La loi européenne sur la déforestation suscite le scepticisme au Brésil

Une zone de déforestation récente identifiée par des agents de l'Institut Chico Mendes à Seringal Humaita, dans l'État d'Acre, au Brésil, le 8 décembre 2022.
Une zone de déforestation récente identifiée par des agents de l'Institut Chico Mendes à Seringal Humaita, dans l'État d'Acre, au Brésil, le 8 décembre 2022. Tous droits réservés AP Photo/Eraldo Peres
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Par Patricia Figueiredo
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Cet article a été initialement publié en anglais

Si la loi européenne visant à interdire les importations de produits qui favorisent la déforestation a été applaudie sur le vieux continent, l'accueil est tout autre de l'autre côté de l'Atlantique où l'on craint des effets pervers sur les petits agriculteurs et certaines zones forestières.

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Contraindre les producteurs de bétail, de cacao, de café, d'huile de palme, de soja, de caoutchouc et de bois à prouver que leurs chaînes d'approvisionnement ne provoquent pas de déforestation, tel est l'objectif de la loi européenne sur la déforestation adoptée le 19 avril 2023. Selon une enquête réalisée par Globescan en 2022, 78 % des Européens pensent que les gouvernements devraient interdire les produits qui favorisent la déforestation.

Toutefois, la nouvelle loi qui s'appuie sur un système de traçabilité électronique, suscite outre-Atlantique un certain scepticisme. Les petits producteurs, qui disposent de moins de ressources que les grands exploitants craignent en effet de rencontrer des difficultés pour authentifier leur respect des normes environnementales, fautes de ressources technologiques suffisantes. Si bien qu'il pourrait s'avérer plus simple pour eux de cesser d'exporter leur production vers l'Europe.

Coordonnées GPS et photos satellites

"La législation est très utile pour empêcher les pays européens de consommer des produits associés à la déforestation, mais elle ne permet pas nécessairement de réduire la déforestation elle-même. Il s'agit plus de se débarrasser du problème que de le résoudre", explique à Euronews Olivia Zerbini Benin, chercheuse à l'organisation brésilienne à but non lucratif IPAM.

Pour exporter vers l'Europe, les agriculteurs brésiliens devront télécharger des données de traçabilité, y compris des coordonnées GPS, qui seront comparées à des photos satellites d'exploitations agricoles et de forêts.

Les inspections seront menées en fonction du niveau de risque attribué à chaque pays : pour les pays considérés à haut risque, jusqu'à 9 % des exportations seront contrôlées. Bien que le règlement ait été approuvé en juin, les entreprises ont jusqu'à décembre 2024 pour s'adapter aux nouvelles règles, et de nombreux détails sur les modalités d'application restent à déterminer.

L'Union européenne est le deuxième partenaire commercial du Brésil et le pays latino-américain est le plus grand exportateur de produits agricoles vers l'UE. Il n'est donc pas surprenant que son ministre de l'agriculture, Carlos Favaro, ait vivement critiqué la nouvelle loi européenne sur la déforestation dès son adoption, la qualifiant d'"affront" au commerce international.

Mais, selon les agriculteurs et les experts, l'impact de cette règle n'est pas seulement politique. Ils estiment qu'il existe un risque d'impact social si la loi impose des barrières auxquelles seuls les grands exploitants agricoles peuvent s'adapter.

"Comment exiger ce niveau de traçabilité si l'on ne prévoit pas les conditions de régularisation de la production ? Les agriculteurs ont besoin d'une assistance technique pour identifier les goulets d'étranglement et pour régulariser leur chaîne d'approvisionnement. Ils ont besoin d'un type d'assistance qui n'existe pas aujourd'hui, et les petites exploitations seront certainement les plus touchées", plaide Caio Penido, producteur et président de l'Instituto Mato-grossense da Carne (Imac), qui représente les éleveurs de bovins du Mato Grosso, le plus grand État producteur de viande bovine du pays.

Même parmi les écologistes brésiliens, la nouvelle loi sur la déforestation fait l'objet d'un examen minutieux. Olívia Benin, qui fait partie d'une organisation scientifique à but non lucratif qui travaille avec les politiques publiques pour protéger les écosystèmes brésiliens, pense que les nouvelles directives sont un pas dans la bonne direction, mais qu'elles auraient dû être élaborées collectivement avec les pays les plus touchés.

Spécialiste du commerce international et du développement durable en Amazonie, et plus particulièrement des relations entre le Brésil et l'Union européenne, elle estime que même si la nouvelle législation part d'une bonne intention, sa capacité à réduire la perte d'arbres au Brésil est limitée.

