La Cour pénale internationale veut enquêter sur les crimes de guerre commis en Israël et à Gaza. Comment se positionne l'UE ?

Un garçon palestinien blessé est transporté depuis le sol après une frappe aérienne israélienne devant l'entrée de l'hôpital al-Shifa dans la ville de Gaza, le vendredi 3 novembre 2023\.
Un garçon palestinien blessé est transporté depuis le sol après une frappe aérienne israélienne devant l'entrée de l'hôpital al-Shifa dans la ville de Gaza, le vendredi 3 novembre 2023\. Tous droits réservés Abed Khaled/Copyright 2023 The AP. All rights reserved.
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Par Mared Gwyn Jones
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Cet article a été initialement publié en anglais

La possibilité de voir les crimes de guerre commis en Israël et à Gaza traduits devant la justice repose sur la Cour pénale internationale (CPI), basée à La Haye, et sur son procureur, Karim Khan.

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La Cour pénale internationale (CPI) enquête depuis 2021 sur les crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens. Son procureur, Karim Khan, compte étendre le mandat pour enquêter sur les violations commises à la fois par les forces israéliennes dans la bande de Gaza et par les Palestiniens à traves l'incursion meurtrière du Hamas en Israël le 7 octobre. Il promet d'utiliser pleinement la force de la loi pour rendre justice aux victimes des deux camps.

Mais les efforts pour délégitimer le mandat de Karim Khan menacent de paralyser l'enquête.

Israël n'est pas membre de la CPI et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, n'a cessé de tenter de saper ses travaux. Il présente l'enquête sur la Palestine comme de l'"antisémitisme pur". Les États-Unis rejettent également la légitimité de la CPI.

L'Union européenne, qui soutient fermement la Cour pénale internationale sur le papier, pourrait également être confrontée à une opposition, dans ses propres rangs, à cette enquête de la CPI, en raison de la position fragmentée de l'Union sur le conflit israélo-palestinien.

Les pays de l'UE déchirés sur le statut d'État palestinien

Si tous les pays de l'UE sont membres de la CPI, cinq d'entre eux : l'Autriche, la République tchèque, l'Allemagne, la Hongrie et la Lituanie ont rejeté la compétence de la Cour pénale internationale à l'égard de la Palestine. Ils invoquent l'absence d'un État palestinien et la crainte d'une politisation du tribunal basé à La Haye.

Selon Talita Dias, chargée de recherche à Chatham House, un groupe de réflexion, les objections des États membres de l'UE pourraient "permettre de contester à nouveau la compétence de la Cour à l'égard de la Palestine, notamment devant la chambre d'appel".

Un veto pourrait également entraver l'efficacité des enquêtes et priver la CPI, financée par les contributions des États membres, des ressources nécessaires.

L'objection d'Israël à l'enquête pourrait même signifier que les preuves pourraient être "entachées", selon Talita Dias.

"La CPI dépend de la coopération de tous les États, car elle n'a pas de pouvoirs d'exécution ou de police propres. Elle dépend de la coopération des États pour recueillir des preuves et obtenir la garde des accusés", explique-t-elle.

"Dans la pratique, le soutien opérationnel des grands acteurs est important pour la réussite des enquêtes et des poursuites, notamment en raison des contraintes budgétaires et de mise en œuvre de la CPI", ajoute Talita Dias.

Cependant, Anthony Dworkin, chargé de mission au sein du groupe de réflexion European Council on Foreign Relations, estime que les divergences entre les pays de l'UE n'auraient d'incidence que sur les questions de soutien rhétorique et que chacun d'entre eux serait tenu de coopérer à l'enquête conformément aux dispositions du Statut de Rome.

"La question clé est de savoir s'il (Karim Khan) pourra avoir accès à Israël et à Gaza", explique-t-il, "et les pays européens pourraient faire la différence en s'exprimant en ce sens".

La Belgique apporte un financement supplémentaire de 5 millions d'euros à l'enquête de la CPI sur le conflit entre Israël et le Hamas, afin de soutenir les efforts d'enquête de la justice. Les partis d'opposition irlandais ont également tenté, en vain, de faire adopter une motion exhortant le gouvernement irlandais à déférer Israël devant la CPI pour ses agissements.

