Le trio rap nord-irlandais Kneecap devait se produire au célèbre festival Sziget lundi, mais le gouvernement hongrois a interdit l'entrée du pays au groupe, souvent au centre du scandale à cause de ses positions pro-palestiniennes. Les organisateurs du Sziget ont manifesté leur désaccord.
C'est par ces mots que le (pas moins controversé, diraient certains)) Premier ministre hongrois Viktor Orbán a commenté, fin juillet à Tusványos, l'interdiction de séjour que le trio rap irlandais Kneecap s'est vu opposer par le gouvernement hongrois.
La sanction officielle est devenue la dernière étape d'une longue querelle qui a duré des semaines, plusieurs personnalités hongroises s'étant prononcées contre le concert prévu par le groupe sur l'île d'Óbuda, au cœur de Budapest avant que le couperet ne tombe finalement.
L'Ensemble national de danse hongrois a été le premier à annoncer qu'il ne se produirait plus au Sziget si la performance de Kneecap était maintenue. Plus tard, le Mazsihisz (la Fédération des communautés juives de Hongrie), le maire d'Óbuda, plusieurs fonctionnaires et artistes hongrois (dont Gábor Presser, Pál Mácsai, György Spiró et János Gálvölgyi) ont également exprimé leur désapprobation quant à l'apparition du trio composé par Mo Chara, Móglaí Bap et DJ Próvaí.
Le raisonnement était le même dans tous les cas : un artiste antisémite et provocateur ne devrait pas participer au festival de musique le plus important de Hongrie, ni d'ailleurs à se produire sur une scène hongroise, point barre.
Pour comprendre cette tempête inhabituelle de musique populaire, deux questions se posent. La première est de savoir si Kneecap est réellement antisémite. La seconde est de savoir jusqu'où un artiste peut aller dans sa revendication de liberté artistique, et où passe la fameuse "ligne rouge" dans la culture pop derrière laquelle le boycott devient inévitable.
Kneecap est-il antisémite ?
La réponse de Kneecap à la première question est non, ils ne sont pas antisémites parce qu'ils ne s'expriment pas contre le peuple juif, mais contre la guerre du gouvernement d'Israël à Gaza et en défense du peuple palestinien.
Cependant, ils le font d'une manière assez extrême : les rappeurs irlandais conspuent régulièrement l'état juif et l'accusent de génocide lors de leurs concerts.
Voici, par exemple, leur concert au festival Best Kept Secret aux Pays-Bas en juin dernier, où la projection d'avant-spectacle évoque déjà le génocide des Palestiniens et de sa dissimulation dans des médias occidentaux, adoptant sans esprit critique les chiffres de l'organisation terroriste Hamas sur le nombre de victimes de ce qui est indubitablement une guerre sanglante et brutale :
Les spectateurs du festival Coachella cette année ont également eu droit à une projection similaire, mais pour eux les rappeurs de Belfast ont même ajouté au texte que le gouvernement américain finance l'état criminel de guerre. Le concert a provoqué un tollé et a attiré l'attention sur le groupe, même s'il ne s'agit pas de son action la plus scandaleuse.
Le chanteur Mo Chara a fait objet de poursuite en Grande-Bretagne pour apologie du terrorisme : il a brandi le drapeau du Hezbollah et crié "up Hamas, up Hezbollah" lors d'un concert de Kneecap en novembre dernier. Le soutien manifeste à des organisations terroristes est également un délit au Royaume-Uni, mais Mo Chara a été libéré sans condition en juin, au moins jusqu'au 20 août, date à laquelle il doit à nouveau comparaître devant le tribunal.
Cette affaire est également devenue un scandale, auquel Kneecap a répondu par une publication. Ils y affirment qu'ils ne soutiennent pas, et n'ont jamais soutenu, le Hezbollah et le Hamas, et qu'ils condamnent toutes les attaques qui font des victimes civiles. Selon les rappeurs, les images du concert de novembre dernier sont délibérément sorties de leur contexte afin d'être utilisées comme une arme contre Kneecap, alors que le groupe n'incite personne à la violence. En fait, la déclaration va jusqu'à dire que le message de Kneecap est un message d'amour, d'acceptation et d'espoir.
