit, nous parlons souvent avec Moscou d’une façon constructive sur de nombreuses priorités que nous partageons : par exemple, la crise syrienne. Moscou a une position sur la crise syrienne qui est différente de la position de l’Union européenne, mais je pense que nous avons le même objectif de mettre fin au conflit après tant d’années et nous pouvons trouver des pistes communes pour y arriver.
Avec Moscou, nous parlons de la Corée du nord, de l’application de l’accord sur le nucléaire iranien et sur ce point, nous avons toujours bien travaillé ensemble. Nous sommes engagées ensemble dans le Quartet pour la solution à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien et puis le terrorisme, l’immigration…”

"Un système de promotion active des vraies informations"

Gardenia Trezzini :
“En tant que cheffe de la diplomatie européenne, avez-vous des preuves certaines de l’ingérence de la Russie dans les questions internes de certains États membres comme la France et l’Espagne ?”

Federica Mogherini :
“L’Union européenne a mis en place un système de contrôle, mais aussi de réaction et de promotion active des ‘vraies informations’. On parle beaucoup de ‘fake news’ et de campagnes de communication qui détournent l’attention de l’opinion publique vers des faits et thématiques non réels. Nous ne voulons pas répondre avec une propagande vieux jeu. Nous répondons en mettant en avant la bonne information et nous promouvons aussi l’information correcte sur ce que l’Union européenne est et sur ce qu’elle n’est pas. L’UE n’est pas – et elle ne sera jamais – un projet dirigé contre quelqu’un et je pense que ce message est arrivé à Moscou avec force et clarté.”

Gardenia Trezzini :
“Vous n’avez donc pas de preuves..."

Federica Mogherini :
“Et nous nous attendons à ce que tous les pays à travers le monde qu’ils soient amis, moins amis, proches ou lointains respectent les parcours démocratiques des États européens, notamment les processus électoraux.”

Crimée : l’Union européenne sanctionne de nouveau la Russie https://t.co/0gwGAXioZp

— Le Monde (@lemondefr) 4 août 2017

"L'Union européenne a tout intérêt à faire entrer les Balkans dans sa famille"

Gardenia Trezzini :
“Je voudrais conclure avec les Balkans. C’est une région stratégique dans de nombreux dossiers que nous venons d‘évoquer : l’immigration – car ce sont les portes de l’Europe – et la sécurité – nous savons par exemple que la Bosnie fournit un grand nombre de combattants étrangers qui rejoignent l’organisation Etat islamique -. Ce sont nos frontières à l’est. Vous avez dit récemment que votre objectif était d’obtenir des résultats rapides avant la fin de votre mandat. Lesquels ?”

Federica Mogherini :
“Nous parlons souvent de la perspective européenne des Balkans en oubliant que les Balkans sont le cœur de l’Europe. Que ce soit pour la sécurité, le flux de migrants, des questions de développement économique ou d’infrastructures, l’Union européenne a tout intérêt à faire entrer les Balkans dans sa famille et à les y maintenir. J’ai dit quelque chose que plusieurs Etats membres n’ont pas apprécié : je pense que l’avenir de l’Union européenne ne sera pas seulement à 27, mais à plus.”

Gardenia Trezzini :
“Et ce en dépit de l’opinion publique européenne ? Il y a un scepticisme certain face à la perspective d’un élargissement ultérieur.”

Federica Mogherini :
“Mais nous avons besoin que les Balkans occidentaux fassent partie de notre famille européenne pour la sécurité et l‘économie surtout, mais nous avons aussi besoin de l’enthousiasme que la jeunesse des Balkans nous manifeste. Bien sûr, la condition, c’est que toute une série de réformes soient réalisées, qu’il y ait des changements profonds dans la société et les institutions. Les dirigeants et les citoyens de cette région sont prêts à le faire.
Quand on voit une telle énergie, une telle envie de faire partie du projet politique européen qui exerce encore une telle force d’attraction, nous ne pouvons pas fermer la porte. Quand je dis qu’avant la fin de notre mandat dans deux ans, nous pouvons avoir des progrès incontestables avec chacun des six partenaires des Balkans occidentaux, je suis sérieuse et j’y crois vraiment.”

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