La crise énergétique est-elle derrière nous ?

La centrale électrique à gaz de Lichterfelde à Berlin, en Allemagne Mars 2022
La centrale électrique à gaz de Lichterfelde à Berlin, en Allemagne Mars 2022 Tous droits réservés Michael Sohn/Copyright 2022 The AP. All rights reserved
Par Julien Pavy
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Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, les Européens se projettent déjà vers l'hiver prochain en scrutant avec attention leurs réserves de gaz.

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Depuis que Moscou a drastiquement diminué ses livraisons de gaz, l'UE redouble d'efforts pour éviter des coupures d'électricité en se tournant vers d'autres fournisseurs ou en incitant entreprises et particuliers à la sobriété énergétique.

"La crise n'est pas terminée"

Si les températures clémentes de l'hiver dernier ont permis d'éviter un scénario chaotique, les inquiétudes ne sont pas dissipées pour autant, souligne Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste des questions énergétiques : "La crise n'est pas terminée parce que pour résoudre une crise énergétique, il faut investir dans de la production supplémentaire. Si la Commission européenne a mis en place des subventions pour aider les consommateurs à faire face à la flambée de leurs factures, elle n'a pas lancé de nouveaux projets."

De son côté, Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique et des matières premières (CGEMP) note toute une série de facteurs qui permettent, selon lui, d'aborder l'hiver prochain avec plus de sérénité : "On est sorti de la période de sidération (...) Les prix du gaz sont redevenus plus raisonnables et les infrastructures ont commencé à être adaptées à de nouveaux terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié."

Une course au gaz naturel liquéfié

Pour faire face à la diminution de gaz russe, l'Union européenne a massivement augmenté ses importations de GNL, en particulier des États-Unis. En 2022, les exportations américaines vers l'UE ont ainsi bondi de 143% sur un an, selon l'IEEFA.

Les Européens ont également pu compter sur les livraisons du Qatar, d'Égypte, d'Algérie, de Norvège, d'Azerbaïdjan, ou d'Angola.

Quant à la Russie, elle n'a pas encore totalement fermé ses vannes, environ 10% de la demande gazière européenne étant encore satisfaite par du gaz russe, pour moitié du GNL. "La Russie n'a pas intérêt à couper complètement ses livraisons car cela lui permet de créer une certaine dissension au sein de l'Union européenne ; elle alimente en particulier la Hongrie, mais aussi d'autres pays", note Thierry Bros. "Par contre, on peut imaginer que l'État russe soit prêt, à partir du début de l'hiver, à créer de l'incertitude, non pas sur le gaz gazeux comme il l'a fait en 2022, mais peut être, cette fois-ci, sur le gaz naturel liquéfié."

Conséquence de cette course au GNL, les besoins en terminaux méthaniers et tankers ont explosé. L'Allemagne, qui ne disposait d'aucun terminal de gaz naturel liquéfié, en a inauguré trois en janvier et projette d'en ouvrir quatre autres grâce à des milliards d'euros de fonds publics.

"La Russie n'a pas intérêt à couper complètement ses livraisons car cela lui permet de créer une certaine dissension au sein de l'Union européenne"
Thierry Bros
Professeur à Sciences-Po Paris
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Les stocks de gaz dans l'UE au 30 mai 2023euronews

Des stocks de gaz "élevés" dans l'UE

Sensibilisés aux risques de pénurie d'énergie, les Européens ont globalement respecté l'objectif de 15% de réduction de la consommation de gaz fixé par Bruxelles et prolongé une année supplémentaire.

Sur la période août-novembre, la consommation de gaz naturel de l'Union européenne a même dépassé l'objectif chutant de plus de 20% par rapport à la moyenne des cinq dernières années, note l'office européen Eurostat. La Finlande, la Lettonie et la Lituanie ont fait figure de premiers de la classe.

A la sortie de la saison froide, en mars, le niveau de remplissage des cuves était d'environ 55%, soit beaucoup plus qu'au même mois de 2022.  Et au 30 mai, 68% des cuves étaient pleines au niveau européen. "C'est un niveau particulièrement élevé pour cette période", note Patrice Geoffron.

Avant l'hiver prochain prochain, les stocks devront atteindre 90%, comme le prévoit désormais la réglementation.

Les facteurs d'un scénario catastrophe

Malgré des voyants globalement au vert, l’hypothèse d'un scénario catastrophe n'est pas encore écarté par les experts.

Parmi les principaux facteurs aggravants : une rupture totale de l'approvisionnement en gaz russe, une saison hivernale glaciale et une sécheresse importante : "Cela pourrait créer un stress sur les niveaux d'eau en Europe avec une influence à la fois sur l'hydroélectricité mais également sur la production électronucléaire. Cela aurait un effet indirect sur la consommation de gaz, car il faudrait puiser davantage dans les cuves pour produire de l'électricité", remarque Patrice Geoffron.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a relevé une autre menace pour la sécurité énergétique européenne : l’augmentation de la demande de gaz naturel en provenance de Chine : "Il faut avoir à l'esprit qu'en 2022, une partie du gaz naturel liquéfié arrivée en Europe était originellement destinée à la Chine, mais elle n'en n'a pas eu besoin compte tenu à la fois de la période zéro Covid et d'une dynamique économique moins flamboyante", poursuit Patrice Geoffron. "Néanmoins, une partie de ce gaz a vocation à retourner à l'avenir en Chine. Il risque donc d'y avoir une concurrence dans l'approvisionnement en gaz en Europe et en Asie. Et la Russie, évidemment, va jouer sur cette concurrence."

Face à ces facteurs de tensions, l'Union européenne s'efforce de renforcer son indépendance énergétique. Parmi ses objectifs, doubler d'ici à 2030 sa production de biométhane, à partir de déchets agricoles ou industriels, ou encore développer l'hydrogène décarbonée.

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