Salvador : le nouveau gouvernement a-t-il fait baisser les homicides ?

Salvador : le nouveau gouvernement a-t-il fait baisser les homicides ?
Tous droits réservés  Menly Cortez / El Diario de Hoy
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Salvador : la baisse du nombre d'homicides est-elle entièrement imputable au nouveau gouvernement dirigé par Nayib Bukele ?

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Le Salvador est considéré par Human Rights watch comme l'un des pays les plus dangereux du monde. Gangrené par les gangs qui représenteraient d'après les estimations 60 000 personnes dans un pays de moins de 7 millions d'habitants, le Salvador fait l'objet d'homicides quasi-quotidiens. La violence a atteint un point critique en 2015, avec 18 meurtres répertoriés chaque jour. Mais ces chiffres sont en baisse depuis quelques années. Fait rare, le 31 juillet dernier, le pays a connu un jour sans homicide. Cette légère décrue de la violence est-elle due aux réformes du nouveau président Nayib Bukele ?

Le Salvador, gangrené par deux gangs

Les solutions proposées par les leaders successifs n'ont jamais porté leurs fruits au Salvador. Le pays est en proie à la corruption et à l'impunité. L'incapacité des forces de sécurité à enquêter et à contrôler les groupes criminels ont accentué l'instabilité du pays.

Menly Cortez / El Diario de Hoy

Le Salvador est divisé en deux gangs rivaux emblématiques formés à Los Angeles, aux États-Unis, parmi les réfugiés de la guerre civile salvadorienne de 1980-1992 : la MS-13 et le 18th Street. À la fin des années 1990, les États-Unis ont commencé à expulser des milliers de détenus issus de ces réseaux délinquants vers le Salvador. Face à la faiblesse étatique et à une pauvreté chronique (30% de personnes vivent sous le seuil de pauvreté au Salvador), les gangs y ont recréé leurs structures et leurs tactiques sociales. Le pays est actuellement divisé par ces deux groupes, qui contrôlent des parcelles du territoire.

Un nouveau président ambitieux

Vainqueur dès le premier tour de la présidentielle en février 2019, le jeune conservateur de 37 ans, Nayib Bukele a fait de la sécurité sa priorité. Entré en fonction le 1er juin, le nouvel homme fort salvadorien a lancé, un mois plus tard, une nouveau plan appelé « Sécuriser le Salvador » pour lutter contre le crime et la violence. Le plan comporte cinq objectifs : prévenir le crime et la violence, améliorer le système de justice, faire plus pour réhabiliter les criminels, assurer une plus grande protection aux victimes, et renforcer les institutions assurant la sécurité des citoyens.

« C'est fini. Il n'y a plus de Mara Salvatrucha (MS-13), il n'y a plus de Mara 18 (18th street). Quel avenir leur reste-t-il ? La mort ou la prison ?» avait déclaré le président salvadorien quelques jours après avoir mis en œuvre le plan de contrôle territorial, l'un de ses piliers.

Une journée sans homicide

Charismatique, adepte des réseaux sociaux, Nayib Bukele a d'ailleurs pu célébrer une victoire symbolique, en annonçant sur les réseaux sociaux qu'aucun homicide n'avait été commis pendant la journée du 31 juillet 2019.

REUTERS/Jose Cabezas
Le président Nayib Bukele, remet un nouvel uniforme à un soldatREUTERS/Jose Cabezas

"Nous pouvons confirmer que nous avons clôturé la journée avec 0 homicide sur tout le territoire national", avait-il écrit sur Twitter.

Une statistique toute à la fois triste et synonyme d'espoir car le pays n'a connu que huit jours sans homicide depuis l'année 2000. Les autorités salvadoriennes attribuent cette victoire aux stratégies de sécurité mises en œuvre par ce nouveau gouvernement. Pourtant, des voix s'élèvent contre les moyens mis en oeuvre par Nayib Bukele pour endiguer la violence. Par ailleurs, d'autres raisons expliquent cette légère tendance à la baisse.

Le plan de contrôle territorial, une nouvelle forme de "manodourisme"

Pour José Miguel Cruz, qui analyse la violence au Salvador depuis les années 90, les mesures mises en oeuvre par les nouvelles autorités sont efficaces à court terme et ne résolvent pas la racine du problème.

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Selon lui, ce plan "a été très agressif", et s'est parfois traduit par "un recours excessif aux forces de sécurité".

