"Personne en Russie et personne parmi les dirigeants russes n'est intouchable", affirme la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas.
Une coalition de 38 pays, dont les 27 membres de l'Union européenne, a annoncé mardi des "progrès majeurs" dans leurs travaux conjoints visant à créer un tribunal spécial chargé de juger les dirigeants russes pour la guerre en Ukraine.
Le travail des experts et des juristes s'est concentré jusqu'à présent sur la rédaction du statut juridique qui sous-tendra le tribunal et déterminera sa juridiction. Le statut n'est pour l'instant pas définitif, mais la coalition espère qu'il pourra être approuvé avant la fin de l'année.
Les détails du texte n'ont pas encore été rendus publics.
"Nous en sommes à un stade où des progrès très importants ont été réalisés", déclare Michael McGrath, commissaire européen chargé de la Démocratie, de la Justice et de l'État de droit. "À ce stade, nous n'envisageons pas d'obstacles insurmontables".
Le tribunal poursuivra les dirigeants politiques et militaires russes, en particulier le président Vladimir Poutine, et sera établi dans le cadre du Conseil de l'Europe, une organisation de défense des droits de l'Homme. Son secrétaire général, Alain Berset, a déclaré que l'institution sera "prête à agir" dès que le mandat serait approuvé au niveau politique.
"Attendre n'est pas une option. Nous devons vraiment agir le plus rapidement possible. Et nous ferons de notre mieux pour essayer de terminer le travail cette année", affirme-t-il.
"Nous devons être très ambitieux. Et je pense que s'il y a une volonté, il y a aussi la possibilité de travailler jusqu'à la fin de l'année pour y parvenir".
Tenir les dirigeants russes responsables de l'invasion de l'Ukraine
L'idée d'établir un tribunal pour l'agression russe en Ukraine a été ardemment défendue par le président ukrainien Volodymyr Zelensky afin de garantir que les responsables de l'invasion, dont Vladimir Poutine a ordonné le lancement il y a près de trois ans, soient tenus pour responsables de leurs actes.
Contrairement aux crimes de guerre, aux crimes contre l'humanité et au génocide, qui s'appliquent aux individus qui commettent des atrocités, tels que les officiers militaires et les mercenaires, le crime d'agression est un crime de commandement qui vise la personne en charge du contrôle de l'État agresseur.
L'agression peut prendre la forme d'une invasion, d'une occupation, d'une annexion, d'un blocus des ports ou de toute autre agression impliquant l'utilisation d'armes par un État contre un autre.
Selon la Cour pénale internationale (CPI), le crime d'agression concerne "la planification, la préparation, le déclenchement ou l'exécution, par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État, d'un acte d'agression qui, par ses caractéristiques, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations unies".
Cela fait de Vladimir Poutine l'accusé le plus probable dans un futur procès. Mais une telle accusation pourrait rester relativement abstraite : les chefs d'État bénéficient en effet d'une immunité de poursuites en vertu du droit international et un procès par contumace risque fort d'être considéré comme illégitime.
Pourquoi créer un tribunal spécial ?
Bien que la CPI ait établi sa compétence en matière de crimes d'agression en vertu des amendements dits de Kampala, celle-ci ne s'applique qu'aux pays et aux ressortissants des pays qui sont parties au statut de Rome. La Russie, tout comme les États-Unis et la Chine, n'en est pas signataire.
C'est pourquoi Kyiv et Bruxelles ont étudié la possibilité de créer un tribunal ad hoc qui serait habilité à engager des poursuites dans le cas spécifique de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine.
"Sans le crime d'agression, il n'y aurait pas non plus de crimes de guerre", a déclaré la Haute représentante de la diplomatie européenne Kaja Kallas, qui s'est également exprimée lors de la conférence de presse de mardi.
"C'est pourquoi il est extrêmement important que les responsables du crime d'agression rendent compte de leurs actes. Personne en Russie et personne parmi les dirigeants russes n'est intouchable".
Kaja Kallas estime que le tribunal spécial devrait être créé "avant la fin de la guerre" et indique que "les crimes impunis ne font qu'encourager de nouvelles agressions".
Iryna Mudra, cheffe adjointe du bureau de Volodymyr Zelensky, salue quant à elle les progrès réalisés comme une "avancée majeure" et considère qu'aucun autre pays ne devrait être "victime d'une nouvelle conquête impériale".
La dernière fois que ce type de crime a été traduit en justice, c'était lors des procès de Nuremberg qui se sont tenus après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les accusations étaient connues sous le nom de "crimes contre la paix".