L’UE soutient le tribunal de La Haye

Malgré les positions divergentes de ses États membres, l’Union n'a pas exprimé d'objections à la compétence de la Cour pénale internationale à l'égard de la Palestine.

Fin novembre, un porte-parole du chef de la diplomatie de l'UE soulignait que "notre soutien à la CPI n'a pas changé".

"La CPI a déjà lancé une enquête en 2021 en Palestine, et le procureur de la CPI a le devoir d'enquêter sur tous les crimes présumés dans une situation spécifique, quel que soit l'endroit où ils se produisent", ajoute-t-il.

Néanmoins, les relations de l'UE avec la CPI ont parfois été mises à l'épreuve. Le procureur a fustigé la proposition de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de créer un tribunal spécial soutenu par les Nations Unies pour poursuivre les crimes de guerre en Ukraine. Karim Khan évoque un coup porté à son mandat et une fragmentation du système pénal international. Des interrogations subsistent sur la compétence de la CPI pour traduire en justice les auteurs de crimes russes, malgré l'émission d'un mandat d'arrêt international à l'encontre du président russe Vladimir Poutine. En effet, ni l'Ukraine ni la Russie ne sont membres de la Cour pénale internationale.

Anthony Dworkin estime que les mesures prises par l'Union pour garantir la justice aux victimes ukrainiennes de la guerre contrastent fortement avec leur réaction au conflit à Gaza.

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"Il est certainement vrai que les dirigeants et les fonctionnaires européens ont beaucoup moins parlé du rôle de la CPI dans la guerre à Gaza que dans le cas de l'Ukraine, où de nombreux pays européens ont en fait renvoyé la situation au procureur", constate le chercheur.

Les puissances occidentales sceptiques

Un autre obstacle à l'enquête est la résistance des alliés de l'UE, Londres et Washington.

Les États-Unis ne font pas partie de la CPI et rejettent depuis longtemps sa compétence à l'égard des États non-membres.

Le président américain, Joe Biden, a cependant accepté en début d’année d'aider le procureur de la Cour pénale internationale dans ses enquêtes en Ukraine. Cette annonce marque un tournant majeur et souligne la volonté de soutien de Washington dans certains contextes.

Mais la position américaine sur l'enquête palestinienne n'a pas changé.

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"Compte tenu de l'influence géopolitique des États-Unis et de leur rôle particulier de médiateur dans le conflit à Gaza, leur manque de soutien à la CPI pourrait entraver la capacité de la Cour à obtenir des ressources et la coopération d'autres États", explique Talita Dias.

Le Royaume-Uni, bien que membre de la Cour pénale internationale, s'oppose à sa juridiction depuis 2021 à propos de la Palestine. Le Premier ministre de l’époque, Boris Johnson, jugeait que "les actions judiciaires unilatérales [...] exacerbent les tensions et sapent les efforts visant à faire progresser une solution négociée à deux États".

L'opposition des deux puissances occidentales contraste fortement avec celle de certains pays du Sud, tels que le Bangladesh, la Bolivie, les Comores, Djibouti et l'Afrique du Sud, qui ont saisi la CPI le 17 novembre à propos du cas palestinien.

Un tournant serait la volonté d'Israël de voir les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre, lorsque quelque 1 200 Israéliens ont été tués et plus de 200 pris en otage, faire l'objet d'une enquête de la CPI. Toutefois, ce virage semble peu probable. Karim Khan a cependant déclaré la semaine dernière qu'il ne se laisserait pas décourager pour mener une enquête, même si Israël maintient son opposition à l'égard de la Cour pénale internationale.

Interrogé sur une éventuelle enquête de la CPI sur l'attaque du Hamas, l'ambassadeur israélien auprès de l'UE, Haim Regev, a répondu à Euronews lors d'une conférence de presse à Bruxelles que "des crimes de guerre ont été commis par le Hamas, cela ne fait aucun doute".

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"Ce n'est pas le moment d'en discuter, alors que nous sommes en guerre, mais nous y reviendrons au moment opportun", assure Haim Regev.

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