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"L'Europe doit entretenir une certaine forme de relation avec la Russie" selon János Bóka

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Par Sergio CantoneEuronews
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Sergio Cantone reçoit János Bóka, ministre hongrois des Affaires européennes, dans ce nouveau numéro de The Global Conversation.

La guerre en Ukraine, la Russie, la Chine, ou encore l'État de droit. Autant de sujets qui ont marqué un point de clivage entre la Hongrie et le reste de l'Union européenne. Depuis juillet, c’est cet Etat membre qui assure la présidence de l'Union européenne. Alors quel style de présidence se profile ?  Sergio Cantone a posé la question au ministre hongrois des Affaires européennes, János Bóka. 

Sergio Cantone - Nous allons commencer par cette première question : la Russie représente-t-elle une menace existentielle pour les intérêts de l'Union européenne et pour sa sécurité ? Ou pensez-vous qu'il existe des intérêts divergents qui peuvent être apaisés ou résolus par d'autres moyens, diplomatiques et politiques ?   

János Bóka, ministre hongrois des Affaires européennes - Je pense que dans le cadre d’une architecture de sécurité européenne durable, l'Europe doit entretenir une certaine forme de relation avec la Russie. Si nous voulons bâtir une architecture de sécurité européenne pérenne dans les décennies à venir, il faut envisager d'une manière ou d'une autre la relation entre l'Europe et la Russie.  

 

Mais ne pensez-vous pas que l'instauration de lignes rouges claires pour la Russie fait partie de l’élaboration de cette architecture de sécurité dont vous parlez ?   

Comme tous les États membres de l'Union européenne, nous pensons que nous devons soutenir pleinement la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Je pense que cela ne fait aucun doute. 

Et je crois aussi qu’une architecture de sécurité pérenne n'est pas réalisable, si l’on n’engage pas la Russie par des voies diplomatiques en vue de créer une architecture de sécurité durable pour l'Europe. Nous n'en sommes pas encore là, mais je pense que les conditions préalables à ce type d'engagement doivent être créées à un moment donné.  

 

Mais, en même temps, des critiques ont été émises par les partenaires de la Hongrie, l'UE et l'OTAN, au sujet de l'initiative prise par Budapest, par le Premier ministre, Viktor Orban, de se rendre à la fois à Moscou et à Pékin.  

S'agissait-il d'une initiative prise dans le cadre de la présidence hongroise de l'Union européenne ou d'une initiative individuelle du Premier ministre, qui n'avait pas été discutée au préalable avec les partenaires ?  

Il s'agissait d'une initiative individuelle du Premier ministre hongrois. Il a clairement indiqué, à plusieurs reprises, qu'il ne négociait pas au nom de l'Union européenne, parce qu'il n'avait ni la compétence ni le mandat pour le faire. Il a également précisé que son objectif n'était pas de présenter des solutions ou de prendre de nouvelles initiatives, mais d'effectuer une mission d'enquête et de clarifier certaines questions. 

Après chaque réunion, il a informé le président du Conseil européen et les chefs d'État et de gouvernement des États membres de l'Union européenne.  

Mais ne pensez-vous pas que le fait de montrer les vidéos de ces déplacements avec le logo de la présidence hongroise de l'Union européenne, surtout après ce qui s'est passé il y a deux jours à Kiev, avec cette terrible attaque d’un hôpital pédiatrique, était un peu gênant, à la fois pour la Hongrie et pour l'Union européenne ?  

Le bombardement de Kiev est horrible. C'est terrible. Et je pense que la perte de vies humaines et les dommages qui ont été causés lors de cette guerre soulignent l'importance de la mission de paix du premier ministre hongrois. 

Mais ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'un manque de respect, quelque part, du président russe Vladimir Poutine ?  Deux ou trois jours après la rencontre avec le premier ministre hongrois, il a mené une attaque très dure contre la capitale de l'Ukraine.   

N'oublions pas que la Russie et l'Ukraine sont en guerre. Et je ne m'attends pas à ce que les parties qui mènent des hostilités ouvertes se limitent. Ce que nous attendons de ces visites, c'est de fournir des informations supplémentaires et de contribuer au processus décisionnel de l'Union européenne, via lequel nous pourrons obtenir un cessez-le-feu qui permettrait de mener d’importants pourparlers de paix.  

 Quelles seraient les bases d’un cessez-le-feu ?  

 C'est ce que le Premier ministre comptait savoir, pour voir s'il y a une volonté de la part des parties et de quelle manière les institutions européennes pourraient être utiles et contribuer à trouver une issue juste et durable à ce conflit militaire.  

Mais on sait qu'il y a des divergences et des différences entre Budapest et le reste de l'Union européenne lorsqu'il s'agit de soutenir l'armement de l'Ukraine.  

 Voici la juste interprétation : un certain nombre d’Etats membres pensent que nos objectifs stratégiques peuvent être atteints par des moyens militaires sur le champ de bataille. L'intention du Premier ministre était de fournir des informations supplémentaires et des éclaircissements susceptibles de nourrir ces discussions. 

Ne pensez-vous pas qu'il y a une sorte d'incohérence en affirmant que l'objectif est d'établir une sorte d'architecture de sécurité pérenne, comme vous le dites, sur la base d'un cessez-le-feu et d'un conflit enlisé au cœur de l'Europe. Est-ce là ce que vous appelez une architecture de sécurité pérenne ? 

L'élaboration d'une architecture de sécurité pérenne ne relève pas de la responsabilité de la Hongrie. Mais je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que si les hostilités militaires entre la Russie et l'Ukraine sont ouvertes, cela ne constitue pas une base durable pour un futur cadre de sécurité en Europe. D'une manière ou d'une autre, il faut mettre fin à ce conflit militaire, ce qui constituerait une base de discussion pour le futur cadre de sécurité. 

Les dirigeants de l'OTAN ont décidé de fournir à l'Ukraine de nouveaux systèmes d'armement. Êtes-vous d'accord avec cette décision ?  

Dès le début de ce conflit, la Hongrie a décidé de fournir un soutien très varié à l'Ukraine, y compris une aide humanitaire, un approvisionnement en énergie, dans un certain nombre de domaines.  

Mais nous avons décidé de ne pas fournir d'assistance militaire, directement ou indirectement à l'Ukraine, qui pourrait constituer un recours à la force létale. 

Oui, mais c'est en contradiction avec la décision du Conseil d’approvisionner l'Ukraine et, comme vous l'avez dit précédemment, l'objectif est de donner à l'Ukraine les outils stratégiques pour se défendre par le recours à la force d'un point de vue militaire. 

Je n’y vois pas de contradiction fondamentale. Je pense que la décision consiste à fournir un large soutien à l'Ukraine, conformément à la politique de sécurité et de défense et aux intérêts de chacun des États membres. C'est en tout cas la décision prise par l'Union européenne. Et je pense que cela est également conforme aux engagements de l'OTAN. Nous n'avons jamais contesté le droit des États membres à soutenir l'Ukraine par d'autres moyens. 

Mais vous entravez quand même les livraisons d'armes à l'Ukraine.  

Nous apportons notre soutien à l'Ukraine conformément à notre stratégie et à notre évaluation en matière de sécurité et de défense. 

 Vous avez donc une autre conception de la sécurité lorsqu’il s’agit de votre pays, ce qui est légitime et doit être bien entendu respecté. Mais force est de constater que la Hongrie a une conception différente de la sécurité par rapport à l'OTAN et l'Union européenne, ses autres partenaires. 

Il serait plus précis de dire que les alliés de l'OTAN et les partenaires au sein de l'Union européenne ont un champ d'interprétation qui est au fondement de l'aide apportée à l'Ukraine, et que la Hongrie se situe dans ce champ d'interprétation communément admis lorsqu'il s'agit de sécurité et de défense dans l'intérêt de l'Europe et de l'alliance transatlantique. 

 Allez-vous continuer de bloquer la Facilité européenne pour la Paix ? 

 La Facilité européenne pour la Paix est une question très complexe. Et la question n'est pas de savoir si elle est bloquée ou non. La question est de savoir comment la Facilité européenne pour la Paix peut contribuer à promouvoir les intérêts de l'Union européenne en matière de sécurité. 

Un certain nombre de questions sont en suspens, par exemple l'accord entre les États membres du G7 sur l'octroi de prêts qui pourraient également être utilisés pour l'achat d'équipements militaires et leur acheminement par l'intermédiaire de la Facilité européenne pour la paix, ainsi que les nombreuses questions liées à ce dispositif. 

Notre position, c’est que toutes ces questions doivent être résolues et qu’ensuite, nous prendrons une décision politique relative à l'avenir de la Facilité européenne pour la Paix, d’une manière générale. 

L'objectif est clair, il s'agit de savoir s'il faut donner cet argent aux Ukrainiens pour rembourser les dépenses militaires ou non.  C'est là que se situe le dilemme. Où est donc la complexité, hormis le montage et le libellé, du mécanisme de facilité pour la paix ? 

Je pense que la complexité et le manque de clarté stratégique de cet instrument sont notoires depuis le début. Je me souviens de la première discussion sur le montant de l'aide militaire à fournir à l'Ukraine, et cette somme n'a cessé d'augmenter, avec des chiffres et des modes de financement très divergents.  

Vous êtes également opposé à l'utilisation des avoirs gelés, des fonds provenant du gel des avoirs russes. Et vous l'êtes toujours. Ne pensez-vous pas qu'après les attaques que nous avons vues récemment à Kiev et en Ukraine, le moment est venu de revenir sur cette politique ? 

La seule question que nous nous posons est de savoir si la Facilité européenne pour la paix est le meilleur moyen de faire transiter cet argent vers l'Ukraine. C'est la question que nous nous posons. Et cela concerne également l'avenir de la Facilité européenne pour la paix d’une manière générale. 

La présentation du programme "Make Europe Great Again" par le Premier ministre Viktor Orban au Parlement européen aura-t-elle lieu, oui ou non ? 

Le Premier ministre est prêt à se rendre au Parlement européen au moment qui lui conviendra. Nous n'avons pas encore reçu d'invitation du Parlement européen. Mais quand nous recevrons cette invitation, si nous la recevons, le Premier ministre sera prêt et disposé à s'y rendre. 

Mais ne pensez-vous pas qu'il est un peu inhabituel de ne pas recevoir cette invitation, que le gouvernement qui vient de prendre la présidence de l'Union européenne ne l'ait pas reçue de la part du Parlement européen ?  

 Je n’y vois aucune complexité politique. Ce que je sais, c'est que le Parlement européen tiendra sa première session plénière la semaine prochaine. Habituellement, au moment de la transition institutionnelle, le Parlement européen tient deux sessions plénières en juillet. Et dans ce cas, l'invitation porte généralement sur la deuxième session plénière de juillet. Cette fois, le Parlement européen n'en a qu'une seule ce mois-ci.

  

Mais la présidence hongroise était prévue depuis longtemps. 

Mais je pense que cette question devrait être posée au Parlement européen. Je pense qu'il s'agit uniquement d'une question de calendrier. Je ne crois pas que le Parlement européen ne soit pas intéressé par une coopération sincère entre les institutions pendant la présidence hongroise. 

Pensez-vous que ce semestre sera l'occasion pour la Hongrie de résoudre ces questions en suspens avec l'Union européenne concernant l'État de droit ?  

Je suis missionné par le gouvernement hongrois depuis 2018. Au cours des différentes procédures visant à coopérer avec les institutions et à régler les questions et inquiétudes politiques en suspens, le gouvernement hongrois a été prêt à agir sur une base constructive.  

Et le gouvernement hongrois a toujours été prêt à le faire, que ce soit pendant, avant ou après la présidence. Je ne pense pas que la présidence ait un impact particulier sur ce type de rapports au cours des procédures.  

Oui, mais politiquement, c'est embarrassant. N'êtes-vous pas d'accord ? Le fait d'avoir une question en suspens concernant l'État de droit qui est au cœur des traités de l'Union européenne. 

Je pense que la question n'est pas celle de l'embarras. La question est de savoir pourquoi nous sommes dans cette situation et s'il existe un moyen politique et technique d'en sortir. Je pense qu'il y a une solution. C'est ce à quoi le gouvernement hongrois a travaillé dans un esprit de coopération constructive avec les institutions et c'est ce que nous continuerons à faire.  

Considérez-vous l'article sept et la source de cet article, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, comme une sorte de violation de la souveraineté nationale des pays de l'UE et de la Hongrie, bien sûr ? 

Lorsque nous avons rejoint l'Union européenne, nous avons évalué la compatibilité des traités avec le système constitutionnel hongrois. Et cette évaluation a été de nouveau effectuée lorsque nous avons adopté la loi fondamentale de la Hongrie, qui est la constitution du pays. Maintenant, je crois qu'il n'y a pas de problème de constitutionnalité sur le fond, ou intrinsèquement, entre la loi fondamentale de la Hongrie et les traités en tant que tels. Bien sûr, les institutions adoptent des décisions basées sur ces traités. La question de savoir s'il existe un problème de constitutionnalité entre ces décisions et la loi fondamentale hongroise doit être examinée au cas par cas. 

 Ne craignez-vous pas une éventuelle suspension des droits de vote au Conseil ?  

 Dois-je avoir peur ? Je n'ai pas peur d'une telle décision. Je ne suis pas...  

Inquiet ?   

De temps en temps, il y a des initiatives ou des communications en ce sens. J'espère qu'en fin de compte, nous trouverons le moyen de coopérer avec les États membres et les institutions dans l'intérêt commun de l'Europe. 

En ce qui concerne l'élargissement, partagez-vous le point de vue de l'Union européenne, par exemple ?  

 Je pense que l'approche de l'Union européenne est la suivante : l'élargissement est un processus objectif, basé sur le mérite. J'y souscris pleinement.  

C’est aussi le cas pour la procédure accélérée qui concerne l'Ukraine ? 

Je pense que l'élargissement devrait être un processus objectif et basé sur le mérite pour tous.  

Vous pensez donc que les pays du sud-est de l'Europe et les Balkans occidentaux ont la priorité sur l'Ukraine.  

Personne n'a la priorité dans un processus objectif et basé sur le mérite. C'est le principe de base du processus fondé sur les objectifs et le mérite : il n'y a pas de priorités politiques objectives.  

Mais pensez-vous que l'Union européenne a la capacité d'accueillir l'Ukraine ? Ce n'est pas seulement basé sur le mérite. 

C'est une autre question. Je veux dire que si je regarde la taille, la population, la situation politique et militaire de l'Ukraine, il serait très difficile de dire que l'Ukraine est prête à rejoindre l'Union européenne aujourd’hui, ou que nous sommes en mesure de dire, de manière rationnelle, quand l'Ukraine sera prête à rejoindre l'Union européenne.  

Sur le plan des capacités de l'Union européenne, il est beaucoup plus facile d'ouvrir les portes aux pays des Balkans occidentaux. 

 Si je regarde leur niveau de préparation, si je regarde l'impact social et économique de la récession, celui-ci est considérablement plus faible que celui de l'Ukraine.  

Il en va de même pour la Serbie, malgré sa position de non-alignement sur les sanctions de l'UE à l'égard de la Russie, par exemple. 

C'est une question politique. Et si je parle de l'élargissement comme d'un processus objectif et fondé sur le mérite, cela signifie aussi que l'Union européenne se conforme au cadre de négociation que nous avons adopté avec les pays candidats. Et ce cadre de négociation précise clairement que les pays doivent être pleinement alignés sur la PESC au moment de leur adhésion. Ainsi, lorsque nous formulons des exigences politiques pour que l'alignement soit complet, nous le faisons en dehors du cadre des négociations. 

 La compétitivité est au cœur de votre programme pour les six mois à venir. Aux yeux de nombreux pays de l'Union européenne, en particulier des plus grands d'entre eux, la réindustrialisation de l'Europe est l'objectif principal. Il s'agit de mettre un terme aux délocalisations et d'imposer des droits de douane sur les produits manufacturés chinois, en particulier lorsqu'il s'agit du Green Deal. La Hongrie a une position différente sur cette question. 

Je ne vois pas où est la différence. Ce que je constate, c'est une augmentation des investissements chinois en Europe, ce qui va à l'encontre de la désindustrialisation. 

C'est l'industrialisation verte de l'Europe que nous faisons dans le cadre de la coopération économique avec la Chine. Je constate également que les chaînes d'approvisionnement des entreprises européennes et chinoises sont désormais si complexes et si imbriquées qu'en augmentant les investissements chinois en Europe, par exemple, dans des domaines où la Chine est clairement le leader mondial dans certaines industries, y compris les technologies vertes, les secteurs économiques européen et chinois en bénéficient tous deux. Cela contribue donc à la transition écologique. Et cela contribue à la réindustrialisation de l'Europe.  Je ne vois pas de différence stratégique dans les objectifs.  

Pensez-vous que la signature d'accords de libre-échange avec la Chine a été une erreur pour l'Union européenne ? Du moins pour certains pays de l'UE ?  

Je pense que, dans une large mesure, la prospérité mondiale dont nous jouissons aujourd'hui, y compris la prospérité européenne, est le fruit de l'engagement avec la Chine, y compris l'adhésion de la Chine à l'OMC et l'engagement dans des relations économiques et commerciales avec ce pays. Et si nous démantelons cette relation, la prospérité mondiale ou le bien-être de l'Europe et d'autres partenaires économiques en pâtiront.  

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