Les cinq grands tabous que l'UE a brisé en un an en réponse à la guerre en Ukraine

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky Tous droits réservés AP/Ukrainian Presidential Press Office
Par Jorge Liboreiro
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L’invasion lancée par la Russie a fait voler en éclats certains interdits dans l’UE pour pouvoir aider l’Ukraine et répondre à l’urgence de la situation.

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L'Union européenne a vu le jour pour empêcher le retour de la guerre sur le continent. Le projet a permis d’apporter des décennies de paix relative.

Mais l'invasion illégale de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, a provoqué dans les institutions de l’UE une remise en question de croyances bien ancrées et a suscité des discussions autrefois considérées comme interdites.

Voici les cinq grands tabous que l'Union a brisé en un an de guerre.

Le tabou des armes

Dans les années qui ont suivi la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'URSS, les dépenses militaires ont chuté dans toute l'Europe. Les priorités politiques se sont déplacées et les opinions publiques ont fini par oublier la menace d’une guerre nucléaire.

Au début des années 2020, la plupart des pays européens étaient en dessous de l'objectif de l'OTAN, qui oblige les Etats membres à consacrer au moins 2 % de leur PIB à la défense. Les propositions d'une armée européenne commune restent d'ailleurs à l’état de projet et d’analyses.

Mais le choc de la guerre ouvre une fenêtre d'opportunité, fermée pendant des années. Trois jours après le lancement de l'invasion par le Kremlin, l'Union a décidé de financer l'achat et la livraison d'équipements militaires à un pays attaqué.

Pour la toute première fois, des fonds européens sont mobilisés pour payer des armes.

"C'est un moment décisif", a alors déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Pour cela, l’UE a recouru à la Facilité européenne pour la paix, destinée à rembourser les coûts de l'aide militaire et du soutien opérationnel que chaque capitale s'engage à fournir à l'Ukraine.

En douze mois de guerre, les États membres ont injecté 3,6 milliards d'euros dans cet outil. Ils ont également créé un précédent en mettant en place une mission d'assistance militaire pour former les soldats ukrainiens sur le sol européen. Au total, l'aide militaire fournie par les États membres est estimée à environ 12 milliards d'euros.

Ce soutien européen est toutefois loin des 44 milliards de dollars que les États-Unis ont engagés jusqu'à présent en faveur de Kyiv.

Le tabou de la dépendance

Le jour où Vladimir Poutine a lancé l'invasion, les exportations des ressources fossiles représentaient 40 % des recettes du budget fédéral russe.

Les statistiques ont forcé l’UE à mettre au jour ce qui avait été longtemps balayé sous le tapis : une dépendance forte et coûteuse au pétrole, au gaz et au charbon russe.

En 2021, l'UE a dépensé 71 milliards d'euros pour acheter du pétrole brut et des produits raffinés. Pour le gaz, la dépendance à l'égard de la Russie était estimée à 40 % de l'ensemble des exportations, quelques pays membres de l'Est dépassaient le taux de 90 %.

L'addiction aux hydrocarbures russes était si profonde qu'en décembre 2021, alors que la Russie continuait d'accumuler des troupes le long de la frontière ukrainienne aux yeux de tous, le chancelier allemand, Olaf Scholz, défendait encore le controversé gazoduc Nord Stream 2 comme un projet privé et commercial.

Ce n'est que lorsque les bombes ont commencé à tomber sur Kyiv que le statu quo devenait intenable. La nécessité de se libérer de cette dépendance est devenue la priorité politique numéro un.

L'UE est alors entrée dans une course contre la montre pour diversifier son mix énergétique. Le charbon russe a été rapidement interdit, le pétrole russe a été progressivement éliminé et le gaz russe a été remplacé par des gazoducs norvégiens ou des méthaniers en provenance des États-Unis, du Qatar, du Nigeria et de l'Algérie.

Parallèlement, la Commission européenne a élaboré des plans ambitieux pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables et pour promouvoir les économies d'énergie.

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À ce jour, l'UE importe de Russie plus de 12 % du gaz dont elle a besoin.

Le tabou de la confiscation

Depuis le 24 février, l'UE et ses alliés ont infligé à la Russie une liste toujours plus longue de sanctions pour paralyser la capacité du Kremlin à financer sa machine de guerre.

