Euronews en Iran : comment expliquer le retour au pouvoir des ultraconservateurs à Téhéran ?

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Par Anelise Borges
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Euronews a passé une semaine à Téhéran pour recueillir les espoirs et désillusions d'Iraniens à l'heure où leur pays entreprend un virage ultraconservateur après la victoire d'Ebrahim Raïssi à la présidentielle.

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Je suis arrivée en Iran le 14 juin, quatre jours avant l'élection présidentielle prévue dans le pays. Cela peut sembler un laps de temps court pour prendre le pouls d'une nation, mais le consulat à Paris qui m'a accordé mon visa m'a indiqué que mes dates de voyage étaient non négociables. Je me suis donc lancée dans un court, mais fascinant périple à Téhéran dans le but de sonder l'état d'esprit des Iraniens ordinaires à l'approche de ce vote crucial.

Les électeurs étaient appelés à désigner un nouveau président prenant la suite du modéré Hassan Rohani et cette fois, les tenants de la ligne dure étaient donnés gagnants. Les sanctions sévères imposées sous le mandat de l'ancien président des États-Unis Donald Trump ont dévasté l'économie iranienne et donné des arguments de poids aux ultraconservateurs.

Sur place, j'ai d'abord interviewé l'ancien président iranien, Mahmoud Ahmadinejad (vous pouvez voir notre entretien ici) qui a dépeint un tableau sombre de l'état actuel du pays et de son système politique, le même système qui lui avait permis d'accéder à la présidence à deux reprises malgré les manifestations d'un grand nombre d'Iraniens. Mahmoud Ahmadinejad m'a indiqué qu'il fallait immédiatement réformer l'Iran à tous les niveaux. Une nécessité que la plupart des personnes que j'ai rencontrées sur place par la suite souligneront également.

Désastre économique

Les conditions de vie sont difficiles en Iran et la situation s'est considérablement aggravée au cours de la dernière décennie. Les autorités rejettent la responsabilité de cette paralysie de l'économie sur les sanctions internationales imposées en raison du programme nucléaire iranien. Mais les Iraniens en général pointent également du doigt, la mauvaise gestion opérée par le gouvernement et la corruption.

La monnaie nationale, le rial, a plongé à un niveau historiquement bas face au dollar américain. Les prix ont flambé avec 39% d'inflation attendue cette année et selon les estimations, plus de 4 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté.

La majorité des Iraniens que j'ai rencontrés m'ont dit être exaspérés et ne pas faire confiance aux politiciens pour qu'ils défendent leurs intérêts quand ils prennent des décisions. Ils sont nombreux à m'avoir dit qu'ils n'iraient pas voter.

Cette année, la campagne électorale s'est déroulée dans une ambiance particulière. Les rues semblaient étrangement calmes et les réunions politiques étaient rares. Du fait des inquiétudes concernant un éventuel pic de contaminations au Covid-19 et d'une campagne de vaccination lente, les autorités avaient interdit les grands rassemblements. Ce qui n'a pas empêché les affiches politiques d'être de sortie.

Anelise Borges / euronews
Anelise Borges rencontre Gholam-Hossein qui estime que "l'Iran est aujourd'hui en ruines" et évoque le passé avec nostalgie.Anelise Borges / euronews

"Les États-Unis ne sont pas dignes de confiance"

Si je voulais avoir un indice de la voie plus conservatrice que l'Iran s'apprêtait à prendre, je n'avais qu'à regarder les façades autour de moi : les posters à l'effigie du général Qassem Soleimani étaient omniprésents. Le haut commandant iranien avait tué sur ordre de l'ancien président américain Donald Trump en janvier 2020. L'homme érigé au rang de héros symbolise dans le discours des tenants de la ligne dure, "la détermination inébranlable de la nation iranienne de rester forte face à l'oppression occidentale". Le virage ultraconservateur qui allait être pris par le pays était en partie, lié à des décisions prises à des milliers de km de là, à Washington il y a trois ans.

Le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien décidé par Donald Trump a provoqué une onde de choc qui est encore ressenti aujourd'hui dans ce pays de 83 millions d'habitants.

La "campagne de pression maximale" menée par Donald Trump a frappé en premier lieu, les Iraniens ordinaires et alimenté l'idée que les États-Unis n'étaient pas dignes de confiance. Un argument utilisé depuis longtemps par les conservateurs et partisans de la ligne dure qui ont semblé les seuls intéressés par la course à la présidence cette année, peut-être parce qu'ils savaient qu'ils étaient les mieux placés pour l'emporter.

Cette situation s'expliquait aussi par un ensemble de facteurs et tout particulièrement, les subtilités de la structure du pouvoir iranien dans laquelle l'Assemblée des Experts a le dernier mot sur les candidats qui peuvent se présenter à la présidentielle. Ils étaient ainsi plus de 500 dont une quarantaine de femmes à avoir souhaité concourir. Mais seuls sept ont été finalement autorisés à le faire, la plupart étant des représentants des conservateurs. Les réformistes et les modérés ont eu l'impression de ne pas avoir de véritable choix au point de susciter chez bon nombre d'électeurs, une indifférence pour ce scrutin.

Anelise Borges / Euronews
Un couple s'est rendu aux urnes en famille le 18 juin à TéhéranAnelise Borges / Euronews

Un avenir incertain

Le jour des élections, les autorités avaient étendu les horaires des bureaux de vote. Ils sont ainsi restés ouverts jusqu'à 2h du matin tandis que les agents du secteur public avaient apparemment comme instruction, d'aller voter ; sinon ils s'exposaient à une amende.

Les résultats officiels ont été marqués par une participation historiquement faible de 48,8% et un niveau record de votes blancs à hauteur de 14,4%.

Le religieux ultra-conservateur Ebrahim Raïssi a été déclaré vainqueur avec 62% des voix et il s'apprête aujourd'hui à succéder au modéré Hassan Rohani le 6 août.

Lors de sa première conférence de presse donnée après l'annonce des résultats et peu avant mon départ du pays, j'ai demandé à Ebrahim Raïssi s'il avait un message à transmettre au reste du monde sur l'avenir de l'Iran. Il a répondu que la priorité serait donnée aux questions intérieures plutôt qu'à la politique étrangère. Son discours "Iran first" n'est pas sans rappeler le positionnement des populistes occidentaux.

En héritant d'une situation économique désastreuse et d'un mécontentement généralisé, le prochain président iranien devra affronter des défis de taille. Mais sa tâche la plus importante sera probablement de restaurer la confiance au sein de la population iranienne et de la rallier à sa vision de l'avenir.

Journaliste • Anelise Borges

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