Un ancien député européen britannique a été condamné à dix ans et demi de prison pour avoir accepté des pots-de-vin en échange d'une attitude favorable à la Russie au sein du Parlement européen alors que l'examen des liens entre les législateurs européens et le Kremlin s'intensifie.
Un ancien législateur européen a été condamné à 10 ans et demi de prison par un tribunal à Londres dans le cadre d'une affaire de corruption qui a soulevé des questions sur la façon dont les réseaux d'influence pro-russes ont ciblé les eurodéputés.
Nathan Gill, ancien évêque mormon et père de sept enfants, qui a été député européen pour l'UKIP et le Parti du Brexit entre 2014 et 2020, a plaidé coupable d'avoir reçu des pots-de-vin en échange d'interventions parlementaires, favorables à la Russie pendant la durée de son mandat.
La police antiterroriste britannique a déclaré qu'il avait accepté des paiements pour "colporter des récits qui auraient eu pour effet d'être bénéfiques aux intérêts russes", notamment par le biais d'événements, de discours, d'apparitions dans les médias et de contacts avec des hauts fonctionnaires de l'UE.
Lors de la séance du tribunal, plus tôt, cette semaine, il a été déclaré que les pots-de-vin avaient été versés par Oleh Volochyne, un ancien député ukrainien pro-russe, mais que l'opération plus large était dirigée par le bras droit du président russe Vladimir Poutine en Ukraine, l'oligarque Viktor Medvedtchouk, qui était la principale "source d'argent" dans le cadre de ce projet.
La condamnation de Nathan Gill intervient une semaine après qu'au moins six députés européens et cinq membres de parlements nationaux européens ont assisté à un forum dans la ville russe de Sotchi, sur la mer Noire, auquel Oleh Volochyne était également présent.
En 2018 et 2019, Gill a prononcé des discours rédigés par Volochyne dans l'hémicycle strasbourgeois du Parlement européen, défendant deux entreprises médiatiques de Medvedtchouk qui ont ensuite été interdites par le gouvernement ukrainien.
Il a également organisé un événement au Parlement européen au cours duquel Medvedtchouk a présenté son "plan de paix pour le Donbas", la région ukrainienne qui comprend Donetsk et Louhansk, partiellement occupés par la Russie suite à son invasion de 2014.
Gill et Volochyne ont également discuté de "l'obtention du soutien de plusieurs députés européens".
Trois autres eurodéputés qui ont servi en même temps que Nathan Gill, parlant à Euronews sous couvert d'anonymat, ont dit qu'ils n'avaient que peu ou pas de souvenirs de lui. L'un d'entre eux, qui a siégé dans une commission parlementaire avec Gill, a noté sa taille imposante (193 cm), mais a déclaré qu'à part cela, ils ne se souvenaient guère de lui.
"S'il a participé aux délibérations ou aux réunions des commissions, il n'était pas une étoile brillante, mais un profil bas, assistant rarement aux réunions ou aux discussions", a déclaré l'ancien eurodéputé.
Ses crimes ont eu lieu entre le référendum sur le Brexit de 2016 et le retrait définitif des eurodéputés britanniques dans le cadre de l'accord sur le Brexit en janvier 2020.
L'architecte de ce système de manipulation, Medvedtchouk est également connu pour avoir continué à exploiter un faux média appelé Voice of Europe - maintenant sanctionné et faisant l'objet d'une enquête distincte par les autorités en Belgique - soupçonné d'avoir payé des eurodéputés pour colporter de la propagande bien au-delà de l'époque du crime de Gill, aussi récemment qu'en 2023.
Un événement à Sotchi avec Volochyne et des députés européens
Anton Shekhovtsov, professeur invité à l'Université centrale européenne d'Autriche qui étudie les liens entre les politiciens européens et la Russie, a déclaré à Euronews que les crimes de Gill pourraient être la partie émergée de l'iceberg d'un réseau plus large d'opérations d'influence.