De nombreuses sanctions sont de nature radicale et inédite, comme le plafonnement par le G7 du prix du pétrole brut russe, dont on estime qu'il coûte au Kremlin plus de 160 millions d'euros par jour.

L'Occident a aussi imposé une interdiction totale de toute transaction avec la Banque centrale russe, avec pour conséquence de geler la moitié des 643 milliards de dollars de réserves de change.

L'UE est maintenant prête à s'aventurer plus profondément en territoire inconnu avec un plan d’investissement de ces réserves russes gelées afin de financer la reconstruction de l'Ukraine.

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L'idée est sans précédent mais elle est décrite comme "juridiquement douteuse" et "profondément problématique" par les experts, car les réserves monétaires sont des biens d'État qui bénéficient d'une protection spéciale en vertu du droit international que tous les pays sont censés respecter.

Mais l’UE insiste sur le fait qu'il existe encore un moyen d'ouvrir une voie légale, même si elle est étroite, et de transformer ces avoirs confisqués en un système fiable de génération d'argent.

"La Russie doit payer pour les destructions causées et pour le sang versé", a souligné Ursula von der Leyen.

Dans le même temps, l’UE travaille sur des plans pour confisquer les biens privés saisis aux oligarques russes. La vente des yachts, des manoirs et des tableaux permettrait de lever des fonds supplémentaires pour l'Ukraine.

Le tabou de l'asile

Si la page de la crise migratoire de 2015 est tournée, ses secousses continuent de hanter les décideurs politiques et les diplomates à Bruxelles. Malgré plusieurs tentatives d'unifier la politique de migration et d'asile entre les 27, l'objectif reste trop complexe pour trouver un terrain d'entente.

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Mais lorsque des dizaines de milliers d'Ukrainiens ont commencé à fuir les assauts de la Russie, l'UE a redonné vie au texte sur la protection temporaire. Cette réglementation n'avait jamais été utilisée auparavant.

En vertu de cette directive, les États membres sont autorisés à accorder une protection immédiate et extraordinaire à un groupe sélectionné de personnes déplacées, en l'occurrence les réfugiés ukrainiens.

La loi contourne les systèmes d'asile traditionnellement surchargés et offre à la place une voie simplifiée et accélérée pour accéder aux permis de séjour, à l'éducation, aux soins de santé, à la protection sociale et au marché du travail - les conditions nécessaires pour permettre aux Ukrainiens de commencer une nouvelle vie.

L'entrée en vigueur, le 3 mars, de la directive sur la protection temporaire a été qualifiée d'"historique", mais certains militants et organisations l'ont également critiquée parce qu'elle mettait en évidence les préjugés de la politique migratoire de l'UE.

À ce jour, quatre millions de réfugiés ukrainiens ont été réinstallés dans l'Union européenne.

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Le tabou de l'élargissement

Après l'adhésion de la Croatie en 2013, la dynamique de l’élargissement est tombée au point mort. Ursula von der Leyen s'était engagée à son arrivée à la Commission à remettre cette politique sur le devant de la scène, mais la pandémie de covid-19 a bouleversé son agenda politique.

La guerre a cependant renversé la situation et a fourni à l’UE l'argument politique qui lui manquait pour justifier l'élargissement : l'unité face à l'agression.

Le président ukrainien, Volodymr Zelensky, a rapidement saisi l'occasion et a signé la demande d'adhésion de son pays à l'Union européenne quatre jours après l'invasion.

La candidature de Kyiv est passée du stade d'inimaginable à celui de faisable en l'espace de quatre mois, au cours desquels les pays membres de l'UE ont progressivement changé d'avis.

L'élan a culminé le 23 juin, lorsque le Conseil européen a accordé à l'unanimité à l'Ukraine - et aussi à la Moldavie - le statut de pays candidat, préambule officiel aux négociations d'adhésion.

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Les tabous encore à briser

Malgré les décisions prises au cours des douze derniers mois, l'UE doit encore briser certains tabous, tels que les sanctions contre le secteur nucléaire russe. Il faudra pour cela surmonter les inquiétudes de certains pays d'Europe de l'Est en matière de sécurité.

Il n'est pas question non plus d'exclure Gazprombank, la banque russe qui gère les paiements énergétiques, du système SWIFT.

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