La Commission européenne a présenté sa nouvelle stratégie économique pour les années à venir. La simplification figure en bonne place dans un paquet de propositions qui manque cruellement de nouveauté.
La Boussole de compétitivité (Competitiveness Compass en anglais) de la Commission, présentée mercredi, vise à fournir une stratégie pour stimuler l'économie de l'UE, coincée entre une Chine qui fonde sa croissance sur une main-d'œuvre bon marché et une économie américaine stimulée par une énergie à bas prix.
"Au cours des 20 à 25 dernières années, notre modèle économique s'est essentiellement appuyé sur une main-d'œuvre bon marché en provenance de Chine, sur une énergie vraisemblablement bon marché en provenance de Russie et sur une externalisation partielle de la sécurité et de l'application de la législation en matière de sécurité. Ce temps est révolu", a expliqué mercredi Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, avant de présenter sa stratégie.
En plus de plusieurs propositions omnibus de simplification, 12 nouveaux actes seront en préparation pour les prochaines années, ainsi que plusieurs stratégies et plans dans les domaines de l'innovation, de la décarbonation, des investissements et de la sécurité économique.
Réduire la charge administrative, marche arrière sur le Pacte vert ?
L'annonce par la Commission d'un "effort de simplification sans précédent" semblait destinée à apaiser les appels de la droite européenne et des employeurs, et cette section figurait en bonne place dans les premières versions de la boussole. Dans la version finale, elle semble reléguée au second plan, après les politiques sectorielles, ce qui reflète peut-être l'opposition véhémente à tout retour en arrière en matière d'environnement.
Elle est toutefois restée au premier plan lors de la conférence de presse d'Ursula von der Leyen et du vice-président de la Commission, Stéphane Séjourné.
"Nous avons reçu un signal très clair de la part du secteur européen des entreprises : il y a trop de complexité, la durée des autorisations est trop longue, les procédures administratives sont trop lourdes. Nous devons réduire la charge administrative", a précisé la responsable allemande, ajoutant : "d'ici la fin du mandat, nous aurons fait des propositions qui pourraient permettre aux entreprises d'économiser plus de 37 milliards d'euros par an".
La Commission prévoit d'agir rapidement, puisqu'une première proposition omnibus de simplification, qui devrait être présentée le mois prochain, portera sur "l'information financière durable, la diligence raisonnable en matière de développement durable et la taxonomie".
La stratégie comprend également la création de sociétés à moyenne capitalisation, "pour assurer une réglementation proportionnée et adaptée à la taille des entreprises", qui seront "plus grandes que les PME mais plus petites que les grandes entreprises". L'effort de simplification vise à réduire de 25 % les obligations de déclaration pour les entreprises et de 35 % pour les PME.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM), qui doit entrer en vigueur l'année prochaine, doit également être simplifié au profit des petites entreprises. Ce mécanisme applique un prélèvement sur les importations de fer et d'acier, de ciment, d'engrais, d'aluminium, d'hydrogène et d'électricité et vise à protéger les producteurs nationaux qui doivent acheter des quotas coûteux pour leurs émissions de CO2. Une révision déjà programmée examinera également la possibilité d'étendre la taxe à un plus grand nombre de produits.
Une révision de REACH, la principale réglementation européenne sur les produits chimiques, accélérera le processus et conduira à "un réel allègement de la charge sur le terrain", selon la Commission, bien qu'en pratique cela ne semble pas signifier grand-chose de plus que l'avancement d'une date de révision attendue depuis longtemps.
Le niveau de déréglementation prévu reste flou, et toute proposition visant à affaiblir les lois environnementales - sur lesquelles, dans de nombreux cas, l'encre n'a pas encore séché - sera sujette à modification par les députés européens et les gouvernements au sein du Conseil de l'UE. La Commission déclare dans le document que l'Europe "maintiendra le cap" en matière de réduction des émissions en vue d'atteindre son objectif de zéro émission nette en 2050. Un objectif pour 2040 est également attendu de la part de l'exécutif européen, mais la communication ne précise pas quand il sera présenté.