Que l'on croie ceux qui accusent Kneecap d'antisémitisme ou le groupe qui se veut porteur d'amour, il semble certain que nos trois compères ne sont aucunement offensés par ses scandales à répétition. Il n'y a pas de mauvaise publicité, comme qui dirait...
Il est également évident que ce rôle politique est tout à fait naturel pour le groupe de Belfast, qui s'est fait l'avocat de l'indépendance de l'Irlande dès le début et a même emprunté son nom à l'IRA. Kneecap, littéralement "la rotule", en effet, signifie un tir dans les genoux, ce qui était la procédure habituelle de l'Armée républicaine irlandaise qui luttait pour la sécession du Royaume-Uni.
Qu'est-ce qui relève de la licence artistique ?
Malgré le procès et les scandales, Kneecap n'a pas reculé. Ils attaquent Israël avec toujours autant de ferveur, et c'est maintenant aux festivals et aux salles de concert de se décider s'ils les invitent ou non à se produire. C'est là qu'intervient la deuxième question : qu'est-ce qui relève encore de la liberté artistique et où cette justification n'est plus applicable ?
Selon les faiseurs d'opinion hongrois cités au début de cet article et le gouvernement hongrois, Kneecap dépasse les bornes, car l'antisémitisme et l'incitation ne peuvent être protégés par la licence artistique ou la liberté d'expression. Plusieurs organisateurs de concerts ont adopté un point de vue similaire, annulant les concerts du groupe à Hambourg, Berlin, Cologne et Plymouth, ainsi que plusieurs festivals, suite au scandale de Coachella.
Mais beaucoup d'autres festivals ou salles de concert ont estimé que la position intraitable de Kneecap restait dans les limites de la liberté artistique. Rien ne le prouve mieux que le fait que le groupe a encore plus de quarante concerts (dont beaucoup à guichets fermés) à son calendrier pour cette année.
Ils se sont récemment produits en Pologne et la tournée se poursuit en Suède, en Norvège et en Finlande. Ils joueront également au Royaume-Uni, en France (en août, au Cabaret Vert et au Rock en Seine), en Belgique, aux Pays-Bas et aux États-Unis dans le courant de l'année.
À cet égard, Sziget est resté dans le courant dominant en essayant de défendre la performance de Kneecap aussi longtemps qu'il le pouvait. La position des organisateurs sur la question était de condamner les discours de haine, mais de garantir à tous les artistes le droit à l'expression artistique.
Une déclaration du Sziget mentionne également qu'ils ont été en contact étroit avec les membres de Kneecap au fur et à mesure des manifestations, qui leur ont assuré que leur spectacle ne violerait pas la loi hongroise ou les principes du Sziget. Toutefois, la décision du gouvernement hongrois signifie que l'on ne saura jamais si c'est le cas.
De plus en plus de politique dans les événements musicaux
Le directeur du festival, Tamás Kádár, a qualifié l'interdiction de Kneecap de décision sans précédent, inutile et regrettable, qui nuira à Sziget et à l'image internationale de la Hongrie.
M. Kádár a déclaré à Euronews lors d'un point presse que de nombreux acteurs de la scène pop étaient profondément choqués par ce qui s'était passé, et qu'il pensait que le problème allait bien au-delà de Kneecap : "Je pense qu'il ne s'agit pas du groupe, mais de l'attitude du monde vis-à-vis de la culture en général, ou de l'attitude de la politique vis-à-vis de la culture. Ou plutôt, le fait que récemment, la politique et la guerre sont entrées dans la vie culturelle du jour. Et il semble que tous les hommes politiques ne sachent pas quoi faire de cela".
Il est clair que la politique s'est également infiltrée dans les festivals hongrois cet été, le public scandant la rime "sale Fidesz" devant de nombreuses scènes. Mais aussi, le premier jour du festival, un drapeau avec des mots "Palestine libre!" a été vu dans la foule lors d'un concert sur la grande scène du groupe coréen Kiss of Life.