"C'est une bonne chose de voir des pays commencer à s'interroger sur ce qu'ils consomment et sur sa provenance, mais les effets au Brésil sont limités car une grande partie de la déforestation a lieu dans des zones qui ne sont pas couvertes par la nouvelle loi", explique la chercheuse.

Fuite de la déforestation

Les écologistes brésiliens critiquent le fait que la législation ne couvre que les zones du pays déjà protégées. Cela pourrait entraîner ce que l'on appelle une fuite de la déforestation, qui se produit lorsque des écosystèmes moins protégés sont ciblés par des déforesteurs.

Andre Penner/Copyright 2020 The AP. All rights reserved.
Des bovins paissent sur des terres récemment brûlées et déboisées par des éleveurs près de Novo Progresso, dans l'État de Para, au Brésil, en août 2020.Andre Penner/Copyright 2020 The AP. All rights reserved.

Environ 84 % de la forêt amazonienne est protégée par la nouvelle législation européenne, selon une note technique publiée par MapBiomas, une initiative de surveillance de l'utilisation des sols au Brésil développée par un réseau d'universités, d'ONG et d'entreprises technologiques. Mais dans d'autres écosystèmes, le pourcentage de protection est beaucoup plus faible.

La définition de la FAO utilisée par les règlements de l'UE couvre une grande partie de seulement trois des sept biomes cartographiés en Amérique du Sud. Outre un pourcentage élevé de l'Amazonie, elle protège également une grande partie du Chaco (75 %), un écosystème présent en Argentine et au Paraguay, et la forêt atlantique (71 %), qui existe au Brésil, mais couvre une partie beaucoup plus petite du pays.

Le rapport MapBiomas signale que dans d'autres écosystèmes couvrant de vastes régions du Brésil, tels que la Caatinga, la Pampa, le Pantanal et le Cerrado, seuls 10 à 26 % de la végétation restante sont couverts, et que "tous ces écosystèmes sont désormais soumis à une pression intense du fait de l'expansion de l'agriculture à grande échelle".

Réactions diverses

Les représentants du gouvernement brésilien ont fait pression pour que la législation soit modifiée, mais même si la plupart des secteurs ont critiqué la loi, la réaction est plus forte dans certains secteurs que dans d'autres. Les éleveurs de bétail, par exemple, ont protesté beaucoup plus violemment que les producteurs de café.

Pour Sueme Mori, directeur des relations internationales à la Confédération brésilienne de l'agriculture et de l'élevage (CNA), il reste à espérer que les certifications requises seront basées sur des outils de contrôle déjà en place au Brésil, tels que le registre électronique de l'utilisation des terres.

"Chaque fois qu'une charge supplémentaire est imposée aux chaînes d'approvisionnement, elle pèse davantage sur les petits et moyens producteurs. Ce sont eux qui souffriront le plus et qui pourraient être exclus du marché international", a déclaré M. Mori.

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Le directeur du plus puissant représentant des producteurs brésiliens souligne que les secteurs qui devraient être les plus touchés sont ceux du soja, du bétail et du café.

Leo Correa/Copyright 2019 The AP. All rights reserved.
Une section de la forêt amazonienne à côté de champs de soja à Belterra, dans l'État de Para, au Brésil, en novembre 2019.Leo Correa/Copyright 2019 The AP. All rights reserved.

Malgré cela, les représentants de l'industrie du café sont convaincus qu'il leur suffit de travailler sur des solutions techniques pour prouver que leur production est d'origine durable.

"Les exploitations de café respectent déjà ce critère légal en termes de déforestation zéro. Maintenant, nous travaillons à la création d'une plateforme pour fournir un soutien technique et des outils de traçabilité à tous nos associés", a déclaré à Euronews Silas Brasileiro, président du CNCafé, le Conseil national du café, qui représente les producteurs de café.

Cependant, même s'ils ne pensent pas que le respect des règles sera un problème, certains producteurs affirment que la production de preuves de cette conformité entraînera un coût nouveau et inattendu.

"Il est certain que les petits producteurs risquent d'être affectés parce qu'ils n'ont pas les moyens d'investir dans un système de traçabilité", a déclaré Henrique Sloper, producteur de café et propriétaire de Fazenda Camocim, qui exporte du marc de café dans plus de 27 pays.

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"La principale difficulté sera de pouvoir certifier et mesurer les critères exigés par la loi. La technologie a beaucoup progressé en termes de traçabilité et le Brésil est très bien équipé pour cela, mais toutes les régions du pays ne sont pas préparées de la même manière", souligne Henrique Sloper.

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