Une "feuille de route commune" pour la décarbonation et la compétitivité
Les prix de l'énergie sont au cœur de la compétitivité industrielle, et l'UE - comme la Chine, mais contrairement aux États-Unis - dépend fortement des importations de pétrole et de gaz pour alimenter son industrie et ses transports. L'énergie éolienne et surtout l'énergie solaire étant déjà moins chères dans la plupart des cas, le document fait un clin d'œil au plan d'action pour une énergie abordable qui doit être annoncé le mois prochain et à la nécessité de renforcer les réseaux électriques européens.
Le Clean Industrial Deal est le programme politique phare de la deuxième Commission d'Ursula von der Leyen, comme le Pacte vert de l'UE l'était de la première, et il est également prévu pour le mois prochain, conformément à sa promesse de le mettre en place dans les 100 jours. Avec le plan énergétique, il constituera une "feuille de route commune pour la décarbonisation et la compétitivité", selon l'exécutif.
Les usines d'IA deviennent réalité
En ce qui concerne l'IA, le plan de compétitivité s'appuie sur des idées déjà mentionnées dans la lettre de mission de la commissaire européenne en charge de la Souveraineté technologique, Henna Virkkunen.
Il accorde beaucoup d'importance à la création d'un réseau d'usines d'IA, décrites comme des "écosystèmes qui encouragent l'innovation, la collaboration et le développement" et qui rassemblent "la puissance informatique, les données et le talent".
Le fait que seule une entreprise sur sept utilise actuellement l'IA "doit changer", a insisté Ursula von der Leyen lors de la conférence de presse, ajoutant : "nous lancerons une vaste stratégie en matière d'IA afin d'accroître l'adoption de l'IA par l'industrie".
Des entreprises telles que la société française Mistral AI, qui a créé un concurrent européen au ChatGPT d'OpenAI, ont mis en garde l' année dernière contre le manque de capacité de formation en Europe.
La Commission a commencé à planifier sept de ces usines en 2024, avec pour objectif de lancer la première au début de cette année.
Dans son rapport sur l'avenir de la compétitivité de l'UE publié en septembre dernier, Mario Draghi a indiqué que l'intelligence artificielle offrait encore à l'Europe la possibilité de tirer parti des "futures vagues d'innovation numérique".
Une loi européenne sur le développement du cloud et de l'intelligence artificielle est prévue pour le dernier trimestre de cette année.
Un plan "Achetez européen"
La boussole comprend également un programme "Achetez européen" "pour les secteurs et les technologies stratégiques".
Face au protectionnisme de ses concurrents internationaux et à la crainte de voir des surcapacités subventionnées déversées sur le continent européen par des pays comme la Chine, la Commission introduira une "préférence européenne" dans les marchés publics à travers une révision de la directive sur les marchés publics.
Les Français la réclament depuis longtemps, notamment depuis l'introduction de l'US Inflation Reduction Act, qui favorise les entreprises vertes implantées sur le sol américain par des réductions d'impôts.
Une Union de l'épargne et de l'investissement pour débloquer les capitaux nécessaires
Pour rester compétitif face à des acteurs mondiaux comme les États-Unis et la Chine, l'Union européenne doit investir entre 700 et 800 milliards d'euros par an au cours de la prochaine décennie pour moderniser son économie, garantir la sécurité et faire progresser les transitions verte et numérique.
"Nous ne manquons pas de capital", a assuré mercredi la présidente de la Commission, notant que les ménages européens épargnent 1 400 milliards d'euros par an, contre 800 milliards d'euros aux États-Unis.
"Ce qui nous manque, c'est un marché des capitaux efficace qui transforme cette épargne en investissement et en capital-risque dont nous avons tant besoin", a souligné Ursula von der Leyen.
En conséquence, la Commission a fait remarquer que 300 milliards d'euros de l'épargne des Européens sont transférés chaque année vers des marchés extérieurs à l'UE.
Pour remédier à cette situation, la Commission introduira une Union européenne de l'épargne et de l'investissement dans le courant de l'année 2025 afin de stimuler le capital-risque et d'encourager des flux de capitaux à travers l'UE. En outre, le prochain budget à long terme sera réorienté pour donner la priorité à la compétitivité.
"Si nous disposions aujourd'hui d'un marché des capitaux profond et liquide, les chiffres de la BCE montrent que nous aurions 470 milliards d'euros d'investissements en plus", a affirmé Ursula von der Leyen.