"C'est une nouvelle expression du manodourisme" selon le directeur de la recherche du Centre d'études sur l'Amérique latine et les Caraïbes à l'Université internationale de Floride, dans un entretien accordé à Euronews. (ndlr : manodourisme est une expression espagnole qui signifie "main dure," synonyme de "fermeté").

Combattre la violence par la violence

La politique de la "main dure" n’a jamais été efficace, ni à moyen ni à long terme. "L'Etat devient le justicier qui empêche certains conflits mais en génère d'autres", explique le spécialiste, soulignant que les gouvernements n'ont jamais été en mesure de créer des espaces de coexistence entre les citoyens.

En outre, la police et l'armée ne peuvent être maintenues dans la rue sans affecter les "droits de l'homme" et la "coexistence démocratique" indique-t-il. Les contrôles sont généralement effectués dans les secteurs les plus marginaux et sont très souvent basés sur "l'apparence" de personnes, ce qui stigmatise une partie de la population.

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Peu à peu, une forme de «violence juridique» institutionnalisant les abus commis par les forces de sécurité serait mise en œuvre. Cela pourrait "responsabiliser" différents acteurs, tels que des groupes d'autodéfense et des groupes liés à l'État, pour "déclarer la guerre aux maras" dit-il (ndlr : les maras désignent les gangs).

Mais cela ne ferait que provoquer un «cycle de reproduction de la violence» et la réaction des gangs pourrait être plus agressive, entraînant une recrudescence de la violence précise-t-il.

Les morts de membres de gangs lors d'affrontements avec la police cessent-elles d'être des morts violentes ?

À la mi-juillet, une grande controverse a éclaté autour du nombre d'homicides. Le gouvernement a décidé de retirer les décès des membres de gangs tués par les forces de l'ordre de la liste de morts violentes. Autrement dit, le gouvernement ne souhaitait plus considérer les décès des membres de gangs tués par la police comme des "morts violentes".

Bien que l'exécutif ait finalement abandonné l'idée, des doutes subsistent "quant à savoir si le gouvernement comptabilise tous les décès qui doivent l'être". Une manipulation de cette comptabilisation pourrait expliquer en partie la réduction des chiffres de la violence meurtrière.

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Peut-il y avoir une paix sans dialogue avec les gangs ?

Pour le spécialiste José Miguel Cruz, le contrôle exercé par les gangs sur le territoire salvadorien ne laisse aucune autre option. 

«Toute solution implique un certain type de dialogue. Il est très difficile de penser que cela va être résolu en mettant 30 000 (membres de gangs) en prison ou en éliminant 30 000 personnes ».

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Le dialogue que propose José Miguel Cruz implique de démobiliser et de faire disparaître les gangs, en fournissant des ressources pour créer des opportunités pour les jeunes défavorisés sur le plan socio-économique afin de leur offrir "une vie sans peur".

Toutefois, pour la société salvadorienne, parler de dialogue avec les maras est synonyme de trahison. En 2012, les maras et le gouvernement ont convenu de réduire le nombre d'homicides en échange de certains avantages. Cet épisode controversé de l'histoire du Salvador est connu sous le nom de "trêve" et a laissé un mauvais souvenir. "Les gangs ont certainement cessé de tuer, mais ont continué à mener des actions criminelles", explique l'expert.

Bukele, seul responsable de la baisse de la violence ?

L'administration Bukele dialogue-t-elle avec les gangs ?

"Je ne sais pas, mais je ne serais pas surpris s'il le faisait", déclare José Miguel Cruz. "Il est très difficile de penser que ces réductions ne se produiront pas sans une sorte de dialogue ou un accord avec au moins certains groupes de gangs."

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Mais Nayib Bukele a nié ces accusations. Dans une interview accordée à El Faro, le jeune leader a déclaré qu' "il serait absurde de négocier d'un côté et d'être aussi radical de l'autre".

Rogelio Rivas, le nouveau ministre de la justice, a déclaré qu'il y avait eu un total de 154 meurtres en juillet 2019, contre 291 l'année précédente, une baisse presque de moitié en seulement un an. Mais ce constat peut être fait depuis plusieurs années. En 2018, le pays a dénombré 3 340 homicides, ce qui représente une baisse de 15 % par rapport à l'année 2017. Selon des statistiques publiées en début d'année 2019, le nombre de meurtres au Salvador représente aujourd'hui un taux de 51 meurtres pour 100 000 habitants alors que trois ans plus tôt il était de 81 pour 100 000 habitants.

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