"Je suppose que Gill n'est pas le seul homme politique à avoir accepté des pots-de-vin, mais il est celui qui s'est fait prendre. Il n'a pas été très malin puisqu'il a gardé toutes ces communications sur son WhatsApp pendant des années", relève Shekhovtsov.
Les déclarations de Nathan Gill et ses apparitions dans les médias ont précédé l'invasion totale de l'Ukraine par la Russie en 2022, ce qui lui a sans doute permis de passer plus facilement inaperçu.
Malgré cela, trois ans après le début des combats, une série d'eurodéputés et de parlementaires continuent de faire les yeux doux à Moscou (article en anglais), en dépit des sanctions radicales de l'UE et d'une guerre qui fait rage, certains se rendant à la deuxième édition de la conférence "BRICS-Europe" à Sotchi les 14 et 15 novembre.
En Allemagne, l'annonce de la participation de politiciens du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) à la conférence a suscité la colère de l'ensemble du spectre politique et a enflammé les divisions internes du parti quant à sa position sur la Russie.
En réponse à la controverse de Sotchi, la co-dirigeante du parti, Alice Weidel, a déclaré aux journalistes qu'elle ne comprenait pas ce que son parti était "censé faire là-bas [à Sotchi]".
Ses déclarations contredisent celles du coprésident de son parti, Tino Chrupalla, qui a affirmé que la Russie ne représentait pas une menace pour l'Allemagne.
Il a défendu les hommes politiques de l'AfD qui se rendent à Sotchi : "Les collègues qui s'y rendent se sont inscrits pour leur voyage. Ils ont été approuvés".
Une délégation de politiciens bulgares du parti d'extrême droite pro-russe Vazrazhdane ou Renaissance était également présente à Sotchi, et l'eurodéputée Rada Laykova a partagé des photos de l'événement.
Sur l'une des images qu'elle a publiées sur Facebook, le président du parti bulgare, Kostadin Kostadinov, s'entretient avec Voloshyne.
Le sommet de Sotchi a suscité des inquiétudes à Bruxelles et dans les capitales européennes quant à la nature des discussions qui se sont tenues à huis clos, ainsi qu'aux positions politiques des députés européens qui ont participé à l'événement.
Le 18 novembre, trois jours après le sommet, l'eurodéputé luxembourgeois Fernand Kartheiser a exhorté l'UE à "engager sans plus tarder un dialogue avec la Russie" dans une lettre adressée à la cheffe de la politique étrangère de l'UE, Kaja Kallas, qui a été obtenue par Euronews.
Ce jour-là, l'agence de presse Tass, contrôlée par l’État russe, a partagé la lettre, qui colporte les arguments du Kremlin sous la forme d'un plan en huit points décrivant "les moyens possibles pour aider à atteindre une résolution durable du conflit en Ukraine et autour de l'Ukraine".
Kartheiser - qui a été exclu (article en anglais) du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (CRE) en juin en raison de ses liens avec la Russie - a exhorté Kallas à inclure ses propositions dans l'ordre du jour de la prochaine réunion de la commission des affaires étrangères, dans le but de faire passer "une confrontation stérile et dangereuse à une paix stable et juste".
Les opérations médiatiques comme fronts de propagande
Voloshyne a spécifiquement payé Gill pour défendre Channel 112 Ukraine et NewsOne, les chaînes contrôlées par Medvedtchouk et interdites par le gouvernement ukrainien en 2021.
Dans les discours que Gill a été soudoyé pour prononcer dans l'hémicycle de Strasbourg, il a décrit 112 Ukraine et News One comme subissant une "pression indue" de la part du gouvernement ukrainien, et a accuséle président ukrainien Volodymyr Zelensky de "dépouiller les chaînes de télévision de leurs licences" et de "menacer ceux qu'il n'aime pas".
Les déclarations d'intérêts de Nathan Gill au Parlement européen montrent également qu'il a siégé au "comité éditorial international" de Channel 112 Ukraine avec son collègue David Coburn, député européen de l'UKIP et du parti du Brexit.
Anton Shekhovtsov a déclaré à Euronews que les chaînes étaient "carrément pro-russes" et qu'elles avaient été interdites lorsqu'elles étaient devenues des organes de propagande "intolérables".
"Viktor Medvedtchouk a décidé d'essayer de protéger son projet médiatique avec l'aide de politiciens européens, et par le biais de personnes qui travaillaient avec lui (...) il a tendu la main aux politiciens européens ", explique-t-il.
Shekhovtsov a ajouté que le "drame" et le "théâtre" des législateurs européens colportant les récits du Kremlin sur fond de drapeaux de l'UE "fonctionnaient pour certains publics" et seraient par la suite diffusés par les médias pro-russes.
Gill et d'autres eurodéputés ont été photographiés lors d'une interview avec Channel 112 Ukraine, présentée par Nadia Borodi, épouse d'Oleh Voloshyne, également connue sous le nom de Nadia Sass, au Parlement européen à Strasbourg en 2019. Les archives du Parlement européen montrent que Sass a également organisé le voyage de Gill en Ukraine.
Sass apparaît également dans un selfie désormais célèbre pris à l'extérieur du Parlement avec Nigel Farage, aujourd'hui leader du parti Reform UK, qui a ensuite siégé avec Gill au Parlement européen. Gill est ensuite devenu le chef de file de Reform UK au Pays de Galles.
Le tribunal a également entendu que Voloshyne avait demandé à Gill d'attirer d'autres députés européens pour qu'ils fassent des apparitions dans les médias, offrant au député "réformiste" "4 000 en plus pour cela".
Une autre chaîne : Voice of Europe
Viktor Medvedtchouk, qui a été détenu par l'Ukraine en avril 2022 après le lancement de l'invasion russe de grande envergure, puis libéré et livré à la Russie dans le cadre d'un échange de prisonniers, n'a pas mis fin à ses activités médiatiques avec l'interdiction de ses chaînes en Ukraine.
L'oligarque a poursuivi ses activités par l'intermédiaire d'une société enregistrée en République tchèque, connue sous le nom de Voice of Europe (La Voix de l'Europe), afin d'échapper aux sanctions radicales de l'UE à l'encontre des médias russes. En 2024, Medvedtchouk a été sanctionné pour son financement de Voice of Europe, d'abord par la République tchèque, puis par l'UE.
Voice of Europe fait toujours l'objet d'une enquête des autorités belges et est soupçonné d'avoir payé d'autres députés européens pour diffuser de la propagande pro-russe.
Au moins une douzaine d'eurodéputés ont été interviewés par Voice of Europe au cours de la période précédant les élections européennes de l'année dernière, mais rien ne prouve qu'ils aient été payés pour leurs apparitions.
Plusieurs anciens députés européens impliqués dans le scandale de Voice of Europe, dont Maximilian Krah de l'AfD, ont été liés à l'enquête belge en cours. Krah a nié avoir été payé pour ses apparitions sur la chaîne de Mevdedtchouk, malgré les descentes de police effectuées l'année dernière dans son bureau et au domicile de l'un de ses collaborateurs.
Un autre eurodéputé, le Danois Anders Vistisen, a déclaré à Euronews dans une interview l'année dernière qu'il n' avait pas été payé pour parler à Voice of Europe.
Le Parlement européen a confirmé l'année dernière qu'il "examinait" les allégations selon lesquelles ses membres de l'époque avaient été payés pour parler à Voice of Europe.
Euronews a demandé au procureur fédéral belge si l'enquête sur Voice of Europe avait progressé, mais n'a pas reçu de commentaires à temps pour la publication de cet article.
Dans une déclaration partagée avec Euronews, le Parlement européen a déclaré qu'il "prenait note de la décision et que les services compétents allaient l'analyser de manière plus approfondie".