Salomé Zourabichvili : "Les Géorgiens ne veulent pas devenir Européens, ils le sont déjà"

Salomé Zourabichvili : "Les Géorgiens ne veulent pas devenir Européens, ils le sont déjà"
Par Anelise Borges
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Dans une interview à euronews, la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili qualifie la présidentielle en Abkhazie de "soi-disant scrutin". Elle évoque également le difficile statut de son pays aux côtés de son puissant voisin russe et le succès de son rapprochement avec l'UE.

Dans une interview pour l'émission Uncut d'euronews enregistrée mardi 27 août au Cercle de l'Union Interalliée à Paris, la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili qualifie la présidentielle dans la région séparatiste de l'Abkhazie de "soi-disant scrutin". Elle évoque également le difficile statut de son pays aux côtés de son puissant voisin russe et le succès de son rapprochement avec l'Union européenne.

Ce dimanche, le premier tour d'une présidentielle s'est tenu dans un pays qui n'est reconnu que par sept autres. Le vote en Abkhazie a été qualifié d'imposture par la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili qui y voit une violation de la souveraineté nationale de la Géorgie. Notre reporter Anelise Borges l'interviewe au Cercle de l'Union Interalliée à Paris.

Anelise Borges, euronews :

"L'Abkhazie est un sujet litigieux dans votre pays, c'est une région séparatiste..."

Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie :

"Ce n'est pas litigieux, c'est un territoire occupé."

"Soi-disant scrutin" en Abkhazie

Anelise Borges :

"Cette région est reconnue au plan international comme faisant partie de la Géorgie..."

Salomé Zourabichvili :

"Oui."

Anelise Borges :

"Mais des nations dont le Venezuela, le Nicaragua, mais aussi la Syrie et bien sûr, la Russie la considèrent comme un État indépendant. Cette région et l'Ossétie du Sud représentent des enjeux-clés dans vos relations avec votre voisin très puissant qu'est la Russie. Plus de dix ans se sont écoulés depuis cette guerre brève, mais coûteuse qui a opposé vos deux pays. Que pensez-vous de cette élection et quelles sont vos relations avec ces deux régions qui suscitent la dispute ?"

Salomé Zourabichvili :

"C'est un soi-disant scrutin - puisqu'il est clair que nous ne reconnaissons pas des élections qui se déroulent dans ces conditions -. Mais je suis persuadée que très prochainement, un vote se tiendra sur l'ensemble du territoire de la Géorgie et que les citoyens - y compris nos citoyens qui vivent en Abkhazie - auront la possibilité de participer de manière beaucoup plus libre à des élections qui détermineront l'avenir de leur région au sein de la Géorgie."

"Une tragédie humaine"

Anelise Borges :

"Dans le passé, vous avez parlé de tragédie nationale - une tragédie qui se poursuit encore aujourd'hui - pour qualifier les litiges au sujet de ces deux régions."

Salomé Zourabichvili :

"Oui. C'est très intéressant effectivement et il faut le souligner : c'est une tragédie humaine pour les gens qui vivent sur place parce que l'utilisation de leur langue est remise en cause, leur identité est vraiment menacée, il y a une politique de russification, donc la situation est très difficile. Elle l'est aussi sur la ligne d'occupation pour les villageois qui vivent là-bas et qui parfois, sont victimes d'enlèvement. Donc c'est très tendu. 

Mais en même temps - et c'est ce qui est important - la Géorgie a réussi à poursuivre son chemin en direction de l'Union européenne grâce à son développement économique et démocratique. Si le but de cette guerre et de l'occupation - et je crois que c'était effectivement le cas -, c'était d'empêcher la Géorgie d'avancer en direction de l'Ouest - ce que notre pays a choisi de faire -, eh bien, nous avons gagné."

"Il nous faudrait le signe clair d'un changement d'attitude de la Russie à notre égard"

Anelise Borges :

"Nous allons parler d'Europe dans un instant, mais je voudrais d'abord savoir dans quelle mesure cela a été compliqué pour vous de diriger un pays relativement petit avec un voisin aux ambitions si grandes. Avez-vous déjà rencontré le président russe Vladimir Poutine ? Êtes-vous en contact avec lui ?"

Salomé Zourabichvili :

"Non. Vous savez certainement que nous n'avons pas de relations diplomatiques depuis la guerre en raison de ce conflit et des territoires occupés. Et j'ai dit à maintes reprises que de notre point de vue, pour avoir une certaine forme de contacts, pour établir une relation renouvelée, il nous faudrait le signe clair d'un changement d'attitude de la Russie à notre égard - en tant que petit voisin - et la reconnaissance que la relation de voisinage ne s'appuie pas sur la force. Donc quand nous aurons ce genre de signes, je suis sûre que nous serons prêts à établir ce dialogue dans l'avenir, que la situation changera.

Mais aujourd'hui, est-ce que c'est difficile de présider un pays comme le nôtre ? C'est un pays qui a résisté pendant 27 siècles à toutes sortes d'empires - presque tous en réalité - et dont des pans de territoire ont été occupés par différents empires à diverses périodes de l'Histoire et nous avons survécu à tout cela. Donc je suis certaine que nous allons survivre et que nous allons continuer à nous tourner vers l'UE pour la rejoindre. Nous avons déjà parcouru un long chemin dans cette direction.

Il y a une chose qui pour moi, est très importante : c'est le fait qu'il y a quinze ans, personne n'aurait pu prédire qu'aujourd'hui, la Géorgie serait premièrement, concernée par la Politique européenne de voisinage ; deuxièmement, liée à l'Union dans le cadre du Partenariat oriental. Personne n'aurait pu prédire que nous serions devenus un pays associé, que nous aurions un régime de libre-échange, etc. Tout le monde aurait dit : "C'est impossible". Donc je crois que c'est possible et c'est pour cela qu'assurer la présidence de ce pays, cela représente un défi, mais aussi beaucoup d'espoir."

"Le Brexit nous ouvrira de nouvelles portes"

Anelise Borges :

"Vous avez aussi affirmé que votre accession au pouvoir signifiait que la Géorgie voulait aller vers l'Europe. Vous êtes européenne, vous êtes née et avez grandi ici à Paris. D'après de récents sondages, environ 80% de la population géorgienne veut faire partie de l'Union européenne à l'heure du Brexit ! Comment l'expliquez-vous alors qu'ici en Europe, on est confronté à ce divorce très controversé ? Pourquoi la Géorgie veut-elle faire partie de l'Union ?"

Salomé Zourabichvili :

"Tout d'abord, je dois souligner que je n'ai pas été élue malgré mon ancienne nationalité française et mon identité européenne, mais bien pour cette raison. Et c'est très profondément ancré dans la mentalité géorgienne : les Géorgiens se sentent Européens. Ce n'est pas quelque chose qu'ils veulent devenir, ils le sont déjà. Ils sont aussi très optimistes à l'égard de l'Union européenne parce qu'ils pensent qu'il n'y a pas d'autre alternative que de se tourner vers l'Europe - c'est quelque chose qui est présent dans notre pays et dont les Européens n'ont pas toujours conscience.

Mais je voudrais dire aux Européens : "Imaginez ce que ce serait si l'Union européenne cessait d'exister et si nous revenions à la situation antérieure, eh bien clairement, vous réaliseriez que c'est un cauchemar. Donc l'Union est une construction très importante, très réussie même si elle connaît des périodes de crise. On peut d'ailleurs faire un constat très intéressant : tous les progrès de l'Union ont été réalisés à cause de crises - là encore, non pas malgré les crises, mais en raison des crises. Ils ont résulté des crises.

Cette crise-là - le Brexit - représente clairement un très grand défi, mais je suis sûre qu'elle créera de nouvelles opportunités, qu'elle obligera encore plus l'Union européenne à se réformer et comme je suis optimiste, je suis certaine qu'elle nous ouvrira de nouvelles portes."

Anelise Borges :

"Est-ce un sujet que vous suivez de près, le Brexit et ce que cela génère dans l'Union européenne : ses crises et ses opportunités ? La Géorgie continue-t-elle d'observer cela avec beaucoup d'attention ?"

Salomé Zourabichvili :

"Oui, très, très attentivement. Nous devons poursuivre sur la voie que nous avons prise et nous continuerons dans ce sens pour que nous puissions nous rapprocher très clairement de l'Union, la rejoindre. Nous devons savoir exactement où nous mettons les pieds, quel sera le nouveau contexte européen. Donc nous devons avoir une très bonne connaissance de ces questions et puis, être très réaliste et très ambitieux en même temps."

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