C'est une histoire douloureuse, et pourtant si proche : celle des derniers esclaves importés d'Afrique, malgré l'abolition, en 1860.
L'âme des derniers esclaves africains d'Amérique repose ici, à Africatown, en Alabama. Le Old Plateau Cemetery abrite les tombes d'hommes et de femmes qui ont fait partie du dernier "cargo" d'esclaves arrivés aux Etats-Unis le 8 juillet 1860.
De nouvelles recherches sur l'épave du bateau, le dernier négrier à avoir accosté aux Etats-Unis, relancent aujourd'hui l'intérêt porté à cette période de la fin de la traite des noirs.
A cette époque-là, l'esclavage est aboli depuis un demi-siècle. Mais la demande augmente pour une main d'oeuvre bon marché et malléable à merci. Les plantations de coton et de canne à sucre sont en plein essor et les esclaves continuent de se vendre clandestinement dans les états du Sud mais à prix d'or. Un agriculteur et capitaine de vaisseau, Timothy Meaher, fait alors le pari de transporter "une cargaison de nègres" venus d'Afrique, au nez et à la barbe des autorités. C'est David Foster, et son bateau, la Clotilda, une göelette modifiée spécialement pour l'occasion, qui se chargeront du voyage.
45 jours de traversée, nus dans la cale
Un groupe de plus de cent jeunes hommes et femmes, et enfants, capturés plusieurs jours avant par l'armée du Dahomey (région sud de l'actuel Bénin), sont embarqués à bord du bateau négrier. Nus, entassés en cale, ils passent 45 jours en mer avant de débarquer à Mobile, Alabama, en pleine nuit. Cachés par leurs gardiens plusieurs jours dans les marais - la nouvelle de leur arrivée a circulé dans le pays et la police fédérale a été envoyée sur place pour arrêter les trafiquants - ils sont ensuite séparés, vendus, éparpillés à travers tout le sud.
En 1865, à la fin de la Guerre de Sécession, tous retrouvèrent finalement la liberté. Mais beaucoup voulurent rentrer en Afrique. Impossible. Ou obtenir des terres aux Etats-Unis. Refus. Ils finirent par pouvoir acheter quelques parcelles et fondèrent le village d'African Town.
La découverte en 2019 de l'épave du Clotilda a relancé l'intérêt pour l'histoire de ces derniers esclaves. Pourtant incendié après son arrivée en Alabama en 1860, le bateau est en excellent état, et des fouilles minutieuses ont été lancées. Un mémorial pourrait être érigé à proximité, un musée pourquoi pas, et certains chercheurs estiment que de l'ADN humain pourrait même être retrouvé dans l'épave. La découverte de la Clotilda a enfin fourni des éléments concrets aux familles qui portent depuis des générations le leg atroce de la traite des Noirs.
Joycelyn Davis, descendante de Charlie Lewis, un esclave de la Clotilda, déclare : "Le simple fait de savoir qu’il y a des documents témoignant de l’existence de mes ancêtres, les livres qui ont été écrits […], cela me suffisait. Mais le bateau, ça a été la cerise sur le gâteau."
Les derniers survivants de cet ultime groupe d'esclaves moururent dans les années 30. Mais leurs descendants continuent de raconter leur histoire et faire vivre l'héritage et le souvenir de cet épisode si sombre... et si proche de nous.