Mehdi Zaidaoui, journaliste et sociologue marocain basé en France, affirme que la communauté musulmane française est confrontée à un paradoxe difficile.
Dix ans se sont écoulés depuis les attentas du 13 novembre 2015, mais les blessures sont encore vives dans l'esprit des survivants et des proches des victimes.
Ces attentats ont fait 132 morts - dont deux personnes qui se sont suicidées par la suite en raison du traumatisme - et plus de 360 blessés, tandis que sept des assaillants ont été tués au cours de l'opération.
Le lendemain, l'organisation État islamique a revendiqué les attentats et le président français François Hollande les a qualifiés de "déclaration de guerre", planifiée par l'organisation en Syrie et menée en collusion avec des membres de l'EI sur le sol français.
La réponse de Paris a été rapide : l'état d'urgence a été déclaré, des restrictions temporaires aux frontières ont été imposées et le suspect belge Abdelhamid Abaaoud a été tué le 18 novembre 2015 lors d'un raid.
"Restriction de la communauté musulmane"
Mehdi Zaidaoui, journaliste et sociologue marocain basé en France, souligne que la communauté musulmane française est confrontée à un paradoxe difficile : d'une part, ils sont victimes du terrorisme - car certains d'entre eux sont morts dans des attentats - et d'autre part, ils sont considérés comme des "suspects permanents" par une partie de la population.
S'adressant à Euronews, Mehdi Zaidaoui rappelle que les attentats ont légitimé une série de politiques et de mesures adoptées par les gouvernements français successifs, notamment la loi anti-islamiste controversée approuvée par le président Emmanuel Macron et finalement ratifiée en 2021.
L'expert affirme que cette loi a été précédée par d'autres mesures considérées par certains comme une "restriction de la communauté musulmane".
Il cite par exemple la loi de 2004 qui a interdit le port de symboles religieux dans les écoles, ainsi que la procédure visant à empêcher les femmes portant un foulard de participer à des activités scolaires ou d'entrer dans des institutions publiques.
Selon Mehdi Zaidaoui, les attentats terroristes du 13 novembre 2015 "n'étaient donc pas la raison initiale des restrictions imposées aux musulmans, mais venaient plutôt renforcer des politiques préexistantes".
Comment le discours politique alimente-t-il l'hostilité anti-musulmane ?
L'extrême droite en France et en Europe apparaît comme l'un des principaux moteurs de l'escalade de l'hostilité à l'égard de la communauté musulmane, affirme le sociologue.
Selon lui, ce mouvement exploite les incidents terroristes ou les problèmes socio-économiques pour associer les musulmans au terrorisme ou les accuser de ne pas s'intégrer, en s'appuyant sur un discours médiatique qui se concentre sur ce qu'il appelle la "menace culturelle et religieuse" pour l'identité nationale, en capitalisant sur les "peurs sécuritaires et le populisme".
Il ajoute que les répercussions de l'islamophobie ne se limitent pas aux déclarations, la France ayant été le théâtre de crimes violents à l'encontre de musulmans.
Fin avril, dans le Gard, Aboubakar Cissé, un jeune malien de confession musulmane a été sauvagement assassiné à l'arme blanche dans une mosquée alors qu'il priait, et l'auteur a filmé son crime tout en proférant des insultes contre l'islam et les musulmans.
Au cours de l’instruction, le suspect, a reconnu avoir porté des coups de couteau, mais a toujours nié avoir agi par haine de l’islam.
Mis en examen début mai il a été et écroué, puis transféré en unité spécialisée psychiatrique après une expertise qui l'a déclaré comme psychotique.
De jeunes musulmans témoignent à Euronews
Lors de la préparation de ce reportage, nous avons remarqué que de nombreux musulmans étaient réticents à donner leur avis sur la question. Mais Euronews a réussi à obtenir quelques témoignages.
"J'observe parfois des comportements hostiles aux musulmans, un sentiment alimenté par l'extrême droite, qui dépeint les personnes de confession islamique comme une source de menace et de danger, et les femmes portant le foulard deviennent la cible la plus visible de ce ciblage", estime un jeune Tunisien qui vit en France depuis sept ans.
"La situation s'est encore compliquée après la guerre de Gaza de 2023, où nous avons assisté à des restrictions sur les prières et les pratiques religieuses", ajoute-t-il.
Un autre témoignage remarquable obtenu par Euronews provient d'un jeune musulman français qui nous a parlé sous couvert d'anonymat. Nous lui avons demandé son avis sur la question et il nous a donné la réponse suivante :
Un autre jeune musulman a expliqué à Euronews avoir "décidé de quitter Paris pour la Polynésie française" pour s'éloigner "de la polarisation politique et médiatique et des talk-shows de certaines chaînes affiliées à l'extrême droite, qui ne parlent que de ce que font certains Arabes et Musulmans et en rendent responsable toute une communauté".
"J'ai dû partir. J'en avais assez des regards et des comportements suspicieux à mon égard dans mes démarches quotidiennes", déplore-t-il, affirmant avoir "constaté une fissure dans le fragile équilibre de notre société".
L'islamophobie en chiffres
En septembre dernier, la Grande Mosquée de Paris et l'institut Ifop ont publié un rapport basé sur une enquête nationale menée auprès de 1 000 musulmans visant à mesurer les discriminations et les violences de manière plus globale que les seules plaintes individuelles.
Les résultats indiquent que 66% des musulmans ont subi des comportements racistes au cours des cinq dernières années, près de la moitié d'entre eux pensant que leur religion est principalement à l'origine de ces comportements.
Selon l'enquête, la discrimination à l'égard des musulmans ayant un fort accent ou une origine africaine subsaharienne est particulièrement préoccupante, atteignant un peu plus de 80%, et les affectant dans divers domaines de la vie quotidienne.
50% d'entre eux disent être discriminés en raison de leur religion dans le secteur de l'emploi, 46 % pour obtenir un logement, et 51% se sentent exposés à une surveillance accrue.
Selon l'enquête, 82% des musulmans vivent dans un état "d'anxiété collective" en raison de la propagation de la haine, et 81% estiment que ce phénomène s'est accru au cours de la dernière décennie.
Malgré ces statistiques et ces rapports révélant une montée de l'islamophobie, Euronews a recueilli certains témoignages moins négatifs.
"Je n'ai jamais ressenti de discrimination directe, mes collègues me traitent avec respect et me posent parfois des questions sur le ramadan et l'Aïd al-Adha", a déclaré un jeune musulman. "Il est vrai que je remarque des commentaires abusifs sur les réseaux sociaux, mais sur le terrain, les Français sont très amicaux